Ils font partie des plus exposés et sont pourtant bien démunis face à la pandémie de coronavirus. Les pharmaciens sont ceux que les patients vont parfois même voir avant leur propre médecin. Pourtant, face à l’épidémie, ils se retrouvent souvent seuls et sans armes.
Elie Lemaire est pharmacien à Abbeville, dans la Somme. À l’annonce du confinement, il décide de prendre ses dispositions lui-même, avec son équipe. Des mesures de protection titanesques qu’ils mettent en place ensemble dès le mardi 17 mars.
Les clients sont d’abord filtrés à l’entrée de l’officine après avoir précisé l’objet de leur visite. À l’intérieur, pas plus de six personnes à la fois (un par comptoir). Les patients suspectés d’être atteints du Covid-19 (après analyse de leur ordonnance notamment) n’entrent pas dans l'établissement et sont pris en charge par un pharmacien ou un préparateur isolé. Devant chaque comptoir se trouve une vitre en plexiglass. Les lecteurs de carte bleue et de carte vitale sont à disposition des patients.
"Evidemment, on porte un masque et on désinfecte nos mains après le passage de chaque client. On nettoie également nos locaux toutes les heures avec les produits appropriés", précise Elie Lemaire. Ces mesures, il les a prises pour essayer de faire face à la crise le plus longtemps et le plus sereinement possible. "Les conditions ne sont pas optimales, mais on tente de les optimiser. J’ai même divisé mon équipe en deux. Une partie gère les premiers jours de la semaine, l’autre s’occupe du reste." Sur ses 16 collaborateurs, 6 sont en arrêt maladie (dont une personne diagnostiquée Covid-19).
Tous les pharmaciens ne sont pas égaux face à l’épidémie, Elie Lemaire le sait : "On a des moyens que toutes les pharmacies n’ont pas en termes de personnels."
Ils ont bien tous reçu, au même titre que les autres professionnels de santé, des dotations de masques. Seulement, elles ne concernent pas les préparateurs et ont été livrées à partir du mercredi 18 mars, soit deux jours après l’annonce du confinement. Une arrivée tardive qu’Antoine Darras, président du syndicat des pharmaciens de l’Oise, déplore : "Deux jours avant, 10 millions de personnes se sont rendues dans nos pharmacies (dans toute la France, ndlr) pour s’approvisionner avant le confinement. Les masques sont arrivés trop tard". Pour lui, la situation est plus compliquée. "Les deux tiers de mes collaborateurs sont malades. J’ai moi-même eu les symptômes du Covid-19, quelques jours après avoir appris qu’un des préparateurs avait été testé positif."
Solidarité et système D
Pour faire face tant bien que mal, un système de solidarité se met alors en place. "C’est quelque chose qu’on ne connaissait pas vraiment. À la base les pharmaciens sont assez individualistes, mais avec la crise, un vrai réseau d’entraide s’est mis en place" souligne Antoine Darras.Le système D pour se protéger, mais aussi pour protéger les autres et continuer d'assurer sa mission : à Beauvais, un groupe de pharmaciens a réussi à collecter 20 000 masques auprès d’entreprises pour les redistribuer aux infirmiers et médecins. "On essaye de combattre le virus avec nos armes".
Pas d’informations claires de la part des autorités
Si les pharmaciens créent leurs propres réseaux de solidarité, c’est aussi pour pallier le manque de consignes et d’instructions de la part des autorités sanitaires. "Au début, on avait très peu d’informations de l’ARS (Agence régionale de santé, ndlr) notamment. Il a fallu appeler et se fâcher pour dire que nous étions là, en première ligne, notamment dans l’Oise avec les premiers foyers épidémiques", déplore Antoine Darras. Face à une absence de consignes, les pharmaciens sont contraints de prendre leurs propres dispositions, parfois trop tard.Avec l’épidémie, la situation évolue. Après n’avoir eu aucune instruction pendant plusieurs semaines, c’est l’inverse qui fait défaut. "Maintenant on a des informations, mais elles changent tout le temps", selon le pharmacien, dont le point de vue s’accorde avec celui de son confrère à Abbeville. "La problématique, c’est qu’on a le sentiment de ne pas avoir d’informations fiables".
Servir les patients, envers et contre tout
Dans l’épidémie qui touche notre pays, les pharmaciens semblent pris en étau entre la nécessité de se débrouiller seuls et celle de continuer d'assurer leur service malgré tout. Certains patients se rendent chez ces professionnels de santé avant d’aller chez leur propre médecin. "Aujourd’hui encore, on a des gens qui ont de la fièvre, qui toussent et qui passent chez nous", témoigne Elie Lemaire. "On est l’un des derniers liens sociaux que les gens aient".En effet, les pharmaciens sont gratuits, ouverts tous les jours, 24h/24. Leur service de garde est l’un des seuls à couvrir aussi densément le territoire français (en France métropolitaine, 97% des habitants vivent à moins de 10 minutes en voiture d’une officine). "Il est évident que nous sommes en première ligne", affirme M. Lemaire.
En première ligne face à une patientèle parfois tendue et qu’il faut rassurer (le nombre d'agressions envers les pharmaciens a augmenté de plus de 50% depuis le début de l'épidémie). Calmer des clients venus réclamer des masques, parfois sans en avoir pour se protéger soi-même. "Ça reste une minorité, assure Antoine Darras, mais on arrive parfois à des agressions verbales envers nos équipes. On comprend que des patients nous en veuillent. On sait dans quel état de stress ils peuvent être. Mais il n’est pas toujours facile d’y faire face".
Fort heureusement il y encore les remerciements, nombreux, de ceux qui se réjouissent de trouver les portes de leur officine ouvertes, quand la plupart des commerces ont baissé leur rideau.