Jeu de la guillotine, rêve indien... "Le problème, c'est qu'ils ne connaissent pas le risque" : comment lutter contre les jeux dangereux à l'école ?

Les jeux dangereux perdurent au fil des générations. Le 19 novembre dernier, un nouveau cas a été signalé, au collège Ferdinand Bac, à Compiègne, entraînant le malaise d'un élève de 5e. Pour faire face, une association, composée d'une dizaine de membres, multiplie les interventions et les préventions en France.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

Les jeux dangereux se transmettent et "existent depuis très longtemps", lance Françoise Cochet, présidente de l'association Accompagner, Prévenir, Éduquer, Agir, Sauver (APEAS). Dans l'Oise, le dernier cas recensé date du mardi 19 novembre, au collège Ferdinand Bac, à Compiègne. Un élève de 5e a été victime d'un malaise dans le cadre du "Jeu de la guillotine".

Jointe par téléphone, Françoise Cochet explique qu'elle était alors en déplacement pour un fait semblable, survenu dans la cour d'une école primaire, en Ardèche. Ces jeux de strangulations ont "plusieurs dénominations, explique-t-elle. C'est très proche de ce qu'ils appellent le rêve indien ou le sommeil indien."

Le rôle des réseaux sociaux et du mimétisme 

Le rectorat d'Amiens évoque "des phénomènes de mode" émergeant "depuis plusieurs années". La présidente d'APEAS note que "ces jeux sont présentés comme un défi. Le problème, c'est qu'ils ne connaissent pas le risque". À l'aide d'une dizaine de bénévoles, l'association intervient de la maternelle jusqu'au lycée. Françoise Cochet constate : "tomber dans les pommes, c'est ce qui les amuse [...] ils ont l'impression de vivre un truc incroyable. Ils voient des hallucinations, ils ressentent des choses assez imprévisibles, improbables." C'est ainsi que commence le mimétisme, explique cette dernière.

Les deux interlocuteurs pointent la responsabilité des réseaux sociaux. "Ils contribuent à promouvoir auprès de nos jeunes élèves des pratiques potentiellement très dangereuses", indique le rectorat. Françoise ajoute, "il y a dix ans, il n’y avait pas toutes ces vidéos. Il n’y avait pas de Tiktok, il y avait Youtube. Mais maintenant, c'est un vrai désastre. C’est la course à celui qui fait le plus de vues possibles, le plus de likes."

Mais cette dernière souligne qu'on ne peut parler de "démultiplication" mais d'évolution de ces pratiques. "Ils existaient bien avant Internet. Mais avant, c'était tabou, on n’avait pas le droit d'en parler. Ça se diffusait par le bouche-à-oreille." Le rectorat d'Amiens affirme qu'après "vérification au niveau départemental et académique, il semble que les faits soient des faits isolés".

Une classification des jeux dangereux

Thibaut Hébert, maître de conférences, en sciences de l’éducation à l’INSPE de Lille Hauts-de-France depuis 2015, a réalisé plusieurs études avec Mickaël Vigne sur le sujet. Ils ont notamment réalisé deux enquêtes, au sein du laboratoire du Récifes, au niveau de l’académie de Lille, dans la circonscription d’Arras. En 2014, au niveau de la primaire. Elle révèle que "26% des enfants ont pratiqué au moins une fois un jeu dangereux". En 2020, l’enquête portait sur le collège. Il était ressorti que 21,5% des élèves avait déjà joué à ces derniers.

Quand on parle de jeux dangereux, Thibaut Hébert liste une classification établie : les jeux d’asphyxie, les jeux de défis et les jeux d’agression. Dans cette dernière catégorie, il y a deux familles : ceux intentionnels et ceux contraints. Mais les deux chercheurs préfèrent retirer les jeux d’agression contraints de cette classification. Thibaut Hébert explique : "Pour qu’un jeu soit jeu, il faut que tous les acteurs soient partie prenante du jeu". Or, les jeux contraints impliquent des enfants agressés qui n’ont pas choisi de jouer.

Les filles vont avoir tendance à jouer qu’une fois alors que les garçons s’engagent plus durablement.

Thibaut Hébert

Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’INSPE

Les deux chercheurs ont constaté "des lieux privilégiés" dans l’enceinte de l’école. Ils les nomment comme des "espaces refuges". Il liste la cour de récréation, les recoins et les toilettes. 

Concernant le profil, il n’y a pas de différence entre les filles et les garçons. Mais "les filles vont avoir tendance à jouer qu’une fois alors que les garçons s’engagent plus durablement dans la pratique.

Les deux chercheurs notent "un apprentissage des jeux dangereux par la pratique des défis" très tôt, sous forme "de construction sociale". Thibaut Hébert prend l’exemple de jeter de l’encre dans le dos du professeur. 

Les jeux dangereux, "rite" ou "dépassement de soi"

Deux interprétations tentent d'expliquer comment les enfants se lancent dans ces jeux dangereux. La première est de David Lebreton, anthropologue. Pour lui, "les jeux dangereux reviendraient à un rite ordalique. C’est-à-dire se confronter à la mort pour se sentir plus vivant", décrit Thibaut Hébert. La deuxième interprétation, de Lyng, compare ces jeux comme "un dépassement de soi". 

Les deux maîtres de conférence estiment qu'il s'agit d'un mélange des deux. Pour eux, la première interprétation est plus en lien avec les jeux d’asphyxie, "plus pratiqués par des enfants en décrochage en scolaire, ceux victimes de violence et de harcèlement."  

Une prévention en plusieurs temps 

Pour enrayer ces jeux, l'association APEAS, basée à Paris, se déplace quotidiennement à la rencontre de l'ensemble du corps éducatif et des élèves. Le combat de celle-ci, composée de parents de victimes, a commencé en 2002. Chaque prévention se réalise en plusieurs phases.

"D'abord, on réfléchit dans un premier temps au sens du mot jeu. Ensuite, on parle de la règle du jeu, on parle également du groupe et de l'effet de groupe, comment résister à celui-ci. Comment savoir dire non." Lors de ce temps d’échanges, les intervenants se basent à partir des témoignages des élèves qui ont "vu faire" ou qui "ont pratiqué eux-mêmes". La liste peut parfois prendre de l'ampleur. 

C’est à partir de leurs expériences que l'association aborde le corps humain et l'aspect des fonctions vitales, comme le crâne et la colonne vertébrale. Des organes impactés par ces pratiques. Un point est par ailleurs fait sur la respiration pour comprendre l’importance de l’oxygène.

Des interventions pas suffisantes

Ces préventions ne sont pas suffisantes, déplore Françoise Cochet. "On est une poignée à intervenir dans les classes, je suis en train de former des nouveaux, mais on n’est pas nombreux. On est une dizaine maximum à intervenir pour toute la France." De son côté, le rectorat d'Amiens explique mettre en place un processus lorsqu'il est identifié une propagation de ces jeux. "Nous sommes en capacité d’alerter l’ensemble des directeurs et chefs d’établissement et de leur transmettre rapidement des consignes quant à la conduite à tenir pour prévenir ce genre de comportement." Elle évoque une "sensibilisation des élèves et des personnels, appel à la vigilance, notamment auprès des parents". Ce qu'à fait le principal du collège Ferdinand Bac, affirme le rectorat.

Des chiffres de victimes difficiles à avoir

Lorsqu'on demande à Françoise Cochet le nombre de cas recensés, elle met en avant l'impossibilité d'en avoir des précis. "On connaît que les cas qui nous sont signalés et souvent par des familles. Elles sont tellement démontées, tellement un état désastreux que certaines n’osent même pas nous appeler. Parfois, elles nous appellent que 10 ans après la mort de leur enfant." Cette année, trois cas de décès suite à des pratiques dangereuses ont été rapportées à l'association.

Elle explique cette difficulté notamment par les "enquêtes de police ou de gendarmerie qui ne disposent que de deux petites cases à remplir. Soit la case décédée par suicide, soit décès par accident domestique. Il n'y a pas de case jeu dangereux.

L'association, agréée par le Ministère de l'Éducation nationale, souhaite aller plus loin. "Il faudrait généraliser ces préventions dans les classes. Nous, on fait ce qu'on peut. On est une association de bénévoles, donc on agit un peu comme des pompiers". Le 8 juillet 2013, la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école République évoque la sensibilisation et la formation du corps éducatifs, "la prévention et à la lutte contre ces pratiques". Pas suffisamment aux dires de l'association.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information