A Calais et Loon-Plage, les réfugiés face à la canicule : "Les conséquences du défaut d'accès à l'eau, on les mesure tous les jours"

Quelque 1500 réfugiés, répartis dans les campements de Calais et de Loon-Plage, font face à la canicule qui s'abat sur les Hauts-de-France. Dans ces conditions, la question de l'accès à l'eau se pose de manière encore plus urgente, et mobilise toutes les associations de terrain.

Il est 10h du matin, et la température commence déjà à monter dans le campement où se sont rassemblés les réfugiés venus de Grande-Synthe. Après une expulsion de grande ampleur, le 16 novembre 2021, ils se sont déplacés vers Loon-Plage, le regard toujours tourné vers l'Angleterre. Environ 500 personnes, hommes, femmes et enfants, ont temporairement posé leurs maigres bagages dans les alentours. Ce matin du 15 juillet, les retraitées de l'association AMiS tiennent un stand petit-déjeuner, comme tous les lundis et tous les vendredis. Sur le campement, beaucoup sont encore endormis. La plupart des nuits sont dédiées à chercher un passage vers le Royaume-Uni.

Un petit garçon et une fillette désignent avec joie le stand du petit-déjeuner et s'approchent. Ce sont les enfants de Samson, qui a fui l'Ethiopie avec sa famille. Ils ont rassemblé leurs possessions et aujourd'hui, ils vont accepter une mise à l'abri proposée par l'Etat. Une solution temporaire, "le temps de se reposer un peu. On reviendra ici" explique-t-il. Eux aussi attendent la traversée, dernière étape d'un long périple. 

Juste à l'entrée du campement, une cuve en plastique équipée d'un robinet. Remplie d'eau, elle commence déjà à chauffer au soleil. Il fait environ 25 degrés à Loon-Plage. Presque un répit, au vu des températures qui s'annoncent pour les prochains jours : 31 degrés attendus le 18 juillet, 36 le lendemain. "On arrive à boire un petit peu, mais pas énormément", reconnaît Samson.

L'accès à l'eau pour les réfugiés du littoral, déjà à flux tendu en temps normal, se complique encore en temps de canicule et mobilise toutes les associations présentes sur le terrain, de Loon-Plage à Calais. Pourtant, l'accès à l'eau est reconnu par l'ONU comme un droit humain fondamental, et, en France, la loi de 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques dispose que "l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable".

A Calais,  "on salue ce qui est fait par les autorités, mais ce n'est pas assez"

A Calais, où survivent un millier de personnes, la préfecture défend la mise en place d'un dispositif "de grande envergure". En juin 2022, les services préfectoraux ont acheminé environ 242 bidons de 5 litres par jour vers le campement de réfugiés, et met à disposition des cabines de douches "accessibles 5 jours par semaine par le biais d'une navette. En juin 2022, 2 129 passages douche ont été enregistrés pour près de 47 000 litres d'eau."  Les services préfectoraux font aussi état de l'installation de rampes d'eau courante avec des robinets, mais les cuves sont alimentées par l'association La Vie Active, qui assure six distributions par jour. "Une fontaine à eau, comprenant 2 robinets (en accès libre 24H/24) est par ailleurs installée rue des Huttes" complète la préfecture.

Selon toutes les associations interrogées, le dispositif, s'il est apprécié, reste insuffisant. "Sur Calais, l'Etat met tout de même de l'eau à disposition, mais dans des quantités insuffisantes et sans possibilité d'avoir un vrai accès libre à l'eau. On salue ce qui est fait par les autorités, mais ce n'est pas assez, tempère Diane Léon, coordinatrice pour l'association Médecins du Monde. Avec ces températures, on préconise beaucoup de choses pour la population globale : s'hydrater, rester à l'ombre... Les personnes exilées n'ont pas cette possibilité, elles survivent dans des tentes, et les évacuations réalisées toutes les 48h en moyenne engendrent un vol des effets personnels et une saisie des tentes. De fait, des personnes se retrouvent sans aucun possibilité. C'est particulièrement inquiétant."

Jean-Claude Lenoir, président de l'association Salam, lui, ironise franchement. "D'un seul coup, les services préfectoraux et ministériels se rendent compte que des gens sont sans hébergement, et sans eau, dans la nature. Jusqu'à présent, on n'avait pas le droit de distribuer correctement la nourriture et l'eau" déplore-t-il. En avril, une vidéo montrant des policiers interrompre une distribution alimentaire assurée par des bénévoles avait provoqué la polémique.

"Là, c'est encore plus grave et il pourrait y avoir des accidents mortels, alors les services préfectoraux et ministériels veulent jouer le côté humain. On l'entend, mais on ne se laisse pas piéger. Ce matin encore, il faisait une chaleur étouffante, les forces de l'ordre ont délogé des réfugiés de leur abri un peu à l'ombre, près de la gare, sans aucun complexe. Donc, tout ça, c'est du cinéma. Si on avait dû les attendre pour respecter un peu l'être humain, on serait mal partis" cingle Jean-Claude Lenoir, dont l'association assure en ce moment des distributions d'eau quotidiennes, notamment aux côtés du Calais Food Collective.

A Loon-Plage, les maladies dues au manque d'eau progressent

A Loon-Plage, où ont été déplacés les réfugiés de Grande-Synthe, la situation est bien pire, selon les bénévoles. Ici, on le constate sur place, aucun dispositif de distribution assuré par l'Etat. En toile de fond, la politique du "zéro point de fixation" soutenue par le gouvernement.  "Il n'y a aucun point d'eau à proximité du campement, il est à plus de 3km, s'indigne Diane Léon. Pour des femmes, des enfants ou des personnes à mobilité réduite, c'est impossible. D'autant qu'il faut ensuite les transporter dans des jerricans, que les associations distribuent comme elles peuvent, c'est extrêmement problématique. Les conséquences du défaut d'accès à l'eau, on les mesure tous les jours, c'est très concret."

En effet, les médecins bénévoles constatent la hausse des motifs de consultation directement liés au manque d'eau. Sur le campement, les problèmes dermatologiques sont désormais le deuxième motif de consultation le plus prégnant. Chez la moitié des patients, les soignants constatent l'apparition de la gale. 

"La gale, c'est pas compliqué, c'est une maladie qui est directement liée au manque d'accès aux douches, et nous on se retrouve dans une situation complètement bloquée. Ce sont des maladies qu'on ne peut pas soigner si les gens ne peuvent pas se doucher et changer de vêtements. Il y a des douches accessibles uniquement une fois par semaine, dans les gymnases de la ville de Dunkerque. Une fois par semaine ! C'est complètement scandaleux qu'on ne propose pas plus en France, et ça a des conséquences" presse la coordinatrice de Médecins du Monde.

Le troisième motif de consultation est également lié au manque d'eau et, conséquemment, d'installations sanitaires : ce sont les troubles rénaux et urinaires, qui frappent majoritairement les femmes. "C'est la première fois que ça apparaît aussi nettement. On est face à des personnes qui restreignent leur consommation d'eau parce qu'il y a peu d'accès, et pas de toilettes. Quand on prend en consultation une femme qui a une infection urinaire, qui explique qu'elle se retient parce qu'il n'y a pas de toilettes sur le campement et qu'elle ne se sent pas en sécurité... On atteint des niveaux d'indignité qui sont vraiment révoltants."

"Des personnes nous appellent la nuit parce que les cuves sont vides"

Pour tenter de pallier l'urgence, l'association Roots assure à elle seule tout l'approvisionnement en eau du campement de Loon-Plage. "On a 5 cuves sur le camp. On se rend à la ferme des Jésuites, en voiture, on remplit une cuve de 1000 litres, et on fait des allers-retours pour venir remplir celles qui sont ici. On travaille 10 à 12 heures par jour, témoigne la bénévole Chloé Magnan. La nuit, on ne sait pas à partir de quelle heure ils n'ont plus d'eau. On est au maximum de nos ressources, on ne pourra pas faire plus, on est toujours à flux tendu. C'est au bon vouloir des bénévoles, mais c'est très instable. Quand il y a une expulsion, par exemple, on doit partir. Il y a quelques semaines, d'ailleurs, nos cuves d'eau ont été percées pendant une expulsion... Il faut couvrir aussi ces dégâts matériels."

Le collectif essaie aussi de mettre en place des douches, "mais c'est très limité. C'est beaucoup d'énergie, beaucoup d'argent surtout, donc on ne peut en assurer que trois fois par semaine, et pour un maximum de 60 personnes, regrette la militante. Tout au fond du camp, il y a une bouche à incendie, que les gars ont commencé à utiliser. Mais c'est à découvert, donc les femmes n'y vont pas." 

Anna Richel, de l'association Utopia 56, peut confirmer la crise de l'eau sur le campement. "On donne notre numéro d'urgence aux personnes pour nous joindre si elles sont en difficulté. Sur la question de l'eau, ça peut être des personnes qui nous appellent dans la nuit parce que les cuves sont vides. Avec les chaleurs en ce moment, ça arrive, et on est régulièrement appelés par des personnes qui font des malaises à cause de ça. Les personnes souffrent énormément de la chaleur, on voit les cuves se vider à une vitesse folle. Les conditions sanitaires sont dramatiques, il y a si peu d'eau disponible que c'est impossible de respecter une hygiène, et même les gestes barrière vis-à-vis du covid."

Diane Léon, la coordinatrice de Médecins du Monde, accuse la Communauté Urbaine de Dunkerque (CUD), responsable de l'accès à l'eau sur son territoire, d'alimenter un cynique deux poids-deux mesures. "On sait que la CUD en a les moyens : pendant le festival La bonne aventure, des rampes d'eau ont été installées par la CUD pour les festivaliers. On a de l'eau pour les festivaliers mais pas pour les exilés. C'est de la discrimination pure et dure." Contactée pour détailler son dispositif d'accès à l'eau pour les réfugiés, la Communauté Urbaine de Dunkerque n'a pas donné suite aux sollicitations de France 3.

Ces difficultés, couplées à la météo clémente et aux revirements de la politique britannique, alimentent une véritable ruée vers la mer. La Manche, pourtant, reste dangereuse, très froide loin des côtes et troublée par un trafic maritime intense. "On est extrêmement inquiets pour les prochaines semaines", conclut Anna Richel, de l'association Utopia 56. 

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