Une centaine de salariés bloque le site Setralog, une filiale du groupe France Loisirs, à Noyelles-sous-Lens depuis le 17 novembre. Dans le bassin minier, 250 emplois sont menacés depuis la mise en liquidation judiciaire du groupe spécialisé dans le marché du livre depuis 50 ans.
Dans le Nord de la France, France Loisirs représente une institution historique. Depuis sa création en 1970, l’entreprise fait vivre des centaines de foyers du bassin minier. L’esprit France Loisirs ? Sylvain Tagniere, technicien de maintenance depuis trente ans sur le site de Setralog à Noyelles-sous-Lens en est presque nostalgique. "C’était un club à l’origine. Les abonnés devaient acheter un bouquin par trimestre." En plus de ses boutiques en France, la marque France Loisirs était présente au Québec et en Belgique. "Les années 1990 étaient vraiment de belles années", se souvient le salarié.
"J’ai du mal à concevoir que le rideau puisse aujourd’hui tomber". De deux millions dans les années 70 et 80, la part d’abonnés est tombée à 800 000 en 2020. À l’ère du numérique, les clients ne veulent plus s’engager sur le long terme et les abonnés ont, par conséquent, disparu. Autrefois leader dans le marché du livre, France Loisirs ne peut aujourd’hui faire face à la concurrence dont le géant Amazon. Le groupe français ne compte plus qu'une centaine de boutiques en France actuellement.
"Nous sommes là pour essayer de sauver notre marque"
"Tout le monde parle du Made in France, partout ! Mais personne ne s’intéresse à nous, regrette Emilie Lhotellier, préparatrice de commande à Noyelles-sous-Lens depuis quinze ans et déléguée à la CGT. Pourtant, nous représentons la culture, les livres, la France… On se sent abandonnés".
Le 25 octobre dernier, France Loisirs est placé en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Paris. Le groupe obtient un prolongement des activités jusqu’au 24 janvier, le temps de trouver un repreneur.
L'emploi des salariés des sites de Setralog et de Marigny et Joly, dans la commune de Noyelles-sous-Lens, se retrouvent sur la selette. Le 17 novembre dernier, 120 d'entre eux entament une grève à l'appel de l'intersyndicale. Depuis un dizaine de jours, ces employés bloquent l’activité du site en charge de l’approvisionnement du groupe France Loisirs, en empêchant l’entrée et la sortie des commandes. Le service téléphonie est aussi à l’arrêt.
"Il commence à faire froid mais nous ne lâcherons rien", scande Sylvain Tagniere, en poste depuis trente ans à Setralog. Caristes, informaticiens, préparateur de commande : toutes les professions du site sont représentées. "Nous sommes là pour essayer de sauver notre marque".
"On nous disait que tout allait bien"
"Nous n’avons pas été avertis de la liquidation judiciaire, déplore Sylvain Tagniere, également délégué suppléant à la CFDT. Pourtant, on nous disait que tout allait bien". Plus d’une semaine après le début de la grève, les salariés demandent à Adrian Diaconu, président du groupe Actissia, maison-mère de France Loisirs, de trouver un repreneur qui sauvera, en plus de la marque, les 250 emplois du bassin minier.
Pour Adrian Diaconu, "rien a été caché aux salariés. Ils connaissaient la situation". À son arrivée en 2015, ce chef d’entreprise a investi plus de 30 millions d’euros de sa fortune personnelle. "J’ai repris un groupe qui était déjà en état de liquidation, explique-t-il. Ça me tenait à cœur de ne pas laisser à l’abandon un groupe pour lequel j’avais déjà travaillé pendant onze ans".
Entre 2015 et 2018, la période est difficile pour Setralog. "Le tribunal a failli liquider à deux reprises l’entreprise. Il exigeait un apport de 10 millions d’euros et je l’ai fait", indique Adrian Diaconu. Mais l’argent ne suffit pas à sauver une société dont le modèle est dépassé. La crise sanitaire finit d’achever France Loisirs : " Les boutiques représentent 50% de notre chiffre d’affaire. La fermeture dues aux confinements successifs, nous ont été fatales".
Deux offres de repreneurs jugées "insuffisantes"
À Noyelles-sous-Lens, les salariés espèrent un scénario semblable à celui de l’entreprise nordiste La Redoute. "Leur entreprise se porte bien maintenant. Ils ont su renaître de leurs cendres", constate Sylvain Tagnière.
Depuis la mise en liquidation judiciaire de France Loisirs, deux repreneurs potentiels se sont manifestés. Ils sont spécialisés dans l’informatique et la vente à distance. "L’un souhaite seulement racheter le bâtiment, le second sauverait 80 à 100 emplois du bassin minier sur les 350", selon les salariés, jugeant ces offres "insuffisantes". Au total, entre les boutiques et les filiales de France Loisirs, 750 emplois sont menacés en France.
Les salariés en grève regrettent qu’Adrian Diaconu n’ait davantage sollicité le gouvernement pour sauver leur emploi. Malgré un prêt garanti par l’Etat de 14 millions d’euros puis une aide de 10 millions, le patron affirme "ne pas pouvoir faire plus". "L’État a fait sa part et je ne peux plus aller au-delà", conclu-t-il. Seul point d'accord entre les grévistes et leur patron : "Personne ne s'intéresse à notre entreprise".