Deux semaines après le début des crues, l'heure du bilan pour les sinistrés. Au-delà des dégâts matériels, il faudra prendre en compte les blessures psychologiques. La Croix-Rouge se montre très active sur le terrain, mais c'est un travail sur le long terme qui s'engage. France Victimes met en place des numéros d'appel.
D'abord, le choc, le coup de massue. À Blendecques aux premières heures de la crue de l'Aa, nous avions rencontré Vincent. Sa maison engloutie par les eaux. Les inondations, il en avait déjà été victime en 2002. Face à nous, l'homme se plie de douleur. Revivre tout cela lui semblait insurmontable. "Reprendre une deuxième salve, nous confie-t-il les yeux embués, "ça fait très mal. Tous nos investissements, tous nos moments de bonheur qui sont partis… sous l'eau".
D'abord l'urgence...
Le choc, c'est la première émotion à prendre en charge pour les secouristes. "Il faut savoir laisser parler et surtout écouter", nous confie la présidente de la Croix-Rouge dans le Pas-de-Calais. Ses bénévoles sont tous formés à ce premier niveau d'intervention. "Nous avons ouvert 12 hébergements d'urgence", poursuit Fabienne Berquier. "Les sinistrés arrivent dans des grandes salles avec plein de lits. Ils sont perdus".
Un café, un thé, un chocolat… et les langues se délient. "On a des moments assez privilégiés avec les sinistrés. On est très proche d'eux dans l'événement". À la Croix-Rouge, on appelle cela "le coup de main, coup de cœur". Le coup de main pour l'aide technique et physique. Le coup de cœur pour le temps d'échange et de discussion.
Partir de chez soi, le traumatisme
Quitter sa maison est un traumatisme pour les nombreux sinistrés qui témoignent. À 76 ans, Annick quitte sa maison pour la première fois : "Là, il faut qu'on parte", se résigne-t-elle. "Je n'ai jamais vu ça. On a déjà eu des petites inondations, mais jamais dans la maison. Je ne sais pas quand on y reviendra". Les mots sont étouffés par les pleurs. À ses côtés, sa petite fille Jennifer tente de la rassurer, mais la réalité est cruelle : "C'est leur vie qui s'effondre en fait !".
En deux semaines, les eaux se sont installées durablement dans le Pas-de-Calais. Avec elles, l'épuisement et la détresse psychologique. Une angoisse partout présente dans les témoignages de sinistrés. À Montreuil-sur-mer, Ulysse Toulet va et vient, les pieds dans l'eau. Le boulanger est nerveux. Sa maison, son entreprise, il a tout perdu.
Je suis dans le brouillard. J'ai l'impression de ne pas voir à 5 mètres devant moi. Il y a plein de questions qui se posent. Quand est-ce qu'on va réintégrer notre logement ? Quand est-ce qu'on va reprendre notre activité ? Quand est-ce que l'eau va partir ? On est dans le flou.
Ulysse Toulet, boulanger à Montreuil-sur-Mer
La crue a atteint ses bâtiments le 9 novembre. Onze jours plus tard, il patauge toujours dans 30 centimètres d'eau. "On n'a plus rien, on est à l'arrêt total et on ne sait pas pour combien de temps".
L'incertitude de l'avenir est un abîme. Comment retrouver confiance après de telles inondations ? "Le soutien psychologique se fait dans un temps inestimable", poursuit la présidente de la Croix-Rouge du Pas-de-Calais. "Tout le monde ne réagit pas de la même manière. Certains auront besoin de parler dans un, trois ou six mois. De nouvelles pluies ou des orages pourront réveiller des chocs". La plupart des sinistrés ne dorment déjà plus. Ils nous racontent ces bruits qui les réveillent en sursaut dans la nuit "comme si une vague arrivait sur nous".
France Victimes pour la prise en charge à plus long terme
Tant de choses à gérer. Tant de pression, de nuits blanches. C'est pour cela que l'association France Victimes a décidé d'intervenir. Un numéro est désormais en place pour les sinistrés du Pas-de-Calais : le 01.41.83.42.25, le 116 006 ou envoyer un message à aide.sinistres62@france-victimes.fr.
Ce mardi 21 novembre, l'association a contacté les 250 mairies inondées pour présenter le dispositif. Il s'agira d'identifier les besoins collectifs et individuels, les besoins psychologiques, administratifs et sociaux.
☎️ Suite aux inondations survenues sur la région du Pas-de-Calais, la fédération France Victimes et France Victimes 62 ont été sollicitées par les autorités compétentes afin de mettre en place une cellule d’appui aux sinistrés du territoire.
— France Victimes (@FranceVictimes) November 21, 2023
Retrouvez les informations ⬇️ pic.twitter.com/vcpmr5Zt3i
"Ce qui est difficile, c'est l'inconnu. La maison est le lieu le plus sécurisé en principe et elle n'est plus là", nous précise Carole Damiani, docteure en psychologie. La réaction face aux événements, "ça dépend de chacun, du sentiment de mort imminente. Au lieu que la mort soit nulle part, elle est partout".
Éviter la solitude
Dans l'épreuve, la solidarité est déterminante. Carole Damiani l'affirme : "La première question que l'on pose, c'est toujours : "Est-ce que vous êtes seuls ?" On est moins inquiets quand les sinistrés sont entourés". Dans le Montreuillois, un éleveur nous confie cette ambivalence émotionnelle. "On se sent un peu seul au monde au début. Puis, très vite, il y a une grosse entraide. Je n'arrête pas de recevoir des appels, des amis, de la famille qui viennent. Le monde est réactif".
À l'école de Wizerne, les enfants ont retrouvé l'école et, là plus qu'ailleurs, il faut savoir écouter. Manuel Rebergue est enseignant. Après plusieurs jours sans cours, ses élèves sont un peu perdus. "On leur a dit que s'ils avaient des choses à dire, ils pouvaient les partager avec nous, avec des copains, des copines… pour évacuer un peu les émotions".
Inspectrice de l'Education Nationale, Fabienne Forgez poursuit : "Il y a une joie de revenir à l'école. Une joie pour les élèves de revenir dans un cadre un peu protégé. La bulle que constitue l'école pour eux, c'est important".
Pour toute une communauté, un long, très long travail de reconstruction commence.
Ce mercredi 22 novembre, France 3 Nord Pas-de-Calais et France Bleu Nord s'associent et mobilisent leurs antennes en faveur des sinistrés du Pas-de-Calais. Un appel aux dons sera également lancé.
- De 7h à 9h, et dès 6h sur France Bleu Nord, La Matinale animée par Laurent Dereux.
- Ici 12/13 Nord Pas-de-Calais en direct de Blendecques dès 12h25
Les personnes souhaitant faire un don sont invitées à appeler le numéro suivant : 03 74 20 03 07 ou à écrire à l’adresse : soutien-populations@pas-de-calais.protection-civile.org