"Le dessin pourrait valoir entre 70 000 et 200 000 euros”, convaincu de posséder une œuvre de Picasso, il ne parvient pas à la faire authentifier

Voilà dix-sept ans que ce béthunois âgé de 72 ans a trouvé dans un héritage un dessin, qu'il affirme être de la main de Pablo Picasso, célèbre artiste espagnol. Une thèse soutenue par une vingtaine d'experts et étayée par de longues recherches, sans toutefois parvenir à faire authentifier le dessin, faute de réponse de l'administration officielle, la seule habilitée à le faire.

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En 1999, à la mort d'un grand-oncle roubaisien, célibataire et sans enfant, Vincent* hérite d'une collection composée d'une centaine de tableaux, sans plus d'informations sur cet héritage. Loin d’être un féru d’art, contrairement à son aïeul qui écumait les ventes publiques, galeries d’art et antiquaires, l'ancien dirigeant d’une entreprise de fournitures industrielles et de machines-outils les entrepose dans un garage. 

C'est seulement huit ans plus tard qu'il décide d'y jeter un œil. Le Béthunois tombe alors sur un cadre qui attire son attention. Dedans, côte à côte sur une feuille blanche abîmée par le temps, on y voit un extrait d’article reproduisant et titrant “Portrait de Stravinsky par Picasso” et un dessin avec le même visage, non signé. 

Après avoir démonté le cadre, Vincent* découvre, sur l’autre face du dessin, une invitation. De là, piqué par la curiosité, il commence à réaliser des recherches. Et de fil en aiguille, les liens avec Pablo Picasso se multiplient. À commencer par le fait que son grand-oncle appartenait à la famille d’un des premiers collectionneurs de Picasso, qui achetait directement chez lui. 

Dix ans de recherche

Pour le retraité, pas de doute, il a entre ses mains un dessin du célèbre peintre, dessinateur, sculpteur et graveur espagnol représentant son ami Igor Stravinsky, célèbre compositeur. Fort de sa découverte, il réalise des recherches pendant dix ans. Aujourd'hui âgé de 72 ans, il nous résume le fruit de celles-ci. 

Tout d’abord, le dessin est réalisé “au dos d’une invitation pour l’avant-première du film Les Disparus de Saint-Agil, datée du mois d’avril 1938, dont le dialoguiste était Jacques Prévert, un ami de Picasso”, explique Vincent*. Le peintre aurait ensuite laissé le papier dans ses poches, "comme de nombreux autres", jusqu’à ce que l’invitation soit utilisée pour dessiner Stravinsky en novembre 1938, la même soirée que la première de la pièce “Les Parents Terribles” de Jean Cocteau. 

Comme l’attestent les archives, Picasso et Stravinsky ont partagé la loge numéro 8. “Ils y sont allés ensemble puis ont dîné avec toute l’équipe à 500 mètres, au Marignan. C’est là que le dessin a été fait”, affirme le retraité. 

Qu’est ensuite devenu ce bout de papier transformé en dessin ? Pour Vincent, le dessinateur l’a gardé avec lui et mis entre deux pages de son carnet de cette année, retrouvé dans les archives. “La trace laissée dans le carnet correspond à la forme du ticket. Il l’avait peut-être signé, mais les coins ont été abîmés”, décrit Vincent. 

Un dessin offert à sa mécène

Le parcours du dessin ne s’arrête pas là puisque Picasso l’aurait donné en 1941 à sa mécène Eugenia Errázuriz. Dans une lettre, la chilienne écrit au peintre : “Je vous suis si reconnaissante pour le cadeau avec l’adresse du restaurant inscrite sur le papier même”. Une phrase que contextualise Vincent* : “Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Gestapo interdisait de faire circuler les œuvres d’art. Si elle avait écrit ‘dessin’, Picasso aurait risqué d’être embêté. Une de ses amies américaine, qui pouvait circuler car les États-Unis n’étaient pas encore en guerre, avait transmis le dessin.”

Vincent estime que l’inscription “Au Marignan, 1935, Champs-Élysées” écrit en bas à gauche aurait été ajoutée à ce moment-là, mais avec une erreur dans la date. Après la guerre, la mécène, complètement ruinée, est partie en catastrophe dans son pays en vendant ou en laissant des œuvres. Vincent n’a ensuite plus de trace du dessin et aucune information sur la manière dont son grand-oncle s’est retrouvé en sa possession. 

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la gestapo interdisait de faire circuler les œuvres d’art. Si elle avait écrit ‘dessin’, Picasso aurait risqué d’être embêté.

Vincent

Suite à ces découvertes, Vincent, galvanisé, a constitué un dossier solide pour demander l’authentification à la seule autorité habilitée : la Picasso administration, gérée par les ayants droit du peintre. Mais “silence complet”. 

Ne se décourageant pas, il en envoie un deuxième, puis un troisième. Et ainsi de suite, jusqu’à six au total, avec à chaque fois ses dernières découvertes. “Je n’ai jamais eu de réponse, rien. Au bout d’un moment, j’ai abandonné après un dernier envoi en 2016”, se désole-t-il. 

Six demandes envoyées, aucune réponse

En parallèle, il a réalisé diverses analyses, notamment stylistiques, et a été en contact avec une vingtaine d’experts à travers le monde, reconnus par leurs pairs, les maisons de vente, musée ou galerie, tous d’accord pour dire qu’il s’agissait bien d’un nouveau portrait de Stravinsky par Picasso, en plus des trois officiels déjà reconnus, datant de 1917 à 1920.

Du fait du double intérêt, pour les collectionneurs de Picasso et de Stravinsky, le dessin pourrait valoir entre 70 000 et 200 000 euros. “Mais sans authentification, je ne peux rien faire. Le dessin ne vaut pas un centime”, se désole Vincent qui aimerait que sa trouvaille “fasse partie de l'œuvre de Picasso et puisse être vue”.

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Le Béthunois, qui lit régulièrement dans la presse des histoires similaires à la sienne, dénonce une “omerta complète” : “Le marché de l’art ne reconnaît que l’administration Picasso, mais elle rejette systématiquement les demandes car il y en a trop, entre 50 et 100 par semaine”, rapporte-t-il d’un proche de l’administration.

Il cite en exemple cet homme qui a envoyé un tableau pour son expertise et à qui on a répondu que la “sculpture” n’était pas de la main de Picasso. Contactée, l’administration n’a pas répondu à nos sollicitations. 

Pourquoi cet omerta ?

Demandes farfelues ? Manque de temps ? Peur de se tromper ? Autant de raisons qui pourraient expliquer ce positionnement. “Ou bien, si d’un seul coup tous les Picasso présumés étaient attribués, les prix pourraient baisser et faire tomber la cote de Picasso”, glisse Vincent, qui rappelle que le peintre a créé de ses 8 à 92 ans, “même le jour de sa mort” : “Il y a plus de 40 000 peintures et dessins attribués, mais ça pourrait facilement être le double”. 

Si d’un seul coup tous les Picasso présumés étaient attribués, les prix pourraient baisser et faire tomber la cote de Picasso.

Vincent

Malgré cette situation au point mort depuis des années, Vincent refuse de se laisser abattre. Soutenu par des experts qui le questionnent régulièrement sur les avancées, il a décidé de partager son travail sur son blog et ses réseaux sociaux, n’hésitant pas à mentionner la Picasso Administration, qui n’a jamais fait appel à ses avocats pour l’empêcher d’utiliser le nom du peintre, à son grand étonnement. 

De cette découverte est tout de même née une véritable passion pour l’art en général et notamment le 20e siècle. “Ça a commencé avec Picasso et maintenant ça me prend toutes mes journées, tout ça grâce à mon oncle”, se réjouit-il. Depuis, d’autres découvertes se sont ajoutées à sa collection, cette fois de Willem de Kooning, Joan Miro et Maurice De Vlaminck. Aucune de ces œuvres n'a pu être authentifiée, faute d’expert habilité ou en raison des “sommes astronomiques demandées”

*Le prénom a été modifié.

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