La préfecture de l'Oise a retoqué l'installation de six éoliennes de 180 m de haut, sur la commune d'Éragny-sur-Epte. Au cœur de son argumentaire : les tableaux du peintre impressionniste Camille Pissarro. Habitant de la commune à la fin du XIXe siècle, il y réalisa de nombreux tableaux. Des œuvres qui seraient dénaturées par la présence d'éoliennes.
Pissarro 1 - projet éolien 0. Pour la deuxième fois en bientôt quatre ans, le projet de parc éolien situé entre les communes d’Éragny-sur-Epte et Flavacourt (Oise) a été retoqué par la préfecture de l’Oise. Argument environnemental ? Pas tout à fait, le motif est artistique. Dans son arrêté, la préfète invoque la figure de Camille Pissarro, peintre impressionniste décédé un siècle plus tôt en 1903.
"Le site et ses grands panoramas surplombés par le clocher d’Éragny-sur-Epte furent une source d’inspiration pour l’artiste peintre Camille Pissarro, figure de l’impressionnisme. Le paysage d’Éragny-sur-Epte et ses environs ont été immortalisés grâce à la richesse des œuvres de Pissarro exposées aujourd'hui à travers le monde dans les musées les plus prestigieux."
En somme, installer des éoliennes reviendrait à dénaturer le paysage et, par capillarité, les tableaux de l’artiste.
L’argument Pissarro
Le projet prévoyait l’installation de six éoliennes de 180 m près du bois des Chesnots, entre Éragny-sur-Epte et Flavacourt, à l’extrême ouest de l’Oise, à la frontière avec le département de l’Eure. Dès l’annonce du promoteur de s’implanter dans le Vexin en 2017, s'est ensuivi une importante levée de boucliers.
En 2020, un premier arrêté préfectoral s’opposant à la construction est publié, soutenu par l’ancienne ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, et finalement cassé par la cour d’appel de Douai (Nord). "Nous allons chercher de nouveaux arguments, nous ne baisserons pas les bras", avançait à l’époque Cathy Masson, trésorière de l’association anti-éolienne Le Bruit du Vent, à la sortie du tribunal.
Trois ans plus tard, la nouvelle préfète de l’Oise, Catherine Seguin, fait de l’art sa ligne de défense. "Le paysage de la vallée, rendu célèbre grâce à l'œuvre du peintre Camille Pissarro, présente un caractère remarquable qu’il convient de préserver alors que les aérogénérateurs [éoliennes] du projet créeront des effets de surplomb et de concurrence visuelle vis-à-vis de ce paysage représentatif."
En se basant sur l’étude d’impact environnemental du promoteur, la préfecture craint une modification du paysage "de manière irréversible à l’échelle de l’ensemble de la vallée, portant sans conteste atteinte à ces vues emblématiques".
Camille Pissarro à Éragny-sur-Epte
Qu’en aurait pensé Pissarro ? Depuis son atelier, situé au cœur de la commune, l’artiste avait une vue imprenable sur la vallée de l’Epte. Né en 1830 aux Îles Vierges (auparavant Antilles danoises) Camille Pissarro devient à la fin du XIXe siècle une figure majeure de l’impressionnisme, courant artistique qui se caractérise par la peinture de paysage et de scènes de la vie quotidienne.
En 1884, grâce au prêt de son ami Claude Monet – autre fondateur de l'impressionnisme – il achète une maison dans le petit village de l’Oise, charmé par la nature qui l’entoure. Il écrira même à son fils, Lucien, le 1er mars 1884. "C’est à deux heures de Paris, j’ai trouvé le pays autrement beau que Compiègne (...) voilà le printemps qui commence, les prairies sont vertes, les silhouettes fines, mais Gisors est superbe, nous n’avions rien vu."
Le peintre occupera la maison d’Éragny-sur-Epte jusqu’à sa mort en 1903. Durant toutes ces années, il fait de la commune son sujet de prédilection. Il peint des paysages du Vexin de l’époque, depuis son jardin et les rues du village, et des scènes de la vie quotidienne.
En 1998, l’atelier et le jardin de Camille Pissarro sont inscrits au titre des monuments historiques "pour leur intérêt artistique et historique", précise la préfecture.
Patrimoine versus éoliennes
Mais Pissarro n’est pas le seul atout dans la main de la préfecture. Catherine Seguin a également pointé du doigt les atteintes aux monuments historiques. L’église de Bazincourt-sur-Epte du XIe siècle, inscrite aux monuments historiques, l’église de Flavacourt, classée, pourraient être impactées par l’implantation des éoliennes et passer au "second plan par rapport aux mâts."
Même le château de Gisors, ancien édifice médiéval en cours de restauration, pourrait souffrir de la concurrence des engins. "La très grande hauteur de mâts (180 m) des éoliennes du projet est démesurée par rapport à la hauteur du château (...) inversant les rapports d’échelles historiques entre les édifices séculaires et le paysage", précise la préfète.
Les tableaux de Pissarro seront-ils plus forts que les éoliennes ? La décision de la préfète de l’Oise peut encore être contestée et déférée auprès de la cour administrative de Douai par les promoteurs du projet.