Cette année, l'institution des Meilleurs Ouvriers de France s'installe à Boulogne-sur-Mer pour la finale du concours dans la catégorie poissonnier-écailler.
C’est le même silence, pesant, qui nous rappelle à tous le passage de grands examens, comme étape d’une vie: brevet, baccalauréat, oraux, concours… Dans la salle d’étude du CFPMT (Centre de Formation aux produits de la Mer et de la Terre), à Boulogne, c’est le titre de Meilleur Ouvrier de France catégorie poissonnier-écailler qui se joue. “Interdiction de parler dans la salle d’examen. Même nous les juges, on ne communique pas avec les candidats. On a tout expliqué avant le début du concours pour qu’il n’y ait pas de question” rappelle Silvère Moreau, président du jury.
Pendant près de 8 heures d’affilée, dix candidats enchaînent les épreuves, sans un bruit. Ils viennent de toute la France, comptent parmi les meilleurs artisans de France. Ils sont tous passés par des sélections préalables. Ils étaient 40, puis 25... les voilà 10. Mais cette année, aucun n’est originaire des Hauts-de-France. C’est donc une finale, et tout le monde est venu pour la gagner. “C’est très studieux, c’est normal, ils jouent gros” commente, discrètement, Silvère. A la clé : un diplôme équivalent au Bac + 2, le droit de porter le col tricolore des MOF (meilleurs ouvriers de France), une médaille d’excellence remise des mains du Président de la République… mais surtout la reconnaissance de toute une profession.
“C’est un achèvement personnel, un adoubement. Le MOF véhicule des valeurs, c’est un ambassadeur de son métier. Il doit par exemple donner aux jeunes l’envie de s’orienter vers cette discipline” développe Pierre-Luc Daubigney, secrétaire général de l’Organisation des poissonnier-écaillers de France. Le concours est organisé tous les 4 ans, comme une coupe du monde. Mais parfois, il n’y a pas de gagnant. “Ce n’est pas vraiment un concours finalement, mais plus un examen. Et parfois, personne n’est reçu. D'autres fois, peu de candidats ou alors les 10 d’un coup peuvent être reçus… mais ce n’est jamais arrivé” plaisante Pierre-Luc.
L'excellence comme critère
Dans cette ambiance “très studieuse” donc, quasi-militaire, impossible de parler aux candidats. La concentration est de mise. Ici, un poissonnier découpe une lotte, la prépare, la sublime. Plus tard, un autre cuit des crustacés et prépare un plateau de fruits de mer. Loin des standards de la poissonnerie de quartier, tout est minutieux, pour rappeler la frontière mince entre artiste et artisan. Pierre-Luc parle d’ailleurs d’une "œuvre". “Ils ont un thème imposé. Aujourd’hui, c’est Jules Verne. A partir de là, ils doivent réaliser une œuvre. Un buffet pour montrer toute l’étendue de leur métier, entre découpe de poissons en carpaccio ou préparation de coquillages. Mais attention, ce n’est pas de la cuisine. Le MOF cuisine existe, c’est autre chose” rappelle Pierre Luc.
Justement, l’un des candidats entame la découpe de son poisson en fines tranches en vue d’un carpaccio. Autour de lui, des membres du jury, silencieux, carnets en main. “On a une grille d’évaluation fournie par l’organisation du concours avec des critères sanitaires et techniques, on s’assure que tout soit respecté à la perfection. Ces règles nous servent de base pour être objectif. C’est très précis” décrit Silvère Moreau, le président du jury. A ses côtés, un autre juge, Jordan Bougue. Il est aussi passé par ces concours, élu MOF poissonnier-écailler lors de la dernière édition, en 2019. Autant dire qu'il scrute l'aspect technique des candidats. “Tout est dans le détail, l'exécution. On regarde qu’il n’y ait pas le moindre coup de couteau en trop, qui abîmerait le produit” décrit-il. Il se souvient : “à ce niveau-là, on est tous bons. Mais il faut être excellent. C’est ça le plus dur dans ce concours, il faut être excellent sur tous les aspects du travail et dans la durée, pendant 8 heures. C’est physique, mental… le lendemain on dort toute la journée” rigole-t-il.
Les 10 candidats sont placés sur des plans de travail de part et d'autre de la salle. Ils disposent des mêmes instruments, de la même surface, du même temps et des mêmes produits. “C’est très important, tout est équivalent. On insiste sur l’équité. Après, le poisson est un produit sauvage donc parfois il y a une irrégularité. Dans ce cas, le jury n’en tient pas rigueur. On juge le professionnel et sa capacité d'adaptation en cas de défaut de marchandise" explique Jordan.
"On est très loin du poissonier d'Astérix et d'Obélix, et de son poisson pas frais"
Un concours MOF poissonnier-écailler créé en 2007, c’est seulement la 5e édition. Car face aux enjeux de la profession, il a fallu s’adapter, changer d'image. “Vous voyez, on est très loin du poissonnier d’Astérix et Obélix et de son poisson pas frais, ça dessert notre image tout ça” ironise Jordan. Pierre-Luc Daubigney, le secrétaire général de l'Organisation des poissonniers-écaillers, poursuit : “C’est vraiment une réflexion sur l’évolution du métier. Par exemple, des candidats préparent des bouchées. C’est très bien car aujourd’hui les clients achètent beaucoup de produits prêts à consommer. Il faut mettre en valeur le produit, le rendre attractif”.
Il faut aussi s’adapter au contexte de la filière pêche, en pleine tempête. “On a bien failli ne pas organiser le concours, il y a 48 heures ici, les pêcheurs bloquaient le port. Il nous fallait bien de la ressource, du poisson ! C’est un métier millénaire mais qui doit aujourd’hui s’adapter à différentes contraintes” conclut Pierre-Luc.
Une 5e édition, mais pour la première fois, la finale du concours est organisée dans les Hauts-de-France. “C’était assez logique de venir à Boulogne-sur-Mer, c’est le premier port de pêche en France. Culturellement, on est un pays très consommateur de viande, mais aussi de poisson. Et la plupart des poissons viennent de ce port. C’est donc assez logique. A chaque édition du concours, on change de région pour faire rayonner notre métier à l’international” argumente Pierre-Luc Daubigney.
Pour faire rayonner le métier, il faut bien que tout le monde puisse profiter de cet artisanat. Alors dès la fin du concours, les portes s’ouvrent au public. Des invités, des professionnels du secteur, les familles des concurrents sont ainsi réunis avec un message : "C'est un produit frais, tout doit être consommé." Et à la vue des dix buffets réalisés, nul doute que les convives vont en profiter pleinement. Pour autant, la pression ne retombe toujours pas pour les candidats. Les juges délibéreront dans les prochaines semaines pour élire, ou non, un MOF poissonnier-écailler 2023.