Premier Ballon d’Or français, Raymond Kopa, un galibot du Nord, devenu légende du football tricolore

L'histoire du dimanche - Ce lundi 30 octobre, le 67e Ballon d’Or a été remis au meilleur footballeur de l'année. Un prestigieux trophée individuel remporté en 2022 par Karim Benzema, cinquième français à inscrire son nom au palmarès. Le cercle fermé a été fondé par Raymond Kopa, enfant des corons, en 1958. À l’image de cette première, le "Napoléon" du football pour les uns, "Kopita" pour d’autres, a été un initiateur sur plusieurs aspects.

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Raymond Kopa ou Raymond Premier. Cette appellation n’est pas un clin d’œil au surnom donné par le journaliste anglais, Desmond Hackett, "Le Napoléon du football", au lendemain d’un des nombreux numéros d’artiste du Nordiste. Mais un surnom qu’on pourrait utiliser afin d’évoquer le personnage précurseur qu’il a été. Premier Français à soulever la Coupe d’Europe, premier Français ballon d’or, plus gros transfert de l’époque, premier footballeur décoré de la légion d’honneur… en somme, la première légende du football français.

Avant de rentrer dans le panthéon du ballon rond, Raymond Kopa se forge dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. "Sans tomber dans la caricature et dans les stéréotypes, j'aurais tendance à dire qu'il coche toutes les cases du footballeur de l'ère moderne. Dans le sens où il a une trajectoire sociale et sportive ascendante", résume Olivier Chovaux, historien du sport à l’université d’Artois. Son parcours entretient la réalité de quelques individus utilisant le sport comme vecteur d’ascenseur social. Comme Jean Stablinski, d’un an son cadet, autre enfant de la région, devenu une légende du cyclisme.

Le ballon rond au cœur du pays minier

Raymond Kopaszewski est né à Nœux-les-Mines, face au terril de la fosse 3, le 13 octobre 1931. Il est fils et petits-fils de mineurs. "Son enfance est identique à celle de gamins issus de l'immigration polonaise, de la 2e ou 3e génération", décrit l'enseignant à l'UFR STAPS de Lievin. Celle d’un enfant destiné à la mine, une fois atteint l’âge de travailler. Le 7 mars 1978, l'intéressé décrit au micro de France 3, la maison dans laquelle il grandit, collée au terrain du club de la ville, l’US Noeux-les-Mines. "Je n’avais plus qu’à enjamber un mur pour me retrouver dans le stade".

Une telle proximité, un hasard ? Oui et non comme le rappelle l’historien. "Il faut porter au crédit des compagnies minières d'avoir aménagé des terrains un petit peu partout dans les corons." Ce sont les prémices de l’acculturation de ce sport. Celui qui a travaillé sur l’histoire de la discipline dans le Pas-de-Calais explique : "Très tôt, très vite, en pays miniers, le football n’est pas une religion, mais la pratique majoritairement pratiquée et celle qui écrase toutes les autres."

Pas "passionné" par l’école, le jeune Kopa passe des heures à jouer de l'autre côté de la clôture de chez ses parents, François et Hélène. "Je me souviens très bien de cette époque où nous avions tous, les jeunes, un œil sur le ballon et un œil sur le garde, parce qu’il nous était interdit d’utiliser les installations de l’US Nœux-les-Mines. On s’est bien souvent trouvé dans l’arbre et le garde en dessous", s'amuse-t-il.

Dans son livre autobiographique, il raconte également être à l’origine d’une équipe au nom de sa rue, l’équipe du "Chemin Perdu", à l’âge de 8 ans. La réputation de celle-ci aurait fait le tour des corons. C’est lors d'une de ces rencontres que les dirigeants du club l’auraient repéré. Il obtient ainsi sa première licence à l’US Nœux-les-Mines, à l’âge de onze, en 1942. "L’un des bons clubs du pays minier", précise Olivier Chovaux, derrière les mastodontes que sont déjà le RC Lens et le LOSC.

"Je n'avais qu'un seul moyen, c'était aller à la mine. J'étais fils de Polonais"

Raymond Kopa, premier Ballon d'Or français

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Nord-Pas-de-Calais se retrouve occupé. "Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la pratique du football ne disparaît pas, malgré les conditions drastiques d'occupation", indique l'historien. Raymond Kopa révèle dans son livre avoir volé son "premier ballon de football, tout en cuir", aux Allemands jouant sur le terrain de la commune, avant de rectifier plus tard, l'avoir emprunté.

À la sortie de la guerre, une fois son certificat d’études en poche, à 14 ans, Kopa doit se résoudre à travailler à la mine après de nombreux refus en tant qu’apprenti électricien. "Je n'avais qu'un seul moyen, c'était aller à la mine. J'étais fils de Polonais", déclara-t-il dans une interview accordée à l’ORTF, le 10 octobre 1963.

Apte au travail, on lui donne le statut de galibot dans le terril de la fosse 2. Le voilà chargé de pousser les berlines, les wagonnets remplis de charbon, à 600 mètres de profondeur, de 5 à 13 heures. On lui laisse l’après-midi de libre pour pouvoir pratiquer son exutoire. "L'ingénieur de cette mine, c'était le président du club où j'évoluais. Il aurait pu faire le nécessaire pour me trouver un meilleur emploi, mais il ne l'a pas fait. C'était un con", exprime-t-il, en faisant référence à son accident, en 1947. Un éboulement lui écrase la main gauche. Il est amputé de deux doigts.

Olivier Chovaux précise qu'à l'époque, les compagnies minières possédant un club "repèrent très vite les joueurs les plus talentueux et les mettent dans des emplois 'protégés', parce qu’ils en ont besoin davantage comme footballeur". Après un retour dans les profondeurs, Raymond Kopa raconte ses performances qui lui font quitter le trou, pour un poste d’apprenti chaudronnier.

Du sous-sol aux lumières des grands stades

Son fait marquant arrive en 1948, lors de la finale de la Coupe du Nord. Menée 3-0 face à Auchel, à la mi-temps, l'équipe fait grise mine. Les qualités techniques du jeune Raymond renversent la situation. Il inscrit deux buts, avant d’égaliser, sur pénalty. Au bénéfice des corners, il offre le titre.

Sa performance convainc Constant Tison, l’entraîneur de l’équipe première de l’US Nœux-les-Mines, de le surclasser chez les seniors, à seulement dix-sept ans. Il inscrit le but de la victoire pour son premier match contre Tourcoing. Par ses dribbles, il renverse les défenses et participe activement au titre de champion de la Division d’Honneur 1949. Le club monte ainsi au troisième niveau national de l’époque.

Contre son gré, il est poussé par l’entraîneur et le directeur sportif du club au concours des jeunes footballeurs. Anxieux avant d'entrer en scène, il montre toute sa panoplie technique et obtient la deuxième place. Un concours lors duquel il est repéré par les dirigeants de plusieurs clubs professionnels. Ceux du Nord l’ignorent, en raison de sa taille (1,68 m).

Son destin se joue entre le SCO d’Angers et le Stade de Reims. Les Angevins sont les premiers à montrer leurs intérêts. Seulement, Kopa attend un signe concluant des Champenois. Il refuse une première offre du SCO avant d’accepter la seconde, au risque de rester coincé dans les corons. "Je ne pars pas seulement à Angers uniquement pour jouer au football. Je veux réussir enfin à trouver, à apprendre un métier", dit-il, en signant un contrat semi-professionnel. Ne lui trouvant pas d'emploi, les dirigeants le font rapidement passer professionnel.

De Reims au Real Madrid, le plus gros transfert de l'époque

Après deux saisons, Raymond Kopa ambitionne des projets plus grands et espère toujours évoluer à Reims. Mais pas à n’importe quel prix. Dans son livre, il évoque l’épisode où il met fin à l’entrevue avec le président du Stade Reims, Henri Germain. Ce dernier lui refuse une prime à la signature de 500 000 francs. Mais il finit par avoir gain de cause et entame son idylle avec le club, lors de la saison 1951-1952.

Gérer ses contrats comme il l’entend, va être une marque de Kopa. Au Stade de Reims, il pose les premières pierres de son immense palmarès. En 1953, il soulève son premier trophée de champion de France et remporte également la Coupe Latine, la petite sœur de la Coupe d’Europe. Durant cette période, son jeu flamboyant lui ouvre les portes de l'équipe de France. Son premier match correspond à la première confrontation entre la France et l'Allemagne depuis la fin de la guerre, le 5 octobre 1952.

En 1955, il obtient son deuxième titre de champion de France. Le style de jeu des Rémois, créé par l'entraîneur Albert Batteux et qui traversera les générations futures, est parfaitement illustré par Raymond Kopa. Un jeu en mouvement, tout en technicité.

Ce "football champagne" se retrouve au sommet, lors de la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions, en 1956, contre la meilleure équipe du monde : le Real Madrid, future équipe de Kopa. Son transfert représente le plus gros de l’époque : 52 millions de francs anciens. En signant un contrat de trois ans, il accomplit "le rêve de tout footballeur" et s'assure de "retrouver sa liberté", afin de bâtir "mon après-football", écrit-il à plusieurs reprises.

Le premier Français à remporter la Coupe d'Europe

Aux côtés de Di Stéfano, "Kopita", surnom donné par les supporters Merengues, le Real continue de régner sur l’Europe. Le 30 mai 1957, Raymond Kopa inscrit une nouvelle ligne de sa légende, en devenant le premier Français à gagner la Coupe d’Europe. Un titre conquis de nouveau en 1958.

Au soir de ce sacre, Raymond Kopa n’imagine sûrement pas effectuer une année majeure de sa carrière. Quelques semaines plus tard, il hisse l’équipe de France, avec un certain Just Fontaine, en demi-finale de la Coupe du monde, en Suède. Stoppé par le Brésil et Pelé. La France remporte tout de même la petite finale face à l’Allemagne.

Le parcours héroïque de 58 entre dans les annales. Kopa est élu meilleur joueur de la Coupe du monde et Just Fontaine meilleur buteur du mondial. "C'était un dribbleur et tant qu'il n'avait pas fini, il ne donnait pas sa passe", renseigne ce dernier à la mort de Kopa. "L'épopée suédoise, c’est la fin des années noires de l'équipe de France", indique Olivier Chovaux.

Ses prestations en club et en équipe nationale le mettent sur un piédestal. Celui du Ballon d’Or 1958, réservé alors aux joueurs européens. "J’en suis flatté, j'en ressens un plaisir extraordinaire", livre-t-il. Il faudra attendre 25 ans avant de voir le deuxième tricolore inscrire son nom au palmarès, en la personne de Michel Platini.

Kopa, la "capacité à ne plus être sous la coupe d'un président"

Comme anticipé, Kopa souhaite revenir en France, malgré la pression du club espagnol. Cet épisode met en lumière "cette capacité à ne plus être sous la coupe d'un président, à ne plus dépendre de l'encadrement des clubs et à décider lui-même de sa propre destinée et de sa propre carrière sportive”, détaille l’historien. "Il a été l'un des premiers, avec d'autres, à militer pour que le contrat à vie soit aboli au profit du contrat à temps. Ça a vraiment été l'un des acteurs majeurs pour ce combat-là."

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Raymond Kopa parlant de son avenir, lors de sa dernière année au Real Madrid, et de son envie de revenir en France. ©INA

"Les joueurs sont des esclaves", déplore Raymond Kopa en 1963, dans un entretien à France Dimanche. Il s'agit d'une nouvelle attaque envoyée contre le contrat à vie qui lie alors le joueur à son club, jusqu’à ses 35 ans. "Je trouve choquant que les dirigeants puissent décider seuls de la carrière d’un footballeur, négocier son transfert, sans même l’en avertir, prendre des sanctions financières sans qu’il soit en mesure de se défendre. Je réclame pour tous la liberté que j’ai acquise pour moi."

Ce déballage lui vaut six mois de suspension avec sursis par la commission de discipline du groupement du football professionnel. Mais c'est une nouvelle graine pour la création du contrat à temps, qui voit le jour en 1969. "Le contrat à temps arrive après le mai 68 des footballeurs. Le conseiller d'État qui est en charge de suivre cette question, c'est Philippe Séguin", détaille Olivier Chovaux.

Raymond Kopa peut également être considéré comme un précurseur de l'arrêt Bosman, 32 ans après sa sortie médiatique, en 1995. Il s'agit de la reconnaissance du contrat du footballeur à ceux du travailleur en droit européen.

Signe du destin, il boucle son passage chez les Merengues à la fin de la saison 1959, lors de sa troisième finale de Coupe d’Europe, gagnée contre Reims. Là-même, où trois ans plus tôt, le Nordiste avait quitté l’équipe champenoise, avant son départ en Espagne.

Il évoluera sous les couleurs rémoises, jusqu’à la fin de sa carrière professionnelle, en 1967. Avec Just Fontaine, il partagera deux titres de champion de France. Durant ses dernières années, il vivra la chute du club phare français, jusqu’à sa relégation en deuxième division. L'enfant du Nord, adopté Champenois et Angevins, continuera de fouler les terrains du ballon rond jusqu'à ses 70 ans, au niveau amateurs, dans le club de Notre-Dame-des-Champs, à Angers.

Par ailleurs, il entame une carrière de tennis à l'échelle du Maine-et-Loire et participe au Paris-Dakar, en 1985, en tant que copilote d'Étienne Smulovici.

"Kopa incarne le footballeur moderne"

Olivier Chovaux, enseignant-chercheur dans l'histoire du sport à l'université Artois

Toujours avec un temps d'avance sur son époque, Raymond Kopa pense à la "brièveté d'une carrière" que peut engendrer une grave blessure. C'est pourquoi il "capitalise" et "valorise" son nom. Dès 1954, il crée la marque Kopa et revend des équipements de sport. Il lancera également des jus de fruit à son nom, dont la popularité prospère dans les années 60. "C’est la première fois qu'un footballeur fait ça. C'est ce qui le distingue des autres. Il incarne le footballeur moderne", souligne l'historien Olivier Chovaux.

"Quelque temps auparavant, je m'étais également lancé dans l'achat d'un sous dépôt de journaux, livres, tabac et papeterie. Avant de le revendre pour acheter l'hôtel Cristal à Reims", indique le Nordiste.

Kopa est également le premier footballeur à être nommé chevalier de la Légion d'honneur, en 1970. Dans le panthéon du football français, son nom traverse les générations. L'enseignant-chercheur le décrit comme "une figure de la culture populaire et de la culture de masse".

Lors de son décès, le 3 mars 2017, il reçoit un hommage mondial intergénérationnel. Kylian Mbappé, brillant à Monaco à l'époque, exprime à son sujet : "Il y a quelque chose de plus fort que la mort c'est la présence des absents dans la mémoire des vivants." Quelques jours plus tard, le stade Jean-Bouin du SCO d'Angers est renommé à son nom. Un an plus tard, le Stade de Reims l'honore avec la mise en place de sa statue dans l'enceinte d'Auguste Delaune.

65 ans après son sacre, Raymond Kopa pourrait être rejoint, ce lundi 30 octobre, par Kylian Mbappé, à la table des Ballons d'Or français. Le vice-champion du monde a été auteur d'une nouvelle saison flamboyante, marquée par sa prestation en finale de la Coupe du monde, avec un triplé inscrit.

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