Attentat d'Arras. "Elle me dit qu’elle est barricadée dans la classe", un parent d'élève raconte cette journée d'horreur

Benoît Descamps, parent d'une adolescente marquée par l'attaque au couteau d'Arras, raconte la journée du 13 octobre 2023, telle que lui et sa fille l'ont vécue. Il revient sur le traumatisme durable de sa fille.

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Benoît Descamps a gardé les SMS avec sa fille, élève au lycée Gambetta, échangés le 13 octobre 2023. Un an après, la jeune fille reste traumatisée par cette journée. Son père a fait  le choix de raconter cette journée traumatisante à sa place.

“J’étais dans le cadre du travail. Et là, mon téléphone sonne, SMS de ma fille qui dit : “Papa, alerte attentat au lycée, ce n’est pas un exercice”. Sidération… On est dans le Nord Pas-de-Calais. Ma fille est scolarisée à Arras. On n’est pas à Paris, on n’est pas à New-York."

Sur le moment, pas d'inquiétude particulière

"Je n’ai pas de peur particulière des attentats. Donc je ne prends pas tout de suite le message avec le sérieux que requiert la situation. Elle me dit qu’elle est barricadée dans la classe. Je commence à comprendre que c’est une vraie alerte attentat et qu’il se passe quelque chose de différent dans le lycée. Donc je lui dis : “Suis les consignes et on se tient au courant”."

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"J’appelle mes parents, il n’y a rien à la télé, rien à la radio… On est vraiment au tout début des événements. On n’a aucune info si ce n’est celles de ma fille. Je ne réalise pas sur le coup. Attentat, ça peut être n’importe quoi ? Ça peut être quelque chose de banal comme quelque chose de dramatique avec des centaines de morts : une bombe, quelqu’un avec un fusil-mitrailleur, comme on voit dans les lycées américains. Mais là, on est à Arras, je me dis qu’elle a employé un mot un peu fort, qu’elle n’a pas maîtrisé. Je ne m’imagine pas le pire tout de suite."

Elle me dit qu’elle est barricadée dans la classe. Je commence à comprendre que c’est une vraie alerte attentat et qu’il se passe quelque chose de différent dans le lycée.

Benoît Descamps

parent d'une élève du lycée Gambetta

"On échange par SMS. Elle me dit qu’un type avec un couteau se balade dans le lycée. Donc pour moi, à ce moment-là, c’est juste quelqu’un qui est rentré dans l’établissement avec un couteau. Quinze jours ou trois semaines avant, ils avaient répété les consignes de l’alerte attentat. Sur l’instant, la situation n’a pas la gravité qu’on lui connaît aujourd’hui."

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"Le fait que ça nous touche, que ça touche ma fille, dans son lycée de province… C’est tellement improbable, que la première journée, on ne réalise pas. On ne s’attend pas à ce que ses enfants vivent quelque chose comme ça à l’école."

Les forces de l'ordre interviennent et interpellent l'assaillant. Un message automatique est alors envoyé à tous les parents.

Réalisation de la gravité des événements

"On reçoit un premier message, destiné aux parents d’élèves, qui dit “Rassurez-vous, vos enfants sont confinés jusqu’à nouvel ordre, la situation est sous contrôle”, quelque chose comme ça. Ensuite, les élèves doivent garder leurs téléphones coupés donc on arrête la communication avec ma fille. Une heure après, on a eu un deuxième message, on va pouvoir venir chercher nos enfants."

"Donc je prends la voiture, Arras est bouclé, il y a plein de filtrages. Elle sort enfin. Elle est restée enfermée dans sa classe sans trop savoir ce qu’il se passait de 11 heures 20 du matin à quasiment 15 heures 30."

On est en train de manger, on discute de ce qu’il s’est passé. Et en fait il y a une sirène de police qui passe à côté du restaurant. Elle entend la sirène et se met à pleurer.

Benoît Descamps

parent d'une élève du lycée Gambetta

"Donc quand je la récupère, il y a du soulagement mais surtout, je veux savoir dans quel état psychologique elle est. Elle a l’air bien elle me dit qu’elle est bien, elle me dit qu’elle n’a pas mangé, qu’elle a faim."

"On va dans un fast-food à deux pas du lycée. On est en train de manger, on discute de ce qu’il s’est passé. Et en fait, il y a une sirène de police qui passe à côté du restaurant. Elle entend la sirène et se met à pleurer. Et là je me dis “Merde”. Ce n’est pas aussi net et aussi simple que ça paraît. Effectivement, elle a l’air bien de prime abord. Mais il s’est vraiment passé quelque chose qu’elle n’aurait pas dû vivre et qui semble l’affecter réellement. Quand elle s’est mise à pleurer, là, j’ai pris conscience de la gravité des événements et de ce qu’elle avait vécu, elle, en tant qu’élève."

Un traumatisme durable

"Si elle n’a rien vu, elle a entendu. L’assassin est rentré, il s’est passé des événements dans la cour du lycée, donc ça, elle l’a entendu. Elle et ses camarades de classe ne l’ont pas vu mais l’ont entendu. C’est quelque chose d'assez traumatisant aussi. Car ne pas voir un danger mais juste l’entendre, quelquefois, c’est encore plus stressant que de voir en face ce qui se passe."

"Surtout, à notre époque, la vitesse des réseaux sociaux fait que les quelques élèves présents autour du professeur qui gisait sur le sol, ont pris des photos et des vidéos et ça a tourné à vitesse grand V sur les réseaux sociaux. C’est-à-dire qu’elle n’était pas encore sortie de la classe qu’elle avait déjà vu des images que nous, on n’avait pas encore découvertes et qu’on ne verra jamais à la télévision – car ce sont des images qui ont été prises sur le fait, juste après les événements."

Ma fille a vécu un attentat, qu’est-ce que je dois lui dire ?

Benoît Descamps

parent d'une élève du lycée Gambetta

"À partir du moment où je l’ai récupéré, je n’étais pas préparé à ça. Il faut trouver les mots pour une situation que je ne connaissais pas. Ma fille a vécu un attentat, qu’est-ce que je dois lui dire ?"

"Le reste de l’après-midi, on a beaucoup discuté, on est allés chez papy et mamie. Et pendant le week-end, on a encore beaucoup parlé.  Le lendemain, elle m’a dit : “Toi tu n’as pas vécu ça, papy n’a pas vécu ça. Moi j’ai 15 ans et j’ai déjà vécu un attentat.” Elle m’a dit qu’elle ne voulait pas retourner au lycée, je l’ai rassurée, en lui disant qu’il ne lui arriverait plus rien. Et à peine arrivée le lundi matin, alerte attentat. Allez dire à votre fille qu’il ne se passera plus rien quand il y a trois ou quatre alertes attentat dans les semaines qui suivent…"

La cicatrice, même si elle est refermée, restera longtemps.

Benoît Descamps

parent d'une élève du lycée Gambetta

"Le lycée a mis en place une cellule psychologique donc je l’ai un peu poussée à y aller. En tant que parent, je me suis dit, il faut qu’elle en parle le plus possible. Avec sa mère, on a fait le choix aussi de consulter quelqu’un, pour qu’elle puisse discuter de ça. On est ses parents, on est ses confidents pour tout un tas de choses mais à un psy, on peut dire des choses qu’on ne dit pas aux parents."

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"Encore maintenant : c’est quelque chose qui reste ancré dans sa mémoire et qui ressurgit au moindre petit truc… Ça peut être un son, ou autre chose. Dans ces moments-là, elle me regarde et je sens dans son regard que c’est de ça dont elle veut parler. On a cette relation père-fille, où on sait : elle sait, je sais. On n’en parle pas forcément mais on s’est compris. Un petit câlin dans les bras et on est repartis. Mais je pense que c’est quelque chose qu’elle traînera comme un boulet longtemps. Elle a vécu un attentat. La cicatrice, même si elle est refermée, restera longtemps.”

Avec Arnaud Moreau et Stéphane Bruhier

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