On remonte nos archives. Dans une société de consommation qui s'affirme, les menaces pèsent sur la santé des Français. En 1967, les autorités sanitaires s’inquiètent : la France mange trop, bouge moins et néglige sa musculature. " Nous allons vers une génération d'hommes troncs ", affirmaient déjà les médias.
Les années 60 marquent l’apogée des Trentes Glorieuses, la France est entrée de plain-pied dans l’ère moderne. Mais l’évolution des modes de vie n’est pas sans risques : les Français pratiquent moins d’activités physiques, sans pour autant avoir changé leurs habitudes alimentaires.
Face au risque d’un embonpoint généralisé, l’Association pour les Grandes Causes Nationales lance, en 1967, une grande campagne de sensibilisation pour les inciter à faire du sport. Un tournant dans le discours médical : désormais la pratique du sport ne nécessite plus d’être en bonne santé, mais devient au contraire le préalable à une forme olympique.
La forme des Français en général, je pense qu'elle est assez médiocre
Michel Jazy, athlète, médaillé d'argent aux JO de Rome en 1960Extrait d'un reportage de l'ORTF du 18 juillet 1967, "l'exercice c'est la santé"
Le constat est sans appel. En ces années de croissance économique et de progrès en tous genres, la France s’est lovée dans le confort et l’inactivité physique. C’est du moins l’opinion des autorités sanitaires et de Michel Jazy, grand sportif s’il en est. "Sur les 600 muscles que nous possédons, seuls ceux qui assurent la mastication et la déglutition sont régulièrement sollicités", précise le journaliste averti de ce reportage. Effrayant, non ?!
Il est vrai que les années 60 sont un tournant dans l’évolution des modes de vie : les trajets se font de plus en plus en voiture, on se rue dans les ascenseurs et sur les escalators au détriment des escaliers, tandis que la mécanisation a favorisé le geste répétitif au détriment d’efforts corporels plus intenses. La chaise de bureau, quant à elle, n’est pas réputée pour muscler les fessiers !
Dans le même temps, gigot d’agneau ou blanquette de veau sont restés les vedettes des repas dominicaux. Equation simplissime : si les Français se dépensent moins ils consomment moins d’énergie, et si leurs habitudes alimentaires restent inchangées, ils grossissent.
En bref, la femme et l’homme modernes sont en passe de se faire happer par les dangers de la sédentarisation, le tissu musculaire est en péril !
Quel que soit leur état, la plupart des déficients sont parfaitement récupérables
Un journaliste optimiste, malgré la gravité de la situation
Ouf, il y a de l’espoir. Se mettre au sport, ou tout au moins pratiquer une activité physique, devrait permettre à tout un chacun de retrouver le chemin de la forme. Mais pour cela il est demandé aux Français, par la voix de Michel Jazy, de l’effort et de la volonté : la bonne santé, ça se mérite !
L’heure n’est pas à la rigolade, à cette époque la notion de "sport-loisirs" n’est pas d’actualité. Le sport se pratique en club, avec des objectifs de performances et de compétition. Il s’agit de faire preuve de courage et d’abnégation pour s’approcher le plus possible du modèle ultime, le champion.
Alors qui mieux que Michel Jazy, champion par excellence, pour battre le rappel des consciences ? Non seulement les Français l’adorent, mais il est en plus l’un des 5 sportifs français à avoir sauvé l’honneur lors des JO de Rome en 1960.
Si l’activité physique est désormais présentée de façon novatrice comme l’élément indispensable à une bonne santé, le ton du message reste celui de l’époque : martial, si ce n’est un tantinet moralisateur !
Ce n’est que dans les années 70 et 80 que le sport va intégrer les notions de détente et de plaisir. Une activité physique oui, mais pas obligatoirement en club, et pas forcément dans l’idée de devenir champion.
La gymnastique de pause, une solution au relâchement musculaire
Tout n’est pas perdu pour les réfractaires à la pratique sportive. Parce qu’un petit geste peut faire beaucoup, le Haut-Commissariat à la Jeunesse et aux Sports (ancêtre du Ministère de la Jeunesse et des Sports) encourage à la même époque la pratique de la gymnastique de pause dans les entreprises.
Née dans les pays scandinaves, cette technique arrive en France dans les années 60. Son objectif est de lutter contre la fatigue du travailleur moderne, en lui proposant d’effectuer des gestes de récupération adaptés à sa profession.
Chaque geste lui permet de retrouver un certain tonus musculaire, tout en soulageant les douleurs inhérentes à son activité professionnelle. Elle se pratique une à deux fois par jour, sur le lieu de travail, au cours de séances d’une dizaine de minutes qui se déroulent en musique.
Convivialité, prise en compte du salarié, confort au travail… Les prémices d’un concept qu’on appelle aujourd’hui le « bonheur au travail » ? En tout cas ce n’est pas encore le "Toutouyoutou" de Véronique et Davina, mais on s’en approche !