D'abord considérés comme victimes par la justice, les trois policiers passent à prévenus.
Ils passent de victimes à prévenus: trois policiers sont renvoyés en correctionnelle, tous pour faux en écriture et un pour violences par personne dépositaire de l'autorité publique, après la plainte d'un bénévole britannique venant en aide aux migrants à Calais, blanchi, lui, des violences dont ces fonctionnaires l'accusaient.
Le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) avait relaxé en 2019 Tom Ciotkowski d'outrage et des violences rapportés par trois CRS en marge de patrouilles en 2018. Il avait en retour porté plainte contre eux et le parquet avait ouvert une enquête préliminaire confiée à la police des polices.
Tom Ciotkowski a été victime de violences policières à Calais.
— Amnesty France (@amnestyfrance) May 15, 2019
Les policiers ont déposé plainte contre lui pour violences. Il risque 5 ans de prison.
Kafkaïen. pic.twitter.com/mJfYe0KcXk
"Les faits rapportés par les policiers se sont révélés inexacts, ce sont plutôt les policiers" qui ont montré un comportement ne respectant pas "la mission qui était la leur", a expliqué le procureur de la République de Boulogne-sur-Mer, Pascal Marconville.
Le procès-verbal de l'interpellation, dressé par le brigadier-chef qui avait porté plainte, tout comme les témoignages de ses deux subalternes, n'est pas le "reflet de la réalité".
Les trois fonctionnaires seront jugés, sans doute début 2021, pour faux en écriture et le brigadier-chef également pour violences. Le parquet a reçu les conclusions de l'IGPN en février et décidé en avril du renvoi.
Selon plusieurs responsables associatifs d'aide aux migrants sur le littoral, qui dénoncent régulièrement le "harcèlement" qu'ils subissent, c'est la première fois qu'une des plaintes pour des violences envers des bénévoles aboutit.
"Signal fort"
"Il aura fallu, comme trop souvent, des vidéos pour rendre possibles ces poursuites. Elles ont été le rempart à la logique d'impunité que les policiers recherchent systématiquement", ont réagi auprès de l'AFP les avocats de M. Ciotkowski, Appoline Cagnat et William Bourdon. "Les poursuites pour faux sont un signal fort qui tranche avec la présomption de crédibilité invariablement accordée aux fonctionnaires de police, même face à de nombreux témoignages contraires".
Pour Amnesty international, "cette décision rappelle opportunément que filmer les abus de la police peut être la meilleure manière pour mettre un terme à l'impunité que tant de policiers considèrent comme acquise depuis si longtemps".
Les faits remontent au 31 juillet 2018, lorsqu'une patrouille de la CRS 40 se rend en contre-bas de la rocade de Calais et fait partir des migrants pour que les services de la ville nettoient sous le pont.
Selon le procès-verbal du brigadier, des bénévoles anglais "véhéments" à l'encontre des forces de l'ordre s'en mêlent. Tom Ciotkowski, 31 ans, aurait "repoussé fermement au niveau de la poitrine" le brigadier et l'aurait traité de "bitch-bastard" et, pour se défendre, le brigadier l'aurait repoussé.
Selon les PV d'audition des trois policiers, qui racontent l'exact même scénario, M. Ciotkowski le pousse au niveau du torse, tombe par-dessus la glissière de sécurité et entraîne le chef dans sa chute.
Une version démentie par les témoignages du groupe de bénévoles britanniques et leurs vidéos, diffusées à l'audience en juin 2019 : on voit les policiers cherchant à faire partir les bénévoles, un policier lâche un coup de pied. On entend Tom Ciotkowski dire : "do not hit women" et prononcer un numéro de matricule. Puis Tom Ciotkowski, qui filme, est bousculé par le brigadier-chef et tombe seul à la renverse par dessus le parapet côté route, au moment où passe un camion. Il est interpellé et placé en garde à vue.
Domicilié à Stratford-upon-Avon (Angleterre), il a expliqué être descendu d'un fourgon de l'association Help Refugees lorsqu'il a vu d'autres bénévoles contrôlés par des CRS.
Le parquet avait demandé quatre mois de prison avec sursis contre lui. Le tribunal l'a relaxé, estimant que "les vidéos discréditent les déclarations" des policiers et que "les constations médicales" – ecchymoses, dermabrasion – chez M. Ciotkowski "laissent subsister un doute supplémentaire quant au récit des policiers sur la tournure de cette interpellation".
Le brigadier-chef n'était ni présent ni représenté au procès. En octobre 2019, un gendarme mobile en mission à Calais a été condamné à trois mois de sursis -sans inscription au casier judiciaire- pour violences sur un migrant mineur.