Comment revenir en classe après un tel drame? Quels mots prononcer aux élèves? Après l'assassinat de Dominique Bernard, professeur de Lettres au Lycée Gambetta d'Arras, ce lundi est dédié à l'écoute et à l'échange. Explications.
"Demain, les cours reprennent mais il y a aura un avant et un après". Mathieu Clouet, inspecteur et référent laïcité de l'Académie de Lille le reconnaît : la page va être difficile à tourner, "je n’imagine pas que les collègues puissent revenir demain à l’ordinaire." Mais cette journée de transition doit aider.
Même s'il n'y a pas de cours ce lundi à la cité scolaire Gambetta-Carnot d'Arras, les élèves et professeurs sont là en nombre. Et c'est important, poursuit l'inspecteur: "les adultes sont ici aujourd'hui pour recevoir l'émotion des enfants ou jeunes adultes, car si les affects ne s’expriment pas, ils risquent d’être prisonniers. Ils n’ont pas toujours les mots pour dire leur sentiment, soit de la colère, de la tristesse ou autre."
Gérer les émotions
Mais avant de "s'occuper" des enfants, les enseignants doivent d'abord gérer leurs émotions. "Il s'agit de mettre du commun sur une situation qu’ils ont tous vécu individuellement", poursuit Mathieu Clouet. D'où ce temps réservé aux professeurs avant de retrouver leur classe.
"C'est difficile de trouver les mots, se confie cette professeure de mathématiques. Nous sommes unis, nous professeurs. Nous sommes horrifiés nous avançons comme nous pouvons. Les idées sont chaotiques, les pensées fluctuent entre tristesse, horreur et sidération."
Les professeurs ont besoin de se retrouver entre eux pour savoir comment parler à leurs élèves, quelles réponses leur apporter.
Mathieu Clouet, référent laïcité à l'Académie de Lille
Il s'agit notamment de s'attaquer aux Fake news, ces diffusions intentionnelles de fausses nouvelles, de rumeurs. Les enseignants sont là pour rétablir la vérité, indique Mathieu Clouet : "on ne peut pas dire pour rationaliser l'événement car le fanatisme échappe à la rationalité mais pour construire un discours qui soit vrai."
Comment construire ce "discours de vérité" ?
Les enseignants de l'académie de Lille bénéficient, selon l'inspecteur, de trois piliers d'aide :
- d'abord un appui psychologique : deux cellules d'écoute sont en place. Au niveau national, des personnes formées répondent aux appels des professeurs qui le souhaitent. Une ligne spéciale est activée : 0805 50 00 05. L'Académie a également ouvert un numéro dédié aux enseignants : 03 20 15 62 00. Numéro qui restera actif le temps qu'il faudra.
- Ensuite, une présence. Tous les inspecteurs sont déployés ce lundi dans des établissements de l'Académie. "On est surtout là pour manifester par notre présence, c’est-à-dire, le soutien de l’institution, pour écouter ce que nos collèges ont à dire et éventuellement faire remonter des événements s'ils le souhaitent", explique le référent.
- Enfin, des ressources, c'est-à-dire de la documentation rédigée spécialement depuis les événements de vendredi. Le site éduscol met en ligne "quelques principes pour aborder une actualité violente avec les élèves". Les professeurs sont libres de consulter, ou pas, ces documents.
Les parents doivent nous faire confiance. Le personnel est formé, il trouvera les mots et saura s’adapter à la situation et la sensibilité de chaque enfant.
Mathieu Clouet, référent laïcité de l'Académie de Lille
"Aujourd'hui, Je veux simplement dire aux élèves que je serai là pour les écouter, les accompagner autant que possible, explique Christine Aramini, la professeure de mathématique.
Une minute de silence
Un hommage collectif est enfin prévu ce lundi après-midi, une minute de silence à 14h, cette fois dans tous les établissements de France. Minute durant laquelle, "je ne tolérerai aucune contestation ou provocation" a prévenu Gabriel Attal, le Ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse.
"Ce phénomène existe mais il est minoritaire, reconnaît Mathieu Clouet. Il arrive qu'un élève refuse la minute de silence en faisant du bruit ou en manifestant sa solidarité avec l’attaquant". Dans ce cas, un signalement est de suite effectué au chef d'établissement qui s'entretiendra avec l'élève en question.
"Le premier enjeu pour nous, explique l'inspecteur, c'est de ne pas laisser personne porter atteinte à la mémoire de nos collègues et à l’Ecole en général." Et derrière, l'autre enjeu, c'est de repérer le profil de l'élève pour déceler s'il est lui-même en danger. "Un jeune avec un ancrage idéologique qui perturbe l'hommage peut-être exposé, à l'extérieur de l'école, à un discours qui pourrait le mettre en danger."
Le ministre a alors demandé qu'une saisine au procureur de la République soit systématisée pour engager si besoin des poursuites.
"Après tout cela, conclut Christine Aramini, il faut que ce lycée redevienne un lieu de vie, de savoir d’apprentissage et d’épanouissement."