Le Royaume-Uni a annoncé un projet controversé d'envoyer au Rwanda les demandeurs d'asiles arrivés illégalement sur le sol britannique. Objectif : dissuader les traversées de clandestins qui ne cessent d'augmenter. De l'autre côté de la Manche, à Calais, cette annonce inquiète les exilés et fait bondir les associations.
Certes le vent souffle mais aujourd’hui le ciel est bleu. Bienvenue à « l’hospital Jungle ». Coincée entre une bretelle de l’autoroute A16 et la rocade portuaire, ce terrain vague doit son nom à sa proximité avec le centre hospitalier. Eparpillés sur près d’un kilomètre, des camps sont installés. À chaque fois, moins d’une dizaine de tentes, il vaut mieux rester discret. Allongé dans l’herbe, Ahmadzai profite des rayons du soleil avec un ami rencontré à Calais. Tous les deux sont afghans, arrivés ici il y a une vingtaine de jours après huit mois de périple.
"On a pas le choix, on ne peut pas vivre ici"
Depuis quelques jours, le Rwanda est devenu le principal sujet des conversations dans la jungle. Désormais, toutes les personnes arrivées illégalement sur le territoire britannique sont susceptibles d’être envoyées dans ce pays d’Afrique de l’Est, pour qu’une demande d’asile y soit instruite. Si elle est acceptée, ils pourront s’installer et travailler dans le pays. Sur Twitter, la ministre de l’Intérieur britannique, Pritti Patel, a salué un accord historique pour "mettre fin aux méthodes illégales par lesquelles arrivent des milliers de personnes au Royaume-Uni". En vertu de l'accord annoncé jeudi 14 avril, Londres financera dans un premier temps, le dispositif à hauteur de 120 millions de livres sterling (144 millions d'euros).
Quant au Premier Ministre, Boris Johnson, il a ajouté dans une vidéo que cet accord concernerait "tous ces jeunes hommes de moins de 40 ans qui arrivent massivement de manière illégales. Ils seront relocalisés directement depuis Douvres jusqu’au Rwanda".
Dans cette jungle où les Afghans sont majoritaires l’annonce a fait l’effet d’une bombe dans la communauté: "Déjà ici on n’arrive pas à vivre avec les Africains, alors imaginez là-bas ! On risque la mort, ça fait peur" explique Ahmadzai. Son rêve, ça reste l’Angleterre, pour faire venir sa famille et ses enfants. "Ici à Calais c’est inhumain, on vit comme des animaux. On a pas le choix, on ne peut pas vivre ici, il faut partir".
À quelques kilomètres de là, autre campement et autres communautés, ici c’est « Oldlidl ». Un autre terrain vague où vit une majorité de ressortissants des pays d’Afrique. Les tentes sont un peu plus nombreuses au bord de la voie ferrée. Que des hommes, parfois très jeunes. Parmi eux, Mustafa accepte de nous parler, il est originaire du Tchad. Il pensait que les renvois au Rwanda n’étaient qu’une rumeur. "C’est certain que ça fait peur. On a fui un pays ou on était en danger. Même si je n’ai pas de papiers pour l’instant je préfère rester ici". Puis il ajoute : "Si on nous permet de travailler et d’avoir des papiers là-bas pourquoi pas…"
Les associations sans réponse
Après l’annonce de l’accord, Amnesty International a critiqué "une idée scandaleusement mal conçue" qui "fera souffrir tout en gaspillant d'énormes sommes d'argent public", soulignant aussi le "bilan lamentable en matière de droits humains" du Rwanda.
À Calais, les bénévoles n’ont aucune réponse à donner face aux interrogations des exilés : "On ne sait pas quoi leur dire, car on ne connait pas les détails précis de l’accord. Le gouvernement britannique parle d’une décision applicable aux personnes arrivées sur le territoire depuis le 1er janvier 2022 mais on ne sait pas quand cela pourrait commencer". explique Florian, bénévole pour Utopia 56.
Depuis la signature de l’accord le 14 avril dernier, les messages d’inquiétude sont de plus en plus nombreux : "La semaine dernière , on a même reçu un message de personnes qui venait de réussir la traversée. Arrivés au Royaume-Uni, ils nous ont demandé ce qu’ils devaient faire" ajoute Florian.
Un effet d’annonce à quelques jours des élections ?
L'annonce de cet accord intervient au moment où le Premier ministre est en difficulté après s'être vu infligé une amende pour avoir enfreint les règles contre la Covid-19 en organisant une fête d’anniversaire à Downing Street pendant le confinement. Le dirigeant conservateur tente de rebondir avant des élections locales en mai qui auront valeur de test pour son parti conservateur.
Le Royaume-Uni n’est pas le seul pays à choisir d’externaliser ses demandes d’asiles au Rwanda. Il y a quelques jours, le ministre de l’intégration du Danemark, Mattias Tesfaye, a annoncé entamer des pourparlers avec le pays d’Afrique de l’Est pour conclure un accord similaire à celui signé avec le Royaume-Uni.