L'histoire du dimanche - Gabrielle Chasnel, alias Coco Chanel, a vécu un séjour court mais crucial et souvent mésinterprété à Royallieu, près de Compiègne. Ce passage a joué un rôle majeur dans le lancement de sa carrière et de l'empire Chanel.
À partir de 1904, bien avant d’être la célèbre couturière qu'elle est devenue, Gabrielle Chasnel a tenté en vain d'engager une carrière de chanteuse et de danseuse à la Rotonde, un café-concert à Moulins dans l'Allier. Elle y interprétait Qui qu'a vu Coco dans le Trocadéro. Les clients avaient pour habitude de l'acclamer en l'appelant Coco. Ce surnom lui est par la suite resté.
C'est dans ce café-concert qu'elle rencontre Étienne Balsan, un richissime héritier passionné de courses hippiques. Il devient son amant. En 1906, Coco Chanel accepte son invitation et le suit à Compiègne. Elle est alors âgée de 22 ou 23 ans.
La relation entre Coco Chanel et Étienne Balsan est complexe et a suscité maintes interrogations. Certaines sources affirment que Coco Chanel a été introduite auprès de Balsan par sa tante de son âge et amie Adrienne, et qu'Étienne Balsan l'aurait ensuite invitée dans son château de Royallieu.
D'autres hypothèses émettent l'idée qu'elle se serait présentée spontanément à la demeure de Balsan, pour échapper à un destin tragique. En effet, son enfance a été marquée par la pauvreté et les difficultés. Ses parents, Albert Chasnel et Jeanne Devolle, étaient tous deux issus de milieux modestes. Coco Chanel a passé une grande partie de son enfance dans un orphelinat à Aubazine en Corrèze, après le décès de sa mère en 1895. Son père, incapable de subvenir aux besoins de ses enfants, les a placés dans cet établissement dirigé par des religieuses.
Devenue adulte, Coco Chanel trouve refuge auprès de Balsan. "Voici Gabrielle, sans doute par le chemin de fer, qui arrive à La Croix Saint-Ouen ; elle loge dans la maison de maître de l'Écurie de son ami, où elle sera recensée quelques mois plus tard comme habitante du village, seule trace officielle de son passage dans notre région !", écrit Brigitte Sibertin-Blanc Durand, dans Le véritable séjour de Coco Chanel à Royallieu.
Compiègne, une ville dynamique au tournant du XXe siècle
Vers 1900, Compiègne était une ville prospère et animée, qui comptait près de 15 000 habitants. Elle était réputée pour son tourisme, son industrie résidentielle et ses établissements scolaires de grande renommée.
La ville attirait également une communauté britannique notable, qui s'était intégrée au monde des courses hippiques locales. Cette influence étrangère a favorisé l'éclosion d'une atmosphère cosmopolite et raffinée, propice aux rencontres et aux échanges culturels.
Des premiers pas remarqués dans la haute société
Situé à proximité de Compiègne, Royallieu était un hameau au sein d'une vaste propriété agricole. Propriété de l'État, cette terre était utilisée comme centre d'entraînement pour les chevaux de l'armée. Lorsque Coco Chanel s'y installe en 1905 ou 1906, elle est hébergée dans la demeure d'Étienne Balsan, éleveur de chevaux de courses. La maison, baptisée "Abbaye Royallieu", était une ancienne ferme abbatiale reconvertie en château.
Ce cadre bucolique, luxueux et isolé a permis à Coco Chanel de s'immerger dans un univers nouveau, loin de ses origines modestes. C'est donc dans l’Oise qu'elle s'initie progressivement au monde des courses hippiques et de la haute société.
Fidèle à elle-même, elle se montre anticonformiste. Lorsqu'elle fait ses premiers essais en équitation, alors que les femmes montent à cheval en amazone, Gabrielle Chasnel monte à la manière des hommes, à califourchon, ce qui était perçu comme très inapproprié.
"Assez vite, j'imagine, la jeune femme, peu soucieuse de conformisme et éprise de liberté de mouvement, eut l'idée de se faire confectionner, par le tailleur voisin de l'Entraînement de la Croix, un jodhpur [nldr : pantalon d'équitation], comme ceux qu'elle voyait porter ses amis cavaliers", écrit Brigitte Sibertin-Blanc Durand.
La "petite sauvage et mal vêtue" qui "intriguait tout le monde"
L'environnement de Royallieu a profondément impacté la carrière de Coco Chanel. À cette époque, Compiègne est une ville élégante, "qui compte un nombre impressionnant de couturières, de modistes et de petites mains ; la mode, très compliquée et chichiteuse pour les classes aisées, y est suivie attentivement et les modèles de Paris les plus en vue et recherchés y sont proposés aux belles Compiégnoises, qui aiment parader dans les salons, sur le champ de courses, en particulier au pesage, et lors des nombreuses cérémonies ou défilés où l'on peut se montrer", détaille Brigitte Sibertin-Blanc Durand.
Une opulence loin du style de la jeune Coco Chanel.
Pour assister aux mondaines courses, elle n’arbore pas les robes des grands couturiers, mais ses propres réalisations. (...) Tantôt écolière en tenue sage noire et blanche, tantôt garçonne n’hésitant pas à porter polo, cardigan, jodhpurs et pantalons, elle invente déjà un nouveau style, une nouvelle allure.
Brigitte Sibertin-Blanc DurandLe véritable séjour de Coco Chanel à Royallieu
Ses créations avant-gardistes, très sobres, contrastent avec celles que portent les femmes de la classe aisée de l’époque.
Compiègne, le point de départ de sa carrière de créatrice de mode
Paul Morand, dans l'Allure Chanel, livre paru en 1976, vrais faux mémoires rédigés d'après ses notes prises lors d'un entretien avec la célèbre couturière en 1946 en Suisse, au Grand Hôtel de Saint-Moritz retranscrit les propos de Coco Chanel : "Je me montrais aux courses de Compiègne. Je portais un canotier très enfoncé, un petit tailleur de province et je suivais consciencieusement les épreuves du bout de ma lorgnette. J'étais persuadée que personne ne pensait à moi ; c'était mal connaître la province. En réalité, cette petite sauvage et mal vêtue, avec trois grosses nattes et un ruban dans les cheveux, intriguait tout le monde".
Gabrielle Chasnel s'essaye également à la création de chapeaux, pour elle-même et ses amies, des mondaines de Compiègne. C'est la naissance de sa carrière de créatrice de mode.
L'apparition de Boy Capel, premier grand amour de Coco Chanel
Au cours de son séjour à Royallieu, Coco Chanel rencontre Arthur Edward "Boy" Capel, un riche homme d'affaires et sportif équestre britannique, par ailleurs ami de son amant Étienne Balsan.
Boy devient rapidement son amant et son mécène, la soutenant financièrement et moralement dans son ambition de conquérir le monde de la mode. Il fut son seul véritable amour. Elle s'en confie à Paul Morand.
C'est le seul homme que j'aie aimé. Je ne l'ai jamais oublié. Il fut la grande chance de ma vie… Il m’a formée, il a su développer en moi ce qui était unique.
Coco ChanelA propos de Boy, l'amour de sa vie
Des amants généreux, qui participent à son succès
Coco quitte Royallieu avec Boy pour Paris, mais elle conserve une amitié avec Étienne Balsan, qui lui prête son pied-à-terre parisien au 160 boulevard Malesherbes pour établir son premier atelier modiste.
Boy aussi se montre généreux envers Mademoiselle Chanel. C’est grâce à un prêt qu'il lui consent qu'elle installe en 1910 son "Chanel Modes", une boutique de chapeaux au 21 de la rue Cambon.
Ses premières clientes viennent naturellement du monde des courses et des relations tissées à Royallieu
Brigitte Sibertin-Blanc Durand
En 1913, elle inaugure une boutique à Deauville sous l'enseigne Coco Chanel, en 1915, sa première maison de couture Chanel à Biarritz. Et en 1919, l’amour de sa vie, Boy Capel, décède tragiquement dans un accident de voiture, ce qui affecte profondément Coco. La créatrice se noie alors dans le travail pour tenter d'oublier sa peine. Elle continue d'élargir son activité et devient l'une des plus grandes figures de la mode du XXe siècle.
L'héritage de Coco Chanel et Royallieu
Le passage de Coco Chanel à Royallieu a laissé une marque indélébile dans l'histoire de la mode. Non seulement ce séjour a catalysé sa carrière fulgurante, mais il a également solidifié son goût pour l'élégance et le minimalisme, qui sont devenus synonymes de l'esprit Chanel. En outre, la rencontre avec Boy Capel a été déterminante dans la consolidation de son statut de designer et d'entrepreneuse.
Le séjour de Coco Chanel à Royallieu représente une étape décisive dans sa vie et sa carrière. Plongée dans l'univers sophistiqué des courses hippiques et de la haute société, elle y trouve l'inspiration et le courage de se lancer dans la mode. La rencontre avec Boy Capel, son premier grand amour et mécène, lui permet de franchir un cap supplémentaire dans la réalisation de ses aspirations professionnelles. Coco Chanel a su tirer profit de son expérience à Royallieu pour bâtir un empire de la mode, dont l'influence et le raffinement demeurent inégalés.