L'histoire du dimanche - Vieux-Moulin, Compiègne, la forêt d'Halatte : le parcours criminel de Mesrine dans l'Oise

Jacques Mesrine. Un nom qui claque, un pedigree judiciaire obtenu à une époque où on utilisait encore le mot "truand" et un parcours criminel qui fait le tour de la planète avec quelques escales marquantes dans l'Oise : Vieux-Moulin, Compiègne et la forêt d'Halatte.

C’est l’un des criminels les plus connus de France. Jacques Mesrine, l’ennemi public numéro 1. Vols à main armée, cambriolages, escroqueries, enlèvements, meurtres, évasions… "Je l’ai rencontré, on avait à peu près 18 ans. Pour m’aider à payer mes cours d’art dramatique, j’ai distribué une revue satirique du Pr Choron avec lui. On travaillait dans la même équipe sur les grands boulevards à Paris. C’était en 1951", explique Michel Laentz, ancien journaliste et auteur de Jacky Mesrine, Jeunesse d’un voyou. "Par la suite, on s’est revus pour vendre des aspirateurs Tornado. On faisait du porte-à-porte. Et pour vous situer le personnage, un jour, on travaillait dans la même cage d’escalier. Je l’ai attendu une bonne heure et demie au pied de l’immeuble et quand il est descendu, je lui ai demandé ce qu’il avait fait pendant tout ce temps et il m’a répondu « ben écoute, j’ai sauté la patronne ! » C’était ça, Mesrine. Et pire encore, deux ou trois mois après, il revenait sur les lieux qu’il avait visités quand ça valait la peine pour les cambrioler. Voilà…Mesrine, c’était ça… "

Mesrine, "aubergiste" à Vieux-Moulin

Le parcours criminel de celui qu’on appellera également  "l’homme aux mille visages" pour son art du grimage ne s’arrêtera pas. Et passera plusieurs fois par l'Oise.

"J'ai vu un monsieur, bon chic, bon genre, veste à carreaux, cravate, impeccable, se présentant : "bonjour. Jacques Mesrine"

Colette Pittard en 2008, maire de Vieux Moulin de 1956 à 2001

C'est en 1967 que Jacques Mesrine va faire sa première escale dans le département. Il a déjà fait de la prison, a plusieurs braquages à son actif. Il devient, "de façon un peu obscure" selon Michel Leantz, le gérant de l'auberge de Mont Saint Mard à Vieux-Moulin, au cœur de la forêt de Compiègne.

Officiellement, l'une de ses tantes lui confie l'établissement pour qu'il se range et coupe les ponts avec ses mauvaises fréquentations à Paris. Il a 31 ans. Mais ses projets sont clairs : faire du lieu un tripot et un hôtel de passe.

Avec sa compagne de l’époque, Jeanne Schneider - "c’était quasiment le double au féminin de Mesrine. C’est une prostituée qu’il a rencontrée dans un bar à Paris et qu’il a embarquée"- il s’installe à Vieux-Moulin.  A l'époque, Colette Pittard, décédée en 2016, est maire de la commune. En 2008, elle raconte dans un nos reportages sa rencontre avec Jacques Mesrine : "j'ai vu un monsieur, bon chic, bon genre, veste à carreaux, cravate, impeccable, se présentant : "bonjour. Jacques Mesrine. C'est moi qui reprend l'auberge du Mont Saint Mard". Cette femme de caractère découvre un Mesrine "réglo". Avec elle, il respecte la loi. Chaque semaine, il vient signer ses déclarations de débit de boissons. Les rapports sont cordiaux.

Poker, prostitution et revolver

Mais l'auberge du Mont Saint Mard est moins calme que ce que Mesrine n'en laisse paraître. Celle qu’on appelle Jeannou est à la caisse, "le rêve d’une ancienne prostituée de devenir taulière, tenir le bar, enregistrer les tickets de caisse et compter la monnaie". Elle a rapidement su comment rentabiliser les 5 chambres et fait rester à demeure des jeunes filles. Jacques Mesrine joue au poker et très vite, les clients peu recommandables se pressent dans l’endroit. Souvent, l’ambiance est tendue, aggravée par le goût des embrouilles de Mesrine et son impulsivité. "Il n’a pas la manière : il ne sait pas ce que c’est que de tenir un bistrot. Il est trop brutal." Mesrine n’a pas le langage des bistrotiers qui savent se faire respecter des clients récalcitrants.

Je vois plein de monde, une agitation énorme, une femme sur une table à moitié dévêtue, des liasses de billets de banque à ses pieds, des hommes qui étaient autour.

Colette Pitard en 2008, maire de Vieux Moulin de 1956 à 2001

Le bruit se répand rapidement que Jeannou est une ancienne prostituée. Elle joue les grandes dames. Ce qui énerve prodigieusement les petits voyous qui fréquentent les établissements. Des bagarres éclatent. Mesrine n’a pas non plus l’allure d’un souteneur : "avec les filles du premier étage, ça se passe souvent mal", raconte Michel Leantz. Dans les environs de Vieux-Moulin, des cafés de jeux accueillent également des caïds de banlieue qui viennent se mettre au vert. Ces établissements finissent par jalouser le nouvel arrivant que l’on trouve suffisant et hautain.

La police locale s’intéresse aussi à Jeannou et à son passé. Les documents administratifs posent par ailleurs problème aux services fiscaux : qui est le propriétaire, le gérant, les salariés ? Tout ça dégage un capiteux parfum d’illégalité. "Mesrine s’est fourvoyé dans une activité qu’il ne maîtrise pas et dont il n’avait aucune connaissance : fréquenter des hôtels et des bars à putes ne faisait pas de lui un bon bordelier. Mesrine est un homme d’action. Le jeu est sa maladie et les femmes, sa passion. L’argent pour lui est secondaire."

La bagarre de trop

Mais la situation s’envenime : la mauvaise réputation de l’établissement attire des personnages de plus en plus sordides. Une énième bagarre éclate durant laquelle des pistolets sont sortis. "J'ai été appelée au téléphone", relate Colette Pittard à notre micro en 2008. "Des gens qui disaient « c'est urgent Colette viens-vite il se passe quelque chose d'affreux au Mont Saint Mard, on entend tirer » Je me suis habillée, j'ai pris ma 2CV et j'ai foncé. Je suis arrivée à la porte de l'établissement, je l'ai ouverte et j'ai dit « qu'est-ce- que c'est que ce bordel ? » Je vois plein de monde, une agitation énorme, une femme sur une table à moitié dévêtue, des liasses de billets de banque à ses pieds, des hommes qui étaient autour. J'avance et à ce moment-là, l'homme de main de Mesrine, Chéri Bibi, se précipite sur moi avec un coup de poing américain et là, Mesrine lui dit « n'y touche pas. Cette femme est sacrée.»

Des clients (...) m'ont raconté qu'à leur mariage, la mariée avait dansé avec Mesrine.

Le propriétaire de l'auberge du Mont Saint Mard à Vieux Moulin en 2008

Le lendemain, l’auberge est fermée, quelques mois seulement après l'arrivée de Jacques Mesrine et de Jeanne Schneider à Vieux-Moulin. Rachetée une dizaine d'années plus tard, l'auberge n'avait toujours pas perdu le souvenir de Mesrine. "Ça fait 30 ans que j'en entends parler ! Y a encore des clients qui sont venus et ils m'ont raconté qu'à leur mariage, la mariée avait dansé avec Mesrine", raconte en 2008 le propriétaire de l'époque. "Deux, trois fois par an, quelqu'un vient et me dit « je l'ai connu, je suis venu à cette époque-là. »

6 ans plus tard, Mesrine fait son retour dans l'Oise. À Compiègne. Au tribunal. Mesrine est alors emprisonné à la prison de la Santé pour avoir tiré sur un policier lors d’une altercation avec la caissière d'un café en mars 1973. Arrêté trois jours plus tard à Boulogne-Billancourt, il est condamné en mai de la même année à 20 ans de prison.

Un Luger et un juge

En 1969, alors en fuite au Québec, Mesrine avait été condamné à deux ans de prison pour une affaire de chèques sans provision liée à l’auberge de Vieux-Moulin où il a laissé des dettes. Il fait appel de cette condamnation et doit être entendu par le juge pour cette raison au tribunal dont dépend Vieux-Moulin, à savoir Compiègne. Il n’est toujours pas l’ennemi public numéro 1 "mais on commence à l’appeler « le grand », il commence à sortir de l’ombre", précise Michel Leantz.

On aurait dit une bête qui voulait s'échapper.

René Bourlet en 2008, gendarme témoin de l'évasion de Jacques Mesrine du tribunal de Compiègne

La combine commence pendant son transfert de la Santé au tribunal de Compiègne : "il dit qu’il a mal au ventre, qu’il doit aller aux toilettes. On l’emmène aux toilettes une fois arrivé au tribunal. Là, il se plaint de l’état des toilettes. Il râle. Donc on l’emmène aux toilettes des avocats à l’étage au-dessus." Une fois dans ces toilettes, il récupère un Luger qui avait été caché à l’arrière de la cuvette par un de ses complices dont Alain Caillol, un des ravisseurs du baron Empain avec lequel Mesrine a commis plusieurs braquages. "Mesrine embarque le gendarme qui l’escortait, il se rend dans le bureau du juge Petit qu’il prend en otage et dont il se sert comme d’un bouclier humain. Il sort du tribunal avec le juge. Il tire, blesse un gendarme. Il saute dans une R16 blanche qui l’attendait avec un complice", poursuit Michel Leantz.

En 2008, dans l'un de nos reportages, René Bourlet, l'un des 5 gendarmes présents au moment de cette évasion spectaculaire, racontait comment les choses s'étaient déroulées : "On aurait dit une bête qui voulait s'échapper. Il est sorti dans la cour du tribunal avec le président. Il s'est dirigé vers la sortie, il a regardé à droite et à gauche. Il a repoussé le président et il s'est sauvé en courant du côté du château. Moi, j'ai couru derrière et j'ai tiré. Je l'ai blessé au bras gauche"

Une course-poursuite s'engage alors dans Compiègne "mais il finit par disparaître dans la ville qu’il connaît bien parce que ce n’est pas loin de Vieux-Moulin où il avait exercé ses talents de restaurateurs", ironise Michel Leantz. "Il a bien monté son coup. La preuve, c’est qu’il a réussi. Même si c’était acrobatique."

L'affaire Jacques Tillier

L'itinéraire de Mesrine dans l'Oise connaît un ultime rebondissement en septembre 1979 et l'affaire Jacques Tillier, journaliste à Minute, un journal d'extrême droite. "Tillier et moi, on était tous les deux sur le même bateau des faits divers, lui, côté droit, moi, côté gauche ! Mais on fonctionnait ensemble, on se filait des tuyaux", dévoile Michel Leantz. Jacques Tillier, ce n’était pas n’importe qui : c’était un ancien contractuel de la Direction de la surveillance du territoire. C’est cette formation qui l’a amené à traiter les faits divers dans la presse : il avait un réseau et un carnet d’adresse.

Tillier avait écrit un article redoutable sur Mesrine sans le rencontrer. Un article incendiaire. Il avait une plume trempée dans le vitriol.

Michel Leantz, auteur de "Jacky Mesrine, jeunesse d'un voyou"

"Comme Mesrine, il cherchait à obtenir une reconnaissance. Pour cela, il lui fallait le scoop, l’affaire du siècle. Donc Mesrine et ses frasques étaient du pain béni pour Tillier", selon Michel Leantz. "Il avait écrit un article redoutable sur Mesrine sans le rencontrer. Un article incendiaire. Tillier avait une plume trempée dans le vitriol. Et ça n’a pas plu à Mesrine. Il m'avait dit qu'il avait décroché une interview de Mesrine. Il m'avait demandé de le couvrir, mais je n'ai pas eu de ses nouvelles après ça." Et pour cause : Mesrine veut donner une leçon à Jacques Tillier et se venger de cet article acerbe un an plus tôt.

Un article dont Mesrine se plaindra par courrier auprès du rédacteur en chef de Minute en novembre 1978 après sa parution : 

Une balle dans la joue, une dans le bras et une dans la jambe

Le 10 septembre 1979, il donne rendez-vous au journaliste. Un complice de Mesrine, Karbo dit Nounours, récupère Tillier au Chat noir rue chaussures à Paris. Ils se rendent place Champerret où un autre complice de Mesrine, Kiki, prend le relais et emmène Tillier à l’église St Vincent de Paul à Clichy. C’est le quartier où Mesrine a passé sa jeunesse donc il le connaît bien. Tillier est pris en charge par un autre complice, Charlie Bauer. Ils partent en Renault 14 verte avec Mesrine au volant. Direction l’autoroute du nord et la forêt d’Halatte dans l’Oise.

Mesrine a été quelques fois très sadique et il préférait le voir souffrir 

Michel Leantz, auteur de "Jacky Mesrine, jeunesse d'un voyou"

Tillier sent que ça ne va pas bien se passer. Dans la voiture, pendant le trajet, il est très nerveux. Arrivés dans la forêt d’Halatte, l'équipée prend "un chemin pas plus large que la voiture, ils font 150 mètres en voiture, puis une vingtaine de mètres à pied jusqu’à une caverne où ils s’engouffrent. Mesrine sort des bougies et les pose sur une table de fortune, il demande à Tillier de se déshabiller complètement et de se coucher à terre", rapporte Michel Leantz. "Evidemment, avant, Mesrine lui avait mis quelques baffes, histoire d’animer la séance".

Mesrine sort alors un revolver, " un petit calibre : s’il avait voulu tuer Tillier, il aurait pris un 11.43 et lui aurait mis une balle dans la tête et il serait parti. Mais il n’a pas voulu le tuer parce que Mesrine a été quelques fois très sadique et il préférait le voir souffrir : il lui a tiré une balle dans la joue pour ne pas qu’il parle, une dans le bras pour ne pas qu’il écrive et une dans la jambe pour qu’il ne s’enfuit pas. Puis, Mesrine et Bauer sont partis. Tillier a rampé hors de la caverne, dans le chemin et jusqu’à la route. Un automobiliste en 2CV l’a trouvé et l’a emmené à l’hôpital à moitié mort."

Des lieux qui attirent toujours les fans

Jacques Mesrine enverra des photos de Jacques Tillier nu et ensanglanté, gisant sur le sol de la caverne, au journal Le Matin. Le journaliste racontera depuis son lit d'hôpital le calvaire que lui a fait subir Mesrine : 

Pourquoi la forêt d'Halatte ? "Ce n'est pas par hasard qu’il est venu ici. Il fallait que quelqu'un lui ait indiqué cette planque ou qu'il l'ait lui-même connue", tente un habitant de Mont-la-Ville, commune de Verneuil-en-Halatte, près de Creil. Aujourd'hui, la grotte Mesrine, à l'entrée de laquelle est gravé le nom de Mesrine dans la pierre, est un lieu de curiosité, un phénomène amplifié lors de la sortie du film L'instinct de mort en 2008 avec Vincent Cassel : la scène de torture de Jacques Tillier est tournée dans la vraie caverne.

Après ces évènements, les autorités sont décidées à agir vite. Le vendredi 2 novembre 1979 à 15 h 15, Jacques Mesrine est abattu par les hommes de la BRI au volant de sa voiture porte de Clignancourt  à Paris. A ses côtés, sa compagne, Sylvia Jeanjacquot, est gravement blessée. A ses pieds, dans le véhicule, les policiers retrouveront des grenades et plusieurs armes de poing.

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