Un an après son élection triomphale, le maire Front National d'Hénin-Beaumont, Steeve Briois, présente son action "comme une vitrine de bonne gestion", "sans idéologie", tandis que les opposants dénoncent une politique et un exercice du pouvoir propres à l'extrême droite.
Le 23 mars 2014, coup de tonnerre dans le ciel déjà peu serein du Pas-de-Calais, Steeve Briois était devenu dès le premier tour maire FN de ce bastion socialiste, après une vingtaine d'années d'efforts. A peine investi, "l'enfant du pays", comme il se désigne, promettait qu'il n'y aurait aucune "chasse aux sorcières" et qu'il gérerait la commune "de manière démocratique, contrairement à ce qui s'est fait jusqu'à présent".
Située dans l'ancien bassin minier Hénin-Beaumont, commune de 27.000 habitants touchée par la paupérisation, était sous le feu des projecteurs depuis qu'avait éclaté l'affaire Dalongeville, ex- socialiste, maire divers gauche de 2001 à 2009, condamné en 2013 à quatre ans d'emprisonnement pour détournement de fonds publics. Elle l'était aussi parce que Marine Le Pen y avait frôlé la victoire aux législatives en 2012. "Cette prise de pouvoir s'est faite en douceur, personne n'a été lésée", assure à l'AFP M. Briois, 42 ans, carrure massive et visage poupin, dans son bureau de la mairie, où trônent le buste de Jean Jaurès et le prix d'élu local de l'année 2014 que lui a attribué, avec quelques remous, le Trombinoscope. "Les gens ont l'air satisfaits de la manière dont nous gérons la ville, nous arrivons à dépenser plus avec moins d'argent", grâce notamment à des marchés publics "enfin ouverts à la concurrence".
En discutant avec les habitants, il est difficile de trouver des mécontents. Les Héninois semblent apprécier le respect de la promesse de campagne de baisse de la fiscalité (-10% sur la taxe d'habitation en 2014, -5% en 2015) et des travaux entrepris pour améliorer le cadre de vie, notamment de voirie. Et selon plusieurs acteurs du milieu associatif ou culturel, les subventions n'ont pas été coupées. Nicole Legrand, élégante retraitée de 68 ans, n'avait pas voté pour le candidat FN. Pourtant elle estime "qu'il n'y a que du positif". "Je me sens plus en sécurité, des rues ont été refaites... Ça ne pouvait pas être pire qu'avant", glisse-t-elle. Béatrice et Evelyne, 65 et 67 ans, goûtent au renouveau du centre ville. "Il a redonné de l'animation, comme avec le marché de Noël. Il est attaché au patrimoine du Pas-de-Calais, lors des voeux on a chanté Le p'tit Quinquin et Chtiote lampiste, ça nous a fait chaud au coeur", disent-elles en choeur.
La vitrine et le magasin
Mais pour les opposants, la musique n'est pas la même, avec la fermeture du local de la Ligue des droits de l'homme, la tentative de la mise en place d'un arrêté anti-mendicité, l'absence du drapeau de l'Union européenne (non obligatoire aux termes de la loi) sur la façade de la mairie ou des relations exécrables avec l'opposition et la presse locale. Noël Mamère, député EELV, est venu de Gironde prêter main forte à la candidate écologiste en lice pour les départementales. Selon lui, le FN a mis les grands moyens à Hénin-Beaumont, avec trois membres du bureau national dans l'équipe municipale (Briois, Bruno Bilde et Jean-Richard Sulzer), pour faire de ce "fief" "sa vitrine qui cache ce qu'il y a dans le magasin".Lors des conseils municipaux, l'atmosphère est devenue "irrespirable", selon Marine Tondelier, élue municipale écologiste, critiquant le peu de temps de parole laissée à l'opposition et les "intimidations". "Ils font tout pour faire une politique très consensuelle (...) mais il arrive que ce masque souriant se fissure et que le naturel revienne au galop", dit-elle.
Relations tendues avec la presse locale
Il suffit de feuilleter le magazine municipal pour se rendre compte des relations à couteaux tirés avec la presse locale: "Méticuleusement, la Voix du Nord continue son travail de sape contre la nouvelle équipe municipale", "pseudo-journaliste" pour lequel "tout est bon pour faire le buzz et de l'argent sur le dos des habitants d'Hénin-Beaumont, quitte à désinformer". Pascal Wallart, le journaliste mis en cause, évoque "un déferlement de haine". "On est harcelé, certains jours je reçois au bas mot 50 sms d'un des proches du maire". "Dès qu'un papier leur est défavorable ou s'ils croient voir en filigrane une critique, aussitôt c'est le retour de bâton, avec affichage à la mairie, sur les réseaux sociaux ou dans le journal municipal", raconte le journaliste.Un des responsables du Comité de Vigilance Hénin-Beaumont, collectif citoyen actif sur les réseaux sociaux qui traque les éventuels dérapages du FN, juge que la politique menée par Steeve Briois ne peut se résumer "à cette gestion de bon père de famille". "Il veut se montrer en rupture mais il est dans la continuité de Dalongeville: sur la forme il montre qu'il est omnipotent, avec une façon de diriger très personnelle et sur le fond, une attitude très paternaliste", estime-t-il, préférant que l'AFP ne divulgue pas son nom, "car on est à Hénin-Beaumont, avec une mairie FN...".