La préfecture de l'Oise vient de donner son accord concernant la mise en place de trois éoliennes sur le Mont Herbé. Celles-ci pourront être mises à l'arrêt dans certaines conditions pour limiter leur impact sur les chauves-souris. Des critères qui ne sont pas forcément toujours adaptés aux modes de vie de ces animaux.
Trois éoliennes viendront bientôt s'ajouter dans le paysage des communes de Cormeilles et de Villers-Vicomte, dans le nord de l'Oise. Elles se situeront sur le Mont Herbé, zone dans laquelle il y a des chauves-souris. Toutes bénéficient aujourd'hui d'une protection depuis la loi 1976, il est interdit de les tuer, de les commercialiser, et de les perturber intentionnellement.
Plusieurs études effectuées par le passé par des chercheurs attestent de la vulnérabilité des espèces qui volent haut face aux éoliennes. Aujourd'hui, l'Hexagone comptabilise une trentaine d'espèces sur son territoire avec chacune leurs spécificités. Avec une présence assez importante en Picardie.
Des éoliennes meurtrières
Les chiroptères (nom scientifique des chauves-souris) peuvent entrer en collision directe avec les pales des éoliennes. Cela engendre "une mortalité qui peut être très variable et conséquente. On sait aujourd'hui que cela peut remettre en cause la viabilité de certaines populations, en particulier les espèces migratrices et de haut vol" explique Kevin Barré, chercheur contractuel au laboratoire CESCO, qui a effectué de nombreuses recherches sur les chauves-souris et l'éolien.
En France, il n'y a pas de chiffres officiels concernant la mortalité des chauves-souris confrontées aux éoliennes. Plusieurs milliers d'individus seraient concernés. Certains spécialistes estiment que le nombre avoisinerait les 300 000 morts à l'année, comme en Allemagne. Il est très compliqué de quantifier ces cas, car cela implique un décompte rigoureux des cadavres de ces dernières.
Ces collisions peuvent paraître étonnantes quand on sait que les chauves-souris sont dotées d'un sonar très précis pour évaluer les distances avec les obstacles. "Elles arrivent sur les pales de manière volontaire, peut-être par curiosité, ou de manière involontaire. Avec une vitesse de vol moyenne autour de 10 à 30 km/h, cela ne leur permet généralement pas d'éviter les pales dont l'extrémité tourne régulièrement à plus de 300 km/h."
Mais les collisions avec les éoliennes ne sont pas toujours directes : pour une grande proportion des cas, il s'agit de ce qu'on appelle le "barotraumatisme".
"Le changement de pression de l'air engendré par la pale en mouvement tue les individus à proximité en faisant exploser leurs vaisseaux sanguins"
Kévin Barré
Toutes ces interactions mortelles peuvent impacter les populations de ces mammifères volants combinées à d'autres facteurs. Même si la chauve-souris a une espérance de vie longue, sa fécondité est très faible. Les couples se reproduisent tard, à raison d'une naissance par an, par femelle. Leur population ne connaît pas un renouvellement important.
Un effet répulsif des habitats
Les éoliennes engendrent d'autres problématiques sur ces espèces. Et notamment quand elles sont implantées à proximité des haies, des forêts et des zones humides qui constituent des habitats pour les chauves-souris.
Les éoliennes vont engendrer un effet de répulsion, pour toutes les espèces de chiroptères. "On ne connaît pas toutes les raisons, mais on sait notamment que le fonctionnement des pales perturbe les masses d'air en créant des perturbations sur de longues distances et les chauves-souris veulent les éviter. L'éclairage serait également un facteur explicatif", atteste Kevin Barré.
Cela engendre une perte d'habitat, puisqu'un pourcentage non négligeable des espèces va quitter la zone concernée lorsque des éoliennes vont être implantées.
Arrêt des éoliennes dans certaines conditions
Dans le but de réduire la mortalité de ces spécimens, des études sont réalisées pour diminuer les impacts lors de projets de construction d'éoliennes. La mesure phare, c'est le "bridage". "Cela consiste à arrêter les éoliennes lorsqu’il y a des conditions climatiques très favorables aux chauves-souris. La plupart du temps, ça coïncide avec des conditions où les éoliennes produisent moins", complète le chercheur. Soit une faible vitesse du vent ainsi qu'une température clémente.
Mais ce sont bien souvent des critères "basiques" qui sont mis en place. Le but étant de déterminer un seuil en dessous duquel l'éolienne est arrêtée. Dans la plupart des dossiers, les critères déterminés sont additifs. C'est le cas des trois éoliennes du Mont Herbé.
L'arrêté de la préfecture de l'Oise précise qu'elles pourront être suspendues "en faveur des chiroptères". Des conditions précises doivent cependant toutes être remplies : au cours de la période du 1er mars et du 30 novembre, "durant l'heure précédant le coucher du soleil jusqu'à l'heure suivant son lever". Les conditions climatiques rentrent également en compte : "vitesse du vent inférieure ou égale à six mètres par seconde" et "lorsque la température est supérieure ou égale à 7°C".
Des critères "qui ont leur limite" selon le chercheur. Il exemplifie : "si on estime qu'on arrête l'éolienne quand on a un vent inférieur à 5 m/sec et une température supérieure à 10°C, plusieurs options sont possibles. Imaginons une situation : 5,1 m/sec de vent et une température de 20°C. Dans ce cas-là, elle ne serait pas arrêtée. Tandis qu'avec 4,9 m/sec de vent et 10,1°C, elle serait arrêtée pour réduire le risque de collision."
"C'est une situation aberrante avec une approche simpliste"
Kévin Barré
Face à ces deux situations, c'est bien dans le premier cas qu'il aurait fallu arrêter l'éolienne pour des conditions plus favorables pour les chauves-souris, selon lui. La solution serait d'utiliser "des outils plus sophistiqués qui considèrent plus de facteurs et avec une philosophie différente en utilisant des approches prédictives. Cela permettrait d'augmenter considérablement la protection des chauves-souris tout en conservant les mêmes pertes économiques pour l'éolienne."
L'éolien n'est pas la seule activité humaine qui met en péril les chiroptères. La déforestation, l'usage de produits chimiques et la circulation automobile les menacent également. D'après l'Office national de la biodiversité, 43 % des chauves-souris ont disparu en France métropolitaine en 15 ans.