Comment convaincre les migrants arrivés à Calais, à 30 km de l'Angleterre d'abandonner leur projet et de demander l'asile en France ? C'est la question à laquelle sont confrontées les autorités.
Au pied d'imposants poteaux électriques, sur un terrain vague, une dizaine d'agents de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) en vestons rouges tente de convaincre des migrants de monter dans un bus en direction du nouveau centre d'accueil de Troisvaux, à 100 km de la côte d'Opale, en vue d'une demande d'asile.
Ouvert il y a 15 jours, ce centre du Pas-de-Calais a un atout qui semble les intéresser : le traitement sous huit jours de leur situation administrative, assure le responsable de l'Ofii à Calais Jaoued Belmir. "Mais il est difficile de convaincre un migrant arrivé à 30 km de l'Angleterre d'abandonner son projet et de demander l'asile en France", reconnaît-il. Par terre, un Erythréen d'à peine 16 ans lit attentivement un document de l'Ofii traduit en tigrina sur ce nouveau centre d'accueil. Il finit par le glisser dans sa poche : "Ça a l'air pas mal, mais je veux encore tenter ma chance pour l'Angleterre, je me laisse encore quelques mois".
Plus loin, Kazem, un jeune Afghan aux yeux verts, interpelle les maraudeurs de l'Ofii : "La police vient tous les jours nous gazer avec du spray qui pique les yeux alors qu'on veut juste dormir ! Pourquoi ils font ça ? Je ne demanderai jamais l'asile en France, on a trop de problèmes avec la police". Renforcement des maraudes, installation minimale de sanitaires après deux décisions de justice, ouverture de deux centres d'accueil en Hauts-de-France, présence importante de policiers... les autorités font tout pour éviter l'installation d'une nouvelle "Jungle" à Calais. Et pourtant, le nombre de migrants ne cesse d'augmenter selon les associations qui évaluent à plus de 700 le nombre de réfugiés à Calais, contre 450 pour la préfecture.
"Déconstruire le mythe de l'Angleterre"
Pour Jaoued Belmir, "le travail de conviction se fait sur le long terme, il faut déconstruire le mythe de l'Angleterre où travailler et circuler seraient plus facile, où la réunification familiale serait également facilitée et surtout où ne s'appliquerait pas le règlement Dublin", qui implique que les personnes ayant déjà laissé leurs empreintes dans un autre pays européen, les "dublinés", doivent théoriquement être renvoyées vers ce pays.
Car Dublin constitue "leur grande inquiétude" affirme Vincent de Coninck, responsable du Secours Catholique à Calais. "Des migrants nous disent:
Je veux demander l'asile en France, mais j'ai eu mes empreintes prises de force en Italie, en Hongrie ou ailleurs et le gouvernement va me renvoyer dans ce pays", rapporte-t-il.
En témoigne Yazid, 26 ans, "dubliné en Italie": "Je connais la situation par coeur : ils vont étudier mon cas pendant deux mois puis vont me renvoyer en Italie, je l'ai déjà fait. Pour la plupart d'entre nous ici c'est le problème, il y en a même à qui on a déjà refusé l'asile (les déboutés ndlr), alors, pour nous tous, la seule solution est d'aller en Angleterre", pense-t-il.
Mercredi, douze migrants sont montés dans le bus d'une capacité de 30 places. Parmi eux, Shawali, 28 ans. "Cinq mois que je vis à Calais, j'en peux plus, la police nous chasse en permanence, j'ai essayé de monter dans les camions, je n'y arrive pas, j'abandonne, l'Angleterre c'est fini pour moi.
Je veux trouver un travail dans le bâtiment comme en Afghanistan et habiter à Paris", dit-il, tête baissée, assis à l'avant du bus avec son petit bagage sur les genoux.
Selon la préfecture du Pas-de-Calais, depuis le 8 août, 78 migrants ont été pris en charge au centre d'accueil de Troisvaux. Mais pour François Guennoc de l'Auberge des Migrants, "au moins la moitié" d'entre eux sont des réfugiés qui viennent de Paris, motivés par une évaluation rapide de leur demande d'asile, "ce qui ne résout rien à Calais", conclut-il.