Rencontre avec Anne-Florence Salvetti-Lionne, autrice de l'ouvrage Mes seins, mon choix !. Du Moyen Âge à nos jours, les Français et les Françaises ont toujours eu une relation compliquée avec ce mode d'alimentation naturel. Un livre qui a le pouvoir salvateur de libérer les mères des injonctions contradictoires entendues de la part des professionnels de santé comme des proches. (Première publication le 24/09/2023).
Anne-Florence Salvetti-Lionne est journaliste pour la presse féminine et féministe. Elle est maman deux petites filles, une de 6 ans et une de 2 ans et demi. Elle est originaire de Calais où elle passe tous ses étés.
L'idée d'écrire ce livre sur l'histoire de l'allaitement est venue sur la plage de Calais alors qu'elle allaitait ses filles. Elle n'a jamais été très à l'aise de les nourrir devant des passants.
La jeune femme commence alors à se poser des questions sur l'origine de cette gêne et se documente dans le peu d'ouvrages qu'elle trouve sur le sujet de l'allaitement en France. Quelques mois plus tard naîtra son ouvrage Mes seins, mon choix !
Rencontre avec cette autrice qui nous aide à déculpabiliser, à faire fi des nombreuses injonctions contradictoires qu'une maman subit au quotidien en 2023, que ce soit de la part des professionnels de santé ou de son entourage familial et amical.
1. Comment est perçu l'allaitement du Moyen Âge jusqu'au début du 20e siècle ?
Anne Florence Salvetti-Lionne : C'est réprimé pour les bourgeoises et les aristocrates et à partir du 18e siècle, on fait appel, pour toutes les couches sociales, aux nourrices. Les familles les plus riches ont leur propre nourrice à la maison. Les mères voient leurs bébés dans la journée quelques fois, se consacrant principalement à leurs obligations mondaines.
Les classes sociales inférieures envoient leurs enfants chez des nourrices à la campagne pour qu'ils soient allaités par d'autres femmes. À Paris et à Lyon, les femmes travaillaient comme artisanes, ouvrières et ne pouvaient pas avoir leurs enfants avec elles. C'est un système qui est totalement industrialisé. L'allaitement est considéré comme un acte animal qui n'est pas digne de l'homme.
Ce n'était pas la faute des mères. On leur imposait ce système. Et puis elles étaient capables d'être séparées de leurs bébés, car le rapport aux enfants était différent. On faisait beaucoup d'enfants, on savait que beaucoup allaient mourir. Le taux de mortalité infantile était de 71 % la première année.
2. Pourquoi la France est un pays qui soutient moins l'allaitement que d'autres pays européens ?
En France, on a continué à avoir ce système de nourrices jusqu'au début du 20e siècle alors que les autres pays comme l'Allemagne ont arrêté d'y avoir recours à la fin du 18e siècle. On a gardé cette image de l'allaitement comme quelque chose de mortifère.
Le système des nourrices a pris fin quand les premiers biberons aseptisés et laits pasteurisés sont arrivés sur le marché juste avant la Première Guerre mondiale. Cela a été vécu comme un soulagement, car on pouvait nourrir son bébé sans qu'il risque de mourir et on pouvait le garder près de soi. C'est une nouvelle ère qui s'ouvre à elles.
3. À quel moment les femmes voir l'allaitement comme un moyen de se réapproprier son corps ?
À la fin du 19e siècle, on a déjà une petite partie de féministes pro-allaitement qui œuvrent pour que les femmes dans les usines aient des salles d'allaitement et un congé d'allaitement. Elles ont obtenu gain de cause. Ensuite, le courant féministe après la Seconde Guerre mondiale était plutôt anti-allaitement. Simone de Beauvoir, philosophe, écrit que l'allaitement est "une servitude épuisante". Du coup, il y a beaucoup moins de femmes qui allaitent. On est à 36 % de taux d'allaitement à la naissance en 1972.
4. Pourquoi les médecins ne préconise pas l'allaitement à la demande à la fin du 20e siècle ?
Les médecins pensent que le lait maternel est l'équivalent des laits des animaux. Du coup, ils appliquent les mêmes recommandations que pour le lait donné au biberon. Donner le sein toutes les trois heures, stériliser les seins avant de donner, pas plus de dix minutes, pas la nuit... On sait aujourd'hui que l'allaitement fonctionne mal avec ces règles, car physiologiquement l'idéal est de donner à la demande pour que la mère produise plus de lait.
Dans les années 70, on assiste à un retour au naturel et aussi à une réappropriation de son corps, même si les médecins continuent de dire à cette époque qu'il faut allaiter toutes les trois heures, dix minutes maximum... Ce qui fait que les taux d'allaitement ont du mal à monter. Depuis les années 2010, le taux d'allaitement à la naissance est juste en dessous des 70 %.
5. Avons-nous toutes les informations pour faire un choix éclairé en France ?
Non, on n'a pas toutes les informations pour faire un choix éclairé, à la fois sur le biberon et sur l'allaitement. Du coup, on éprouve parfois des regrets des deux côtés. Il faudrait effectivement des personnels médicaux mieux formés à l'allaitement, car les cours dédiés à l'allaitement représentent deux heures dans le cursus. C'est trop peu, avec parfois des préjugés enseignés qui datent des années 80 et qui sont obsolètes.
En Norvège, 98 % des bébés sont allaités à la naissance parce que c'est culturel et parce qu'il y a une politique gouvernementale depuis 40 ans qui va dans ce sens avec un long congé maternité. Après, je fais attention au revers qui est que les femmes qui ne veulent pas allaiter ne sont pas trop écoutées. On tombe dans les injonctions inverses qui ne sont pas souhaitables non plus.
Ce livre m'a permis de déculpabiliser, d'être plus à l'aise dans mon allaitement dans l'espace publique, d'être un peu militante de ce côté-là, de me dire que je ne fais rien de mal. J'ai le droit d'assumer que j'allaite. C'est bien pour moi et pour mon bébé. Cela nous fait plaisir, c'est le principal.
Retrouvez l'émission Hauts féminin avec l'invitée Anne-Florence Salvetti-Lionne, présentée par Marie Sicaud et Christelle Juteau, et tous les autres épisodes en replay sur france.tv.