Il y a 70 ans, le 12 août 1952, le coup de grisou de la fosse Schneider tuait neuf hommes et en blessait onze. Comme tous les dix ans, une commémoration en leur honneur est organisée ce vendredi 12 août à Lourches, dans le Nord. Rencontre avec deux descendants de mineurs qui entendent protéger et transmettre, encore aujourd’hui, les voix du passé.
Le 12 août 1952, peu avant une heure du matin, 159 mineurs sont en poste à la fosse Schneider de Lourches. Soudain, une explosion retentit, suivie d’une boule de feu. Cinq mineurs sont tués sur le coup. Quatre autres succomberont à leurs blessures. Onze autres sont blessés. Alors même que la mine de charbon n’est pas classée parmi les plus dangereuses, il s’agit de la troisième catastrophe que connaît le site, finalement fermé trois ans plus tard en raison d’inondations.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ils étaient 220 000 mineurs dans le Pas-de-Calais, contre 330 000 dans l’hexagone. Que ce soit dans cette fosse ou dans d’autres, ils ont connu ces conditions de travail difficiles et la vie dans les corons et aujourd’hui, leurs descendants vivent encore avec certaines de ces cicatrices.
Un héritage qui a façonné, à bien des égards, la vie de Jean-François Mouton-Wrzeszczynski, petit-fils d’un des mineurs décédé, et de François Régis, descendant d’une grande famille de mineurs :
Jean-François Mouton-Wrzeszczynski
"Quand l’accident est arrivé, mon grand-père aurait dû être à la retraite depuis un an, mais il avait fait une année supplémentaire pour payer le mariage d’un de ses enfants. Il est mort trois jours avant la retraite. Mon grand-père s’est sacrifié", confie Jean-François Mouton-Wrzeszczynski, 56 ans, petit-fils d’un des mineurs mort au fond de la mine.
En 1929, ses grands-parents et leurs trois enfants arrivent en France depuis la Pologne, où ils donnent à nouveau naissance à trois reprises. Ils trouvent du travail dans le Nord : sa grand-mère devient trieuse de charbon et son grand-père, Nicodème Wrzeszczynski, descend au fond de la mine, où il périra à l’âge de 57 ans.
Jean-François est né quatorze ans plus tard. C’est donc à travers les mots de sa grand-mère, restée vivre auprès de sa famille jusqu’à sa mort, qu’il a fait la connaissance de l’histoire qui est la sienne : "Elle me donnait des petites informations, par bribes seulement, parce que c’était très tabou. Comme un couteau qu’on remue dans une plaie", explique celui qui a posé ses premières questions très jeune, lors de visites au cimetière à côté de chez lui. "Je sais de mes oncles que malgré la pauvreté dans les corons, quand il n’y avait pas à manger, mon grand-père mangeait la moitié de son repas de mineur et il ramenait le reste à la maison", rapporte-t-il par exemple.
Je sais de mes oncles que malgré la pauvreté dans les corons, quand il n’y avait pas à manger, mon grand-père mangeait la moitié de son repas de mineur et il ramenait le reste à la maison.
Jean-François Mouton-Wrzeszczynski
Une force d’esprit transmise au fil des générations en même temps que ce passé parfois lourd à porter. "Il y a des gens qui donnaient tout au travail et qui en sont décédés, rappelle Jean-François. C’est ce que j’essaie d’expliquer aux plus jeunes. D’un point de vue mémoriel, ce sont des valeurs familiales que l’on essaie de garder et de transmettre".
Voilà pourquoi il tenait absolument à assister à la commémoration d’aujourd’hui, avec plusieurs membres de sa famille, même s’il fallait pour cela parcourir 600 kilomètres depuis Clermont-Ferrand, où il habite depuis ses 13 ans. Son père, qui travaillait dans une usine du Nord, avait à l’époque dû retrouver un emploi ailleurs. "Un autre drame familial", commente Jean-François.
Le Nord, loin des yeux mais près du cœur
C’est finalement en arrivant dans le département du Puy-de-Dôme qu'il a eu à cœur de défendre ses origines et que la nostalgie s’est "déclenchée" : "Ma famille et moi nous nous sommes rattachés culturellement parlant à tout ce qui pouvait nous rappeler le Nord. Ça s’est ancré comme ça", explique-t-il.
Son intérêt pour ses ancêtres et le passé qui y est associé, bien qu’il soit présent "depuis la naissance", n’a fait que croître avec les années, comme il le décrit : "Quand on est enfant, on est émerveillé par ces histoires, surtout quand elles sont bien racontées. Et plus on est vieux, plus on fait des recherches". Il s’est mis à récolter autant d’informations que possible et à réaliser un arbre généalogique, jusqu’à se rendre dans le village natal de ses grands-parents, en Pologne, où il a pu recréer des liens avec la famille de son grand-père.
Que la commémoration "dure toujours"
Du côté de ses propres descendants, la sérénité règne : "La relève est assurée", rigole-t-il en expliquant que sa nièce, âgée de 27 ans, va parcourir 900 kilomètres pour être présente à la commémoration. Il s’agissait toutefois d’une évidence pour elle, d’après Jean-François, très "fière de cette sensibilité partagée". D’autant plus qu’il s’agira pour elle de sa première venue dans le Nord, le département qui a façonné sa famille. "La commémoration est une manière de dire à mon grand-père et aux autres victimes qu’on ne les oublie pas", explique-t-il.
L’objectif est pour lui que cet événement, qui a lieu tous les dix ans, "dure toujours". Et pour cela, il compte bien transmettre le flambeau : "C’est à vous de le faire maintenant", dit-il aux plus jeunes membres de sa lignée. Pas étonnant, donc, qu’il soit considéré par sa sœur comme "la mémoire de la famille".
François Régis
"La mine fait partie de mes racines. Je dis souvent en rigolant que j’ai du charbon qui coule dans mes veines", plaisante François Régis, 34 ans, en guise d’introduction. Cet arrière petit fils de mineur est le descendant de six générations de mineurs du côté maternel de sa famille, et de cinq du côté paternel.
Je n’ai pas connu les mineurs mais ça a eu un impact considérable au niveau de ma famille. Il faut s’imaginer le traumatisme.
François Régis, descendant d'une grande famille de mineurs.
En 200 ans, ils ont eu à surmonter plusieurs drames : un proche tombé dans un puit, un autre, père et mari d’une femme enceinte décédé dans un coup de grisou à la fosse Schneider en 1910 et un arrière-grand-père mort de la silicose après y avoir travaillé toute sa vie. "Je n’ai pas connu les mineurs mais ça a eu un impact considérable au niveau de ma famille. Il faut s’imaginer le traumatisme", explique-t-il.
Un rôle clé à la révolution industrielle
C’est pourquoi, aujourd’hui, il souhaite continuer à transmettre les valeurs de ces "personnes qui partaient travailler pour nourrir leur famille et qui ne sont jamais revenues", à une époque où le charbon était "le pain de l’industrie". "Heureusement que nos ancêtres ont contribué au développement industriel du pays. C’est ça qu’il faut enregistrer et perpétuer", défend-il. Car commémorer les victimes est pour lui l’occasion de retracer cette histoire.
Ce passionné n’a sans doute toutefois plus beaucoup à apprendre, tant il connaît l’univers de la mine. Au fil de conversations avec sa grand-mère, puis de recherches en recherches, François a appréhendé avec plaisir son passé, se prêtant même au jeu de la généalogie. Lieux des corons, dates des accidents ou de fermetures de mine, localisation des terrils, archives… Il est d’une précision sans faille.
Les terrils, "l'eldorado"
Il faut dire qu’avant même de s’ouvrir à cet héritage, la mine faisait déjà partie de son quotidien : "Petit, mon terrain de jeu favori c’était les terrils, sans savoir que j’avais des ancêtres mineurs", se souvient-il. Dans son village d’origine, Roeulx, dans le Nord, il avait alors été "marqué par le fait que ces terrils n'aient pas si bon augure", dit-il en le déplorant encore, alors que pour ses amis et lui, "c’était un eldorado". "C’est" un eldorado, pourrait-on même dire : "Il s'agit l’histoire de ma famille, de la région, d'un patrimoine reconnu par l’Unesco depuis 2012, c’est exceptionnel", porte-t-il avec fierté, lui qui habite actuellement dans le secteur de Denain.
Petit, mon terrain de jeu favori c’était les terrils, sans savoir que j’avais des ancêtres mineurs.
François Régis
Pour rendre hommage à cette riche histoire, il a justement créé un site internet où il partage son savoir, ainsi qu’une association qui rassemble des clubs Bassin Minier Unesco. Il entend également transmettre sa passion auprès de ses deux filles, ce qui semble-t-il, est déjà le cas pour la plus grande, âgée de 9 ans : "Elle a son classeur où elle range des photos, des articles de presse et où elle recopie des témoignages sur l’univers de la mine. Elle reconnaît même les différentes pierres !", s’exclame-t-il.
Plongez dans les archives de l'INA
Et pour découvrir les témoignages de deux filles de l’une des victimes, nous vous proposons de visionner ce reportage réalisé en 2002 par France 3 Nord-Pas-de-Calais :