Gérald Darmanin a annoncé vendredi 7 juillet saisir la justice contre le journal Oise Hebdo pour avoir publié l'identité du policier mis en cause dans la mort de Nahel. L’hebdomadaire a publié son portrait et révélé son nom et sa commune de résidence.
Un nom et une photo ont fait réagir le ministère de l'Intérieur. Oise Hebdo a publié jeudi 6 juillet, sur son site internet, un article, non signé, relatant la vie du policier auteur du tir mortel contre Nahel le 27 juin dernier, à Nanterre et placé en détention.
Ses états de service, des détails sur son enfance, sa famille, le journal picard donne aussi le nom du village où il résiderait ainsi que son nom complet et diffuse son portrait. Des informations traitées au conditionnel et piochées dans différents médias.
Des poursuites contre Oise Hebdo
Le syndicat Unité SGP Police FO a affirmé dans un communiqué qu'il avait "saisi et obtenu du ministre de l'Intérieur des poursuites contre cette honteuse révélation (d'Oise Hebdo) permettant d'identifier le domicile (du policier et de sa famille) alors qu'ils sont menacés de mort".
Oise Hebdo publie des informations personnelles mettant en danger la vie de la famille du policier en détention
Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur
Gérald Darmanin a annoncé saisir la justice contre le journal. "Oise Hebdo publie des informations personnelles mettant en danger la vie de la famille du policier en détention", a tweeté le ministre de l'Intérieur. "Malgré nos demandes de retrait de ce contenu irresponsable, celle-ci persiste. Je saisis le procureur de la République", a ajouté Gérald Darmanin.
L'indignation des internautes
L’hebdomadaire assume et se justifie auprès de l’AFP. "Je m'étonne de la décision du ministre d'agir immédiatement contre Oise Hebdo alors que l'information circule sur internet depuis six jours", a réagi, jeudi soir, le directeur du journal, Vincent Gérard. Il souligne avoir donné "juste le nom d'une ville de 5 000 habitants", alors que l'adresse précise du policier, comme son nom, sont accessibles sur internet.
Depuis que ces informations circulent, "le ministère de l'Intérieur a dû prendre les dispositions de protection de la famille", ajoute-t-il, avant de conclure : "Mon métier est de raconter ce qui se passe dans l'Oise. C'est le cas."
Vous êtes le sous-torchon des torchons. S’il devait arriver quelque chose à la famille, vous seriez les premiers responsables !
Commentaire d'un internaute
Dès la mise en ligne, les internautes s’insurgent et publient de nombreux commentaires indignés à la suite de cet article, signé "La rédaction". "Ok mais quel intérêt de dévoiler l'identité d'un policier ?", "Vous risquez la vie de la famille !", "C'est une question de bon sens. Vous ne divulguez pas seulement son nom, vous évoquez sa ville et mettez en danger sa famille dans un contexte particulièrement tendu", "Vous êtes le sous-torchon des torchons. S’il devait arriver quelque chose à la famille, vous seriez les premiers responsables ! C’est ce que vous souhaitez ?!", peut-on encore lire. Un internaute publie même les numéros de téléphone du directeur du journal et des journalistes de la rédaction.
La justification de l'hebdo
L’article est toujours accessible sur le net malgré la surcharge de la page. Et Oise Hebdo persiste et publie un second article, ce vendredi 7 juillet. Cette fois-ci, il est signé par le directeur de l’hebdomadaire. Un article sous forme de réponse aux accusations. Vincent Gérard fait référence à la loi sur la liberté de la presse et rappelle qu’elle "fixe de façon limitative la liste des fonctionnaires de police et militaires de la gendarmerie nationale qui ont droit à l’anonymat. Le policier impliqué dans la mort de Nahel, à Nanterre, le 27 juin, n’est pas inclus dans cette liste. Il n’est pas concerné par cette loi."
Pour le directeur, il ne s’agit donc pas d’un choix déontologique, mais législatif. Il précise également que la rédaction a repris des informations "divulgués sur plusieurs sites". "Ce sont plutôt des sites d’extrême gauche "anti-flics". Il y est dit, notamment, que le policier habite dans l’Oise", explique Vincent Gérard, avant d’ajouter que ces informations ont été vérifiées par la rédaction.
Ce vendredi matin, sur le plateau de France Info, Laurent Nunez, le préfet de police de Paris, a indiqué que des "investigations judicaires" sont menées afin "d’interpeller des individus qui menacent ou révèlent l’identité et l’adresse du policier", précisant que deux personnes avaient déjà été interpellées dans ce cadre.
Des sanctions pénales
Comme ces internautes, le directeur de Oise Hebdo pourrait se retrouver face à la justice. L'article 223-1-1 du code pénal de 2021, dit "article Samuel Paty", adopté après l'assassinat de l'enseignant, pourrait s'appliquer. "Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d'une personne permettant de l'identifier ou de la localiser aux fins de l'exposer ou d'exposer les membres de sa famille à un risque direct d'atteinte à la personne ou aux biens que l'auteur ne pouvait ignorer est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende."
Les peines peuvent être plus lourdes "lorsque les faits sont commis au préjudice d'une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou titulaire d'un mandat électif public ou d'un journaliste... Les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende."
Connu pour ses "Unes" à scandale sur des faits divers locaux, Oise Hebdo a déjà fait l'objet de plusieurs procès. Faits divers, politique et absence d'anonymat sont l'ADN de Oise Hebdo depuis ses débuts, en 1994. En 2017, France 3 Picardie s'était penché sur ce journal dans une série diffusée sur notre antenne. Notre enquête avait révélé que la ligne éditoriale de l'hebdomadaire lui avait valu des ennuis avec la justice, avec une trentaine de procès en 23 ans, à l'époque.
Le parquet de Compiègne a ouvert une enquête vendredi pour diffusion "d'informations permettant d'identifier ou de localiser une personne dépositaire de l'autorité publique" aux fins de l'exposer lui ou sa famille à un risque "d'atteinte à la personne ou aux biens", a précisé à l'AFP la procureure, Marie-Céline Lawrysz.
La section de recherches de la gendarmerie d'Amiens est chargée de l'enquête.