Le Monde publie une enquête accablante pour les secours français, un an après le naufrage de 27 migrants dans la Manche. "De ce que je comprends de l’article de ce grand journal, nous aurions dû intervenir", déclare Gérald Darmanin.
La lecture de l’enquête de nos confrères du Monde est difficilement soutenable.
Publiée quasiment un an jour pour jour après le naufrage le plus meurtrier qu’ait connu la Manche depuis que des migrants entreprennent de rejoindre l’Angleterre sur des bateaux de fortune, la journaliste Julia Pascual a pris connaissance des investigations menées sur les circonstances du naufrage.
"Aucun moyen de sauvetage n'a été envoyé"
Alors qu’une information judiciaire pour faire toute la lumière sur les circonstances du naufrage ayant coûté la vie à au moins 27 migrants a été ouverte, les révélations du Monde accablent les sauveteurs.
À la lecture des échanges ayant eu lieu entre le CROSS Gris Nez – le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage– et l’embarcation en difficulté cette nuit du 24 novembre 2021, il apparaît "qu’aucun moyen de sauvetage n’a été envoyé au secours de l’embarcation" bien que les occupants du bateau localisé dans les eaux françaises ont appelé à l’aide à de multiples reprises, entre 1h48 et 4h23.
Lors du premier appel, les migrants présents sur le bateau expliquent qu’ils sont 33 à bord et que leur bateau est "cassé". L’opératrice du CROSS leur demande d’envoyer leur position via la messagerie WhatsApp. Quinze minutes plus tard, la localisation du bateau est communiquée. Pourtant, aucun moyen de sauvetage ne sera envoyé car considéré comme trop proche des eaux anglaises.
Pourtant, l’enquête du Monde révèle l’urgence de la situation en retranscrivant de nombreux échanges entre les migrants, paniqués et apeurés, et le CROSS. Alors qu’à 3h30, un passager explique qu’il est littéralement "dans l’eau", le CROSS lui rétorque qu’il est dans les eaux anglaises et que ce n’est pas à eux d’intervenir.
Peu après 5 heures, le Cross prend la décision de clore l’événement sous la mention "secouru", sans pour autant s’assurer que les secours anglais ont bien sauvé l’embarcation en détresse.
La version de la préfecture maritime mise à mal ?
Cette enquête édifiante met à mal la version avancée par la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord (PREMAR) au lendemain du drame. Le 3 décembre, elle assurait que "le CROSS n’a eu connaissance de la situation que lors de l’appel passé par un pêcheur en milieu de journée".
Soit le 24 novembre, à 13h49, lorsque le patron de pêche du Saint Jacques 2 a prévenu le CROSS par radio qu’il se trouvait face à une quinzaine de corps flottants à la surface de l’eau alors qu’il travaillait.
Tous les appels reçus par le CROSS sont pris en compte et traités, quel que soit le secteur maritime, les gens sont secourus. Un renvoi de responsabilité entre centres de sauvetage en mer n'est pas réaliste.
Préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord, le 3 décembre 2021
"Je vois au travers de ce papier une accumulation de fautes individuelles de négligence, d’imprudence, témoigne Emmanuel Daoud, avocat de l’association Utopia 56 qui a porté plainte le 17 décembre 2021 pour homicide involontaire et omission de porter secours. Lorsque la PREMAR nous disait qu’ils n’étaient pas certains d’avoir eu un contact avec cette embarcation, ce que l’on peut dire à la lecture de ces échanges entre le Cross et les naufragés c’est que la PREMAR a soit souffert d’amnésie, soit menti par omission".
Oui, dit-il, cette tragédie humaine aurait pu être évitée. "Un bateau s’est approché, il a repéré l’embarcation, il prend ses instructions auprès du CROSS et l’opératrice lui dit : « non, ce n’est pas la peine ». Au moment où cette décision est prise, on sait que certains naufragés ont les pieds dans l’eau". Au regard du droit pénal, "la question de la responsabilité d’un certain nombre de personnes physiques mérite d’être examinée par les juges d’instruction et le parquet, au bénéfice de la présomption d’innocence".
"Tout ce qui est écrit est assez choquant", déclare Gérald Darmanin
Y a-t-il défaillance ? Nous avons posé la question au ministre de l’Intérieur ce 14 novembre. Il s'était immédiatement rendu à Calais le soir du drame. "Je n’en sais rien", répond Gérald Darmanin dans un premier temps, rappelant qu’une enquête a été ouverte et que la sûreté maritime dépend non pas de son ministère mais du ministère des Armées.
De ce que je comprends de l’article de ce grand journal, nous aurions dû intervenir parce que manifestement, ces personnes étaient dans les eaux françaises.
Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur
Néanmoins, après avoir lu l’article, Gérald Darmanin concède que "tout ce qui est écrit est assez choquant".
Il s’explique. "Ce qu’il faut voir, c’est si tout le monde a assumé ses responsabilités. Le droit de la mer est très clair, on l’a encore vu très récemment avec ce qui s’est passé en Méditerranée : quand un bateau est naufragé, quelle que soit cette embarcation, il doit avoir le port le plus proche pour être accueilli. Lorsque dans les eaux nationales, ces personnes lancent des SOS, c’est aux autorités de cet Etat d’intervenir. Et donc, de ce que je comprends de l’article de ce grand journal, nous aurions dû intervenir parce que manifestement, ces personnes étaient dans les eaux françaises".