TEMOIGNAGE Coronavirus : "Le mieux que j'ai à faire, c'est mon métier ... nourrir les gens" raconte le maire d'Héricourt

Suite de notre série sur les maires et la crise du coronavirus. Aujourd'hui, Mickaël Poillion, le maire d'Héricourt, dans le Pas-de-Calais, raconte son quotidien.

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Héricourt est baigné dans la lumière d'un grand soleil d'avril. Deux rues. Cent habitants. Le travail des champs bat son plein. Un tracteur passe. On s'active au jardin. Le Printemps a réveillé cette jolie campagne du Ternois, pays de plaines et de vallons, de prairies et de bois, de rivières et de sources.

Une vie de village

La vie du village et nos habitudes ne sont pas bouleversées par le confinement," reconnait Mickael Poillion, maire et agriculteur. " Presque rien ne change : nos jeunes sont revenus de leurs internats ou de leurs universités, mais nos retraités continuent de rester chez eux, l'activité agricole se poursuit." Et pourtant...
 
Et pourtant, Mickael Poillon, 42 ans, maire (SE) depuis 2014, farouche défenseur et militant d'une "autre" agriculture, a beaucoup de choses à dire sur la crise sanitaire que nous traversons. " C'est d'abord la pénurie des masques et des protections qui interroge. Sur le rôle de l'Etat, sa façon de piloter la crise "à la petite semaine", en donnant l'impression de réagir plutôt qu'agir. Ce n'est pas une question d'hommes, mais plutôt d'époque.

 

L'Etat n'est plus stratège, il ne prépare plus rien, il ne se prépare plus à rien. On le voit bien avec l'hôpital qui en pris plein la gueule ces dernières années et à qui on demande tant aujourd'hui. C'est la même chose dans bien des domaines. Ce qui n'a pas été fait pour l'hôpital n'est pas fait pour le climat. Ce que je vois dans mon propre village est hallucinant ! Par exemple : l'autorisation de labourer les prairies naturelles. (1) Elles jouent un rôle essentielle sur l'eau, le vent, l'érosion, le carbone, la biodiversité, le paysage. Pourquoi démonter nos prairies ? Là encore, on va dans le mur..."
 

La solidarité au quotidien


Curieux paradoxe. Le Covid 19 - dans une région pourtant fortement touchée - semble épargner ce petit village d'Héricourt. Mais il secoue les esprits. " Chez nous, explique Michael Poillion, la solidarité n'est pas un problème. Je fais cent mètres et je sais tout de suite si quelqu'un a besoin de quelque chose. Ici, les parents ne sont jamais loin de leurs enfants. Il n'y a pas de gens seuls. Sans doute notre mode de vie, plus lent, nous protège. Mais plus le temps passe, plus l'inquiétude grandit. Les anciens pour leur santé, les parents pour les études des enfants, les jeunes pour leur avenir. Si le confinement dure, nous serons impactés comme les autres. Notre agriculture souffrira. Je pense notamment à la filière du lait." 

  

Le maire et l'agriculteur sont indissociables. "La vie de la mairie est en suspend ; le secrétariat est fermé. Et je ne vois pas - vu le peu de pouvoir que j'ai - ce qu'un élu local comme moi peu faire. Ce que les maires des villes mettent en place en ce moment est génial ! Ils montent au feu. Mais moi... j'ai tellement peu de moyen d'action. Je ne reçois quasiment rien de la Préfecture. Finalement, le mieux que j'ai à faire, c'est mon métier : nourrir les gens."
 
Mickael Poillion et son épouse, Céline, animent un "drive fermier", sur le parking d'un pépiniériste de Ramecourt, à cinq kilomètres du village. Pas de contact. Les produits de la ferme sont directement mis dans le coffre des clients. La demande explose. Avant le confinement, il se vendait une quarantaine de paniers par semaine ; c'est le double aujourd'hui.

Et demain ?


"Là encore, on verra si cette crise du Covid changera des choses ", se demande, dubitatif, le maire d'Héricourt. " Est-ce que les gens, justement, modifieront leur manière de consommer et de s'alimenter ? Ou est-ce la grande distribution qui va encore en profiter ? Je souhaite qu'on prenne conscience enfin que notre système s'est déshumanisé. La violence de ce "truc" (le coronavirus) fait qu'on est en train de se prendre une grande claque."
 
En 2011, Mickael Poillion - à cette époque responsable du syndicat des Jeunes Agriculteurs - avait directement interpellé Nicolas Sarkozy, en direct sur un plateau de télévision. Et trois mois plus tard, le Président de la République s'était invité à Héricourt, sur son exploitation agricole. Celui qui n'était pas encore maire avait demandé au chef de l'Etat "de mettre en valeur la diversité alimentaire et la culture alimentaire, avec pour objectif une alimentation diversifiée qui fera que demain, il y ait encore des agriculteurs qui ne cultivent pas que du blé et des patates ; mais bien d'autres choses qui ont autrement de la valeur."

On y est. Demain, c'est aujourd'hui.
 
 
(1) Ce qu'on appelle les "prairies permanentes" sont un enjeu important pour l'agriculture, en termes économiques, sanitaires et environnementaux. Depuis 2018, en zones humides, il est interdit de les détruire. Mais par dérogation, une autorisation peut être accordée pour certaines catégories d'agriculteurs. La campagne 2019/2020 donne plus de souplesse aux exploitants agricoles.

 
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