PORTRAIT. "Je sais pourquoi je vis" : Claire Millot, une décennie d’engagement auprès des migrants de Calais

Vice-présidente de l'association d'aide aux migrants Salam, Claire Millot, 72 ans, a fait de son engagement exemplaire une boussole. Nous l'avons rencontrée un an après le naufrage le plus meurtrier survenu dans la Manche pour discuter de son quotidien et de sa vision de la situation des personnes exilées sur le littoral du Nord Pas-de-Calais.

Elle est de tous les combats depuis plus d’une décennie à Calais et sur notre littoral. Claire Millot, vice-présidente de l’association d’aide aux migrants Salam, s’est engagée après avoir exercé plusieurs dizaines d’années comme professeure de latin et de français à Bergues, commune du Nord où elle vit toujours.    

C’était en 2009, sur les conseils de sa fille cadette. Une année durant laquelle le démantèlement de la première jungle de 800 migrants avait été ordonné par le ministre de l’immigration et de l’identité nationale de l’époque, Éric Besson.

"Je sais pourquoi je vis"

Cet engagement de chaque instant est toujours intact aujourd’hui, après treize années passées à aider les migrants sur le terrain. "Je le fais parce qu’il y a des gens qui ont besoin de moi", raconte la septuagénaire, avec un sourire et une douceur unanimement saluée par toutes les personnes qui l’ont croisée.  

Le fruit de l’éducation catholique qu’elle a reçue durant son enfance ? Elle acquiesce, précisant toutefois qu’elle a complétement rompu avec l’Eglise aujourd’hui. "L’idée qu’on se doit aux autres, c’est en moi. C’est acquis depuis très petite. Il y a des gens qui ont besoin de moi et si je ne faisais pas ça, je me sentirai trop mal. Je me dirai mais qu’est-ce que tu fais à la maison à faire un petit plat pour ton mari, la vaisselle et repeindre les murs de la chambre ? Quel est l’intérêt ? Quel est le but ? Là, ça donne un sens. Je sais pourquoi je vis". 

Son quotidien ? Répondre aux courriers et aux mails, rédiger la newsletter, entretenir le lien avec les autres associations, trouver du temps pour les sollicitations de la presse. Des tâches administratives mais pas seulement. "Au moins une fois par semaine, je tiens absolument à faire une préparation de repas et une distribution parce que c’est ça qui donne le sens à tout le reste". C’est par là qu’elle a commencé, en 2009, à Loon Plage. Un moment qu’elle n’a jamais oublié et qui a forgé son action. Les anecdotes sont nombreuses, les histoires qu’elle raconte toujours poignantes. "Hier, j’étais en distribution avec des gars qui étaient gelés, qui tremblaient, qui avaient les mains glacées et qui avaient besoin de réconfort. Si j’oublie ça, si ça devient théorique, tout mon travail n’a plus de sens. Alors c’est simple. Moi j’arrive, je m’assois, je prends mon épluche-repas et c’est parti". 

"On ne savait pas quand, ni combien, mais on savait"

Qui mieux que Claire Millot pour évoquer les conditions actuelles des exilés présents à Calais, notamment à l’approche de l’hiver ? Ils sont environ 1 500 selon les associations. "Ils vont mal, répond cash la militante, parce qu’ils sont dans des conditions d’une précarité et d’un sordide absolument épouvantables". 

Elle prend pour exemple une rencontre avec "un jeune gars", il y a quelques semaines, dans un campement. Elle était alors avec une bénévole qui effectuait sa toute première mission auprès des migrants. "Quand nous sommes arrivées, il lui a mis dans les mains son portable et un préservatif. Elle ne comprenait pas". Forte de son expérience, Claire Millot explique à celle qui l'accompagne : "C’est très simple, le gars, il veut passer en Angleterre et le préservatif sert d’imperméable pour son téléphone". La jeune bénévole interroge alors les motivations du migrant : pourquoi vouloir traverser ? Et Claire Millot de nous rapporter la réponse : "Le gars a montré le camp autour de lui. Son regard, ça voulait dire : « mais tu ne veux quand même pas que je reste dans ce trou à rat humide où il n’y a rien ? Il n’y a pas de point d’eau, pas de toilettes, où je dors sous une bâche ? »"

Traverser coûte que coûte, quitte à prendre tous les risques. Comme cette nuit de novembre, il y a un an, durant laquelle 31 personnes ont perdu la vie dans la Manche. "On savait que ça allait arriver. On ne savait pas quand, ni combien, mais on savait". Son visage se ferme, ses mots deviennent plus durs. "C’est affreux, et on se dit : « comment c’est possible que les autorités continuent de considérer les choses de la même façon quand il y a eu 31 morts ? » Ça aurait dû basculer, et là, la colère est là. Plus qu’elle n’était avant".  

Durant l’année qui vient de s’écouler, au moins 53 personnes ont perdu la vie en tentant de rejoindre l’Angleterre depuis le littoral du Nord et du Pas-de-Calais. 

"On peut offrir aux gens des possibilités d’accueil en France" 

Face à ces tragédies et à l’augmentation du nombre de traversées – 45 000 migrants ont réussi à rejoindre l’Angleterre sur des bateaux de fortune depuis le 1er janvier 2022 – la militante croit-elle encore en un avenir plus heureux pour ces personnes ?  

Oui, assure Claire Millot. Le changement doit selon elle venir de la politique d’accueil mise en place en France, car l’Angleterre n’est pas la solution. "On peut offrir aux gens des possibilités d’accueil en France", rappelant qu’actuellement, "les demandeurs d’asile, c’est 2 pour 1 000 personnes quand c’est 1 sur 3 au Liban". Un argumentaire qu’elle répète inlassablement pour tenter de contrer les clichés véhiculés par ses détracteurs. "Si on les accueille maintenant, ils s’installeront", résume-t-elle. 

Aujourd’hui, à 72 ans, sa détermination force le respect. Hors de question pour elle de raccrocher. "À aucun moment, je ne peux imaginer me dire que je vais laisser tomber. Je ne peux pas laisser les gars qui sont là comme ça et qui ont besoin de nous". Dernier exemple en date de son humanité lorsqu’elle évoque ses doutes, apparus lors d’une distribution en plein mois de novembre. "Il faisait froid et j’avais envie de rentrer à la maison. On donne une barquette de plat chaud à des gens qui sont gelés, avec en même temps cette culpabilité de se dire : « moi, je rentre après à la maison ». C’est affreux de…" Elle s’arrête une seconde, réfléchit, puis reprend. "Enfin non, je ne vais pas dire que c’est affreux ce que je vis. C’est rien par rapport à leurs conditions".

Journée spéciale sur nos antennes

Ce mercredi 23 novembre - Journée spéciale sur nos antennes : Calais, ville frontière – 30 ans de crise migratoire :

  • 12/13 et 19/20 : pages spéciales avec des invités et des témoignages
  • Edition Littoral Hauts-de-France : l'Abeille Normandie - Le plus puissant remorqueur de France
  • 21h10 : Enquêtes de région : Calais, ville frontière. Témoignages, reportages et invités exceptionnels
  • 22H15 : documentaire inédit : "La dernière traversée"
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