Désillusion ou espoir : après des mois de périple et un séjour pénible dans la "Jungle de Calais", Shadi et Riaz, arrivés par la mer en Europe, portent un regard différent sur leur intégration en France.
Originaire de Damas, Shadi Abdulrahman, diplômé en tourisme et droit, allait intégrer l'école de la magistrature lorsqu'il a quitté la Syrie, en août 2014. "J'ai appris que j'allais être appelé pour rejoindre l'armée. J'avais deux possibilités : faire la guerre ou fuir. J'ai passé la frontière le lendemain", raconte cet homme de 36 ans à l'allure soignée.
Quatre ans plus tôt, Riaz Ahmad, issu d'une famille modeste et rurale, avait fui le Pakistan, menacé par les Talibans qui lui reprochaient de collaborer avec les Occidentaux. "Je travaillais pour une ONG", explique-t-il. "J'ai reçu une lettre, je suis parti aussitôt."
Pour lui, à peine 20 ans à l'époque, c'est le début d'un long périple qui le mène en Iran, en Turquie et en Grèce. Les 15.000 dollars nécessaires sont entièrement payés par son oncle. "Un jour, j'ai égaré mon téléphone portable et perdu tout contact avec ma famille. Je me suis retrouvé seul", raconte le discret Riaz, une légère mélancolie dans les yeux en amande. Caché dans un camion, il embarque dans un ferry, puis passe plusieurs semaines dans un camp de rétention en Italie.
La "Jungle", le "pire endroit"
Passé par le Liban, Shadi décide, lui, avec frères, beau-frère et cousins "d'aller en Angleterre". Leur point d'entrée en Europe sera Izmir, ville côtière turque, face à l'île grecque de Chios. "Il y avait des passeurs partout. On a payé 1.100 dollars par personne, on me promettait la sécurité et une traversée de trente minutes. Ca a duré trois heures, entassés à 40 sur une embarcation prévue pour 20. C'était terrifiant".
Avec les siens, il traverse la Grèce et la Macédoine à pied, dans des bus ou des coffres de voiture, avec pour seul bagage leurs "passeports et diplômes". En Serbie, "il a fallu donner de l'argent aux policiers", se souvient Shadi, qui arrive en France en juin 2015.
Pour les deux hommes, arrivés à six mois d'écart, Calais marque une désillusion. "Même après tout ça, ça m'a choqué ! Je ne pouvais pas croire que cette Jungle horrible était la France", lâche Shadi, amer.
L'échec d'une première tentative de traversée, via un passeur, ne le décourage pas. Voulant pénétrer dans la zone d'embarquement des ferries, il chute et se brise les poignets. "Après quatre mois à l'hôpital, j'ai retenté. Mais un policier m'a frappé volontairement sur les poignets avec sa matraque. Je me suis alors dit que j'aurais mieux fait de mourir en Syrie". Il en tremble encore, en déplorant que sa plainte ait été classée sans suite.
Shadi finit par obtenir un titre de séjour mais reste quelques mois de plus dans "la Jungle", faute d'hébergement disponible.
Riaz, lui, y passe près de quatre mois après avoir attendu en vain en Belgique d'obtenir l'asile. "C'était le pire endroit de mon voyage. Il n'y avait rien, pas d'eau, pas d'infrastructures". Il finit par trouver un hébergement viable et devient bénévole pour l'association l'Auberge des migrants, comme traducteur.
"Une vie normale"
L'errance derrière eux, les deux hommes s'installent à Lille pour reprendre leurs études.
Décrit comme "déterminé" et "d'une grande sensibilité" par ses amis français, Riaz, qui a obtenu le précieux statut de réfugié et une bourse, a entamé une licence pour devenir journaliste. Aujourd'hui, il ne regrette rien de son périple. "J'ai tout ici, des papiers, une vie normale".
Voulant "regarder vers l'avenir", il a demandé la nationalité française et se dit "reconnaissant" de l'accueil reçu. "Chaque fois que j'ai des vacances, je retourne à Calais et je passe du temps à l'Auberge des migrants", dit-il.
Pour Shadi, au contraire, la déception est immense. "J'ai dormi des mois par terre comme un animal (...) j'ai dû me battre pendant plus d'un an pour obtenir des papiers pour mes parents" et n'ai "toujours pas pu finir mes études" à cause des "blocages administratifs", soupire-t-il.
"Je ne me sens pas considéré comme un homme", souffle-t-il, jugeant que, malgré la devise nationale, "liberté et égalité ne sont pas vraiment offertes aux réfugiés". "Mais j'ai quand même envie de dire merci à la France".