Depuis le début de la crise sanitaire, les coureurs sont ballotés au gré des reports et des annulations. Le sprinter picard Rudy Barbier vit cette situation d'incertitude permanente avec fatalisme. Il reconnaît néanmoins son statut de privilégié, celui de pouvoir exercer son métier et sa passion.
"J'ai couru la semaine dernière le Grand prix de l'Escaut en Belgique et ma prochaine course sera le 13 mai en Espagne. On est contraint de subir les changements de programmes mais il faut s'adapter à cette incertitude : on est à mille lieues de nos programmes prévisionnels." L'isarien, privé de courses pour cinq semaines ne change pas ses habitudes d’entraînement sur les routes de la Somme et de l'Oise.
Tous les jours ce sont des heures de route autour de Grandvilliers dans l'Oise, où il habite, qu’avale le coureur de l'équipe Israël Start Up Nation. "trois heures pour le travail spécifique, le travail en côte, en sprint, ma spécialité, et en contre la montre. Ou bien cinq heures pour le foncier et l'endurance." Parfois seul, parfois avec son frère Pierre, lui aussi cycliste professionnel dans l'équipe Delko, parfois avec son père. Parfois tous les trois en famille.
Télétravail sur un vélo
Ce printemps cycliste sonne comme un rappel de la saison dernière. Il y a un peu plus d'un an Rudy Barbier avait été bloqué plusieurs jours dans son hôtel à Dubaï avec le Beauvaisien Arnaud Demare et plusieurs dizaines de coureurs lors du Tour des Émirats arabes unis. Le coronavirus venait perturber la vie des sportifs.
L'an dernier, le confinement du pays avait empêché les coureurs français de s'entraîner normalement sur les routes. "Je n'ai fait que du home-trainer à la maison. J'étais en quelque sorte en télétravail mais sur un vélo, chez moi et avec ma famille. Et il aurait été injuste que nous puissions sortir alors que la population était enfermée", confie Rudy Barbier.
Conséquence de cette situation, une baisse de régime pour les coureurs français consignés chez eux à l'inverse des coureurs belges ou hollandais qui ont pu se préparer normalement pour les courses. "Heureusement le niveau est vite revenu", rappelle-t-il. Et à la fin de l’été, il remportait une étape du Tour de Slovaquie. Au sprint... Le vélo ça ne s'oublie pas...
Vuelta ou Tour de France ?
2021 est aussi chamboulée par la crise sanitaire. "Cette année je m'étais préparé pour Paris Roubaix en avril ! On ne prend pas ce monument à la légère. Roubaix ça se respecte, j'avais envie de le faire. Pas sûr que j'ai la même envie à l'automne (la course est reportée au 3 octobre)", affirme Rudy Barbier. D'autant plus que le Picard sera peut-être retenu par son équipe pour le tour d'Espagne qui s'achèvera moins d'un mois avant Paris Roubaix.
Ou bien peut-être au Tour de France fin juin. L'équipe israélienne, présente à la Grande Boucle 2021, sera logiquement bâtie autour de Chris Froome, quadruple vainqueur du Tour. Mais si la stratégie et les objectifs de l'équipe étaient modifiés, le sprinter prendrait peut-être la place d'un grimpeur. Pour Barbier, une présence sur le Tour de France serait une grande première après sa participation au Giro l'an dernier : "il y a de belles opportunités d'arrivées au sprint sur ce tour 2021." Mais là encore, c'est l'incertitude.
Deux tests Covid par semaine
Le Picard reste fataliste pour l'organisation de sa saison. "On ne peut rien prévoir, du coup, on a peu de visibilité. Avec le coronavirus, on ne peut pas se projeter. Des courses ont été supprimées un peu partout, et dans notre équipe de 28 coureurs il faut que tous puissent courir, donc ça fait moins de course par coureur. Parfois, nous sommes engagés sur des épreuves qui ne nous conviennent pas. J'ai pris part à des courses en mars en Belgique peu adaptées à mon profil de sprinter. Je n’ai pas disputé beaucoup de sprints alors que c’est ma spécialité. Mais il faut absolument courir pour rester en contact avec la compétition et les coéquipiers."
Dans le peloton et au sein de l'équipe Israël Start-Up Nation, les coureurs parlent beaucoup du Covid, des masques, des tests. Rudy Barbier, comme tous les coureurs, fait deux tests par semaine depuis plusieurs mois. "Tous négatifs, mais l'épée de Damoclès est là. Si un coureur de l’équipe ou un membre du staff est positif, toute l’équipe est déclarée hors-course. C'est pénible. On est très prudents, on porte toujours le masque. Dans les bus, à l'hôtel, avec les masseurs et kinés. Le seul endroit où on l'enlève, c’est dans nos chambres, détaille-t-il. Dans l'équipe on échange beaucoup entre nous, même en course quand on peut. On a tous appris à vivre avec et c'est rentré dans les habitudes. Ça devient la norme. Je suis triste de devoir continuer à porter le masque, j'espère qu’on retrouvera bientôt notre liberté et le droit de vivre normalement."
Juste le bruit des roues
Les courses sont tristes aussi sans le public. Le coureur picard regrette les courses d’avant Covid et leurs ambiances extraordinaires. "D'habitude, dans les 500 derniers mètres avant le sprint, on n'entend que les cris des spectateurs. On n'entend que les encouragements. Au grand prix de l'Escaut, dans la ligne d'arrivée on entendait le bruit des roues, le bruit des vitesses, les frottements ! C'est étrange... D'habitude on n'entend rien de tout ça, tellement il y a de bruit et des cris..."
Les courses sans public, sans podium, sans protocole autre que sanitaire attristent Rudy Barbier. Près des bus des équipes, habituellement envahis par les chasseurs d'autographes ou de bidons, il n'y a plus personne. "Sans encouragement et ferveur ce n'est pas trop le vélo que j'aime mais bon il faut faire avec."
Le Covid et Israël
Dans un tel contexte, Rudy Barbier reconnaît qu'il est un privilégié. "On gagne très correctement notre vie, je n’ai pas le droit de me plaindre ! J'ai des copains salariés, coiffeurs, restaurateurs qui rament pour finir les fins de mois. Nous, cyclistes pros, nous sommes des privilégiés. Ce qui change c’est que nous avons moins de primes de course et de podium mais on ne compte pas dessus pour vivre." Une victoire d'étape, sauf sur les grands tours ou les classiques grands tours, c'est environ 5000 euros. Son équipe n'a pas baissé les salaires des coureurs malgré le manque à gagner pour les sponsors.
L'équipe israélienne est par ailleurs fière de la façon dont le pays a géré la crise. Israël est un des rares pays au monde à avoir repris une vie presque normale après une campagne de vaccination intense. "Pas tout à fait normale encore", tempère Rudy Barbier, qui regrette de ne pouvoir pour le moment se rendre à Tel Aviv avec ses coéquipiers.
Passer plusieurs semaines en Picardie, c’est aussi pour lui la possibilité de pouvoir profiter de sa famille. Et pour le papa coureur de 28 ans, de pouvoir voir grandir, pendant quelques semaines de suite, sa petite Romy âgée de 9 mois. Avant de repartir sur les routes pour, vivre son autre passion, le vélo et les courses.
Au programme prévu, il y a le Challenge de Majorque, le Tour de Murcie, le Tour de Belgique, le Tour de Pologne, le Tour de Grande-Bretagne. Un programme qui risque d’évoluer au fil du temps et des caprices du virus...