Le ministère de l'Agriculture a annoncé la mise en place d'une dérogation pour permettre aux betteraviers d'utiliser davantage un insecticide qui protège leurs cultures de la jaunisse. Pour certains cultivateurs, c'est "insuffisant". Pour d'autres, cette décision est "irresponsable".
Ils ne pouvaient l’utiliser qu’à deux reprises jusqu’alors, les betteraviers pourront désormais pulvériser l’insecticide sur leurs cultures jusqu’à 5 fois si nécessaire. L’annonce a été faite ce vendredi 5 avril 2024 par Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l’Agriculture.
Une décision justifiée par le gouvernement alors que le risque de jaunisse de la betterave provoquée par les piqûres de pucerons, est présenté comme très élevé. En cause, l’hiver très doux dans la région, associé à des pluies quasi-constantes depuis l’automne.
Venir auprès des betteraviers du Nord et du Pas-de-Calais n’a pas été choisi au hasard, car les Hauts-de-France produisent plus de la moitié des betteraves industrielles de notre pays, sur les quelque 12 000 exploitations que compte la région. La filière betterave représente 1 500 emplois permanents et 800 emplois saisonniers. Autant d’agriculteurs qu’il fallait rassurer, après plusieurs demandes relayées par Xavier Bertrand ces dernières semaines.
1. Quel est l’insecticide concerné ?
L’insecticide concerné s’appelle le Movento. Il est fabriqué par Bayer et sa matière active est le spritotetramate. Les betteraviers l’utilisent notamment depuis l’interdiction en France des néonicotinoïdes, des pesticides tueurs d’abeille. Cette interdiction, décidée au niveau européen, avait provoqué la colère des agriculteurs, faute d’alternatives suffisantes.
Avec cette dérogation, les agriculteurs pourront asperger leurs betteraves cinq fois au lieu de deux pour lutter contre la jaunisse. Pour l'heure, une première dérogation de 120 jours permettra d'effectuer le troisième traitement de Movento. Si la pression des pucerons est trop forte plus tard, d'autres dérogations, permettant les deux autres passages de l'insecticide, seront prises, a-t-on précisé au cabinet de la ministre.
2. Quels risques pour la santé ?
Interrogée, Agnès Pannier-Runacher s’est défendue de faire un compromis sur la santé publique en autorisant le recours accru au Movento. "Les dérogations sont données sur des molécules qui sont autorisées au niveau européen, donc ce n’est pas une dérogation par rapport à des molécules interdites", a tenu à préciser la ministre.
C’est un engagement du @gouvernementFR : toutes les filières qui ont besoin de solutions ou alternatives aux produits phytosanitaires interdits seront accompagnées.
— Agnès Pannier-Runacher 🇫🇷🇪🇺 (@AgnesRunacher) April 5, 2024
Je l’ai rappelé aux agriculteurs que j’ai rencontrés ce matin au "Pôle légumes Région Nord" dans le Pas-de-Calais. pic.twitter.com/Etjwit4IgJ
Un avis non partagé par Générations Futures. Dans un communiqué publié dans la foulée de l’annonce faite par la ministre, l’association rappelle que le spirotetramate (matière active de l’insecticide), est "officiellement classé par l’Union européenne comme étant suspecté toxique pour la reproduction". François Veillerette, porte-parole de l’association, demande au gouvernement de renoncer à accorder cette dérogation. "Nous regrettons que le gouvernement cède systématiquement aux demandes du monde agricole en matière de pesticides au mépris du principe de précaution", a-t-il ajouté.
3. Insuffisant pour certains, irresponsable pour d’autres : qu’en pensent les betteraviers ?
Invités à prendre la parole lors de la visite de la ministre dans le Pas-de-Calais, les premiers concernés ont jugé cette dérogation "indispensable" mais "insuffisante". Leur crainte : que les pucerons s’adaptent au produit et que la jaunisse fasse davantage de ravages que lors de l’épisode de 2020, année noire pour les betteraviers. "Le risque, c’est d’utiliser cinq fois le même produit, la même molécule sur les pucerons, au risque de développer des résistances et le produit sera peut-être inefficace à terme, car les pucerons seront devenus résistants à cette molécule et on se privera de la molécule même", explique Fabien Hamot, président de la Confédération Générale des Planteurs de Betteraves (CGB) dans la Somme.
La CGB, association spécialisée affiliée au syndicat majoritaire FNSEA, demande notamment une dérogation pour un autre insecticide interdit en France depuis 2016, l’acétamipride. "Nous, ce qu’on demande, c’est de pouvoir utiliser d’autres molécules qui sont utilisées en Europe, qui sont utilisées chez nos concurrents, dans d’autres pays européens et interdites en France", complète Fabien Hamot.
À Arleux-en-Gohelle, Stéphane Delmotte se situe à l’exact opposé de cette position. "Cette décision est parfaitement irresponsable", lâche le cultivateur de betteraves sucrières en bio. "Envoyer le signal avant le début de la campagne de l’usage d’un insecticide qui est déjà autorisé, mais pour lequel on va plus que doubler le nombre de passages sans même savoir de quoi sera faite l’année, c’est une décision qui n’est justifiée par aucune réflexion digne de ce nom", dénonce l’agriculteur, membre de la Confédération paysanne.
Selon lui, le contexte météorologique "particulièrement inhabituel" est même un argument pour éviter d’utiliser l’insecticide au maximum. "Les betteraves semées plus tard seront moins longtemps sensibles et vulnérables aux pucerons", résume-t-il.