"On frôle le drame" : de Maubeuge à Calais, les services d'urgence au bord de l’implosion

La triple épidémie de grippe, Covid et bronchiolite met à mal des services d'urgence déjà fragilisés. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, les soignants tirent la sonnette d'alarme.

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Les soignants font face à un jour sans fin. Alors qu’ils tirent la sonnette d’alarme sur l’état de l’hôpital en France depuis plusieurs années, ces dernières semaines ont marqué une étape supplémentaire dans les difficultés auxquelles ils font face.

Alors que l’épidémie de grippe saisonnière se propage, les contaminations au Covid-19 se poursuivent et la bronchiolite nécessite toujours l’hospitalisation de nombreux enfants. Dans le même temps, la grève des médecins généralistes a été reconduite jusqu’au 8 janvier prochain. Ajoutez à ce cocktail explosif les fêtes de fin d’année, période où les passages aux urgences augmentent de manière notable, et le résultat tombe : les urgences des hôpitaux débordent.

Dans un article publié quelques jours avant le passage en 2023, nous relations l’appel de détresse d’un aide-soignant des urgences du CHU de Lille. Il expliquait que des patients pouvaient attendre jusqu’à 19 heures sur des brancards, dans les couloirs. Des records de fréquentation ont effectivement été enregistrés fin 2022, a déclaré la direction.

Parallèlement, plusieurs hôpitaux du Nord et du Pas-de-Calais comme Roubaix, Tourcoing ou Saint-Philibert ont déclenché le plan blanc pour faire face à une activité accrue dans leurs établissements. À Hazebrouck ou Armentières, les directions ont déclaré leurs hôpitaux en tension, dernière étape avant l’activation du plan blanc.

Alors qu’Emmanuel Macron s’apprête à prononcer un discours solennel vendredi 6 janvier 2023 autour de la crise que traverse actuellement le système de santé, nous avons sollicité des soignants dans différents services d’urgences de la région pour prendre le pouls de la situation, qu’ils jugent "catastrophique".

À Lens, "on frôle le drame à chaque fois"

L’infirmier-anesthésiste que nous avons interrogé se souviendra de sa nuit de nouvel an pendant très longtemps. Alors qu’il travaille ce soir-là au sein de l’équipe SMUR de Lens, rattachée au SAMU d’Arras, les allers et venues entre les domiciles des patients et les urgences du centre hospitalier se succèdent. "On avait un malade à placer en réanimation mais il n’y avait plus qu’une seule place à Lille. Quand on les a appelés, 5 personnes attendaient déjà pour occuper ce lit", raconte Jean Letoquart, délégué CGT. Il est également premier adjoint au maire communiste d'Avion.

"On a dû mettre une affiche à l’entrée pour prévenir les gens qu’il y avait 8h30 d’attente avant d’avoir un docteur, explique-t-il. Je peux vous dire qu’aucune personne n’est repartie en voyant le panneau".

Chaque heure passée aux urgences diminue, de fait, la qualité de la prise en charge.

Jean Letoquart, anesthésiste et délégué CGT au CH de Lens

Au petit matin du 1er janvier, 40 personnes patientent dans les couloirs, sur des brancards. "On met des rallonges électriques pour brancher les appareils de surveillance et les amener auprès des patients, on se débrouille comme ça". Il l’assure : "on frôle le drame à chaque fois car chaque heure passée aux urgences diminue, de fait, la qualité de la prise en charge".

Un afflux de patients à gérer, couplé à un effectif trop peu nombreux pour assurer correctement le fonctionnement du service. "À Lens, il faudrait 24 équivalents temps plein (ETP) médecins pour faire tourner nos urgences, mais ils ne sont que 9, déplore Jean Letoquart. Et ce n’est pas des arrêts maladie en cascade mais des démissions qui provoquent cette situation".

On est en souffrance, on est en manque de personnel. Sur une équipe de 6, on tourne souvent à 4 pour environ 70, 90 voire 150 entrées sur 12 heures. Ce qui veut dire que la qualité de soins, la qualité de ce qu’on peut apporter en termes de diagnostic est compromis.

À Calais, "il nous faut impérativement un deuxième infirmier d’accueil"

Au centre hospitalier de la ville, la fronde des soignants a débuté avant la triple épidémie qui pèse chaque jour un peu plus sur les services d’urgence de France. Le 8 décembre 2022, à l’appel de la CFDT et de la CGT, une grève reconductible a débuté pour alerter sur les conditions de travail qui se dégradent et le manque de personnel.

Près d’un mois plus tard, et après une pause pendant les fêtes de fin d’année pour ne pas engorger davantage les urgences, la grève vient d’être reconduite. "Il nous faut absolument un deuxième infirmier d’accueil aux urgences", explique la CGT. Un poste clé pour fluidifier le service, car ces infirmiers "sont ceux qui font en quelque sorte le tri". Or aujourd’hui, le syndicat assure que ça bloque. "Si un enfant est en 5, 6 ou 7ème position, on aimerait les prioriser mais le personnel n’arrive pas à le faire".

Pendant les fêtes de Noël, les urgences du CH de Calais ont enregistré en moyenne entre 120 et 150 passages journaliers, contre 80 et 110 le reste de l’année. "La direction a fait des gestes mais a du mal à comprendre ce point précis, qui est pourtant primordial", conclut le syndicat. Des discussions doivent se poursuivre dans le courant de la semaine.

À Béthune, "les soignants ont l’impression de maltraiter les gens"

Dans l’Artois, le centre hospitalier de Béthune Beuvry couvre un bassin de population de 300 000 personnes. Les urgences "sont saturées depuis trois mois", affirme Christophe Blondel, secrétaire local de la CGT.

Pendant la période de fête, le service comptait "une centaine de personnes dans les urgences, avec des brancards partout dans les couloirs". Il décrit une situation qui atteint son paroxysme. "On voit des patients avec des bouteilles d’oxygène dans les couloirs parce qu’on ne peut pas les brancher au réseau et il n’y avait plus une chaise disponible".

Selon le syndicat SAMU-Urgences France, 31 personnes seraient mortes seules sur des brancards dans les couloirs des urgences de France durant le mois de décembre, "dans des conditions qui ne devraient pas exister", indique Marc Noizet, président du syndicat et successeur de François Braun à ce poste, nommé ministre de la Santé en juillet 2022.

Lorsque vous avez 30 ou 40 personnes en plus dans les couloirs, les infirmiers, aides-soignants et médecins disent qu’ils ne peuvent plus surveiller tout le monde.

Christophe Blondel, secrétaire local de la CGT au CH de Béthune-Beuvry

Certains de ces décès ont-ils eu lieu à Béthune ? "Pas ces dernières semaines, répond Christophe Blondel, mais on a déjà eu des décès sur des brancards aux urgences". Selon lui, "lorsque vous avez 30 ou 40 personnes en plus dans les couloirs, les infirmiers, aides-soignants et médecins disent qu’ils ne peuvent plus surveiller tout le monde".

Une situation qui pèse sur le moral des professionnels de santé. "Les soignants ont l’impression de maltraiter les gens, ils ne peuvent pas prendre le temps avec les patients, explique-t-il. L’effectif n’évolue pas. On a un très gros problème pour garder le personnel et on a du mal à recruter".

À Maubeuge, "l’absentéisme est conséquent"

En octobre 2021, le CH de Maubeuge a accueilli ses premiers patients dans le tout nouvel hôpital flambant neuf installé en bordure de la ville. "Ce nouvel établissement a été réduit en lits d’hospitalisations, assure Guillaume Rosey, secrétaire CGT. Donc les personnes prises en charge aux urgences doivent attendre que les patients qui sont dans les lits libèrent ces lits pour être transférés dans les services spécialisés".

Un encombrement en aval qui rallonge selon lui le temps d’attente aux urgences depuis plusieurs mois, sans oublier la triple épidémie qui sévit actuellement. "Vendredi soir, avant le week-end de nouvel an, il y avait une cinquantaine de patients aux urgences pour une dizaine de lits d’hospitalisations disponibles à l’hôpital. Pour plus de la majorité de ces patients, ils nécessitaient pourtant une hospitalisation".

Après un week-end éprouvant pour les équipes, le syndicaliste a partagé sur les réseaux sociaux une photo de tentes actuellement installées devant l’entrée de l’hôpital de Metz. En cause, l’afflux de patients suite à des arrêts maladie en cascade à l’hôpital voisin de Thionville. Guillaume Rosey a ajouté un message : "cet hiver, nous craignons le même désastre ailleurs".

Nous lui avons demandé s’il pensait qu’une situation similaire pourrait se produire sur le parking de l’hôpital où il travaille. "Impossible, répond-il d’emblée, parce qu’on n’arrive déjà pas à faire tourner nos services avec l’effectif actuel. L’absentéisme augmente et la direction tire sur la corde".  Il prend pour exemple le cas d’une infirmière qui l’a alerté il y a quelques jours. "Sur son planning prévisionnel était affiché 60 heures en 6 jours. Or, la loi n’autorise que 48 heures sur 7 jours", déplore-t-il. Avant de conclure : "ouvrir des tentes avec du personnel supplémentaire n’est pas un luxe que l’on peut aujourd’hui se permettre à Maubeuge".

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