La canicule est annoncée dans les prochains jours et les associations d’aide aux sans-abri sont en alerte. Les structures d’accueil et les maraudes sont renforcées. À Amiens, des SDF ont accepté de témoigner.
Il est dix heures, ce mardi matin. Le thermomètre frôle déjà les 26°C. David, Eric et Jérémy sont installés sur un muret, à côté de l’église Saint-Honoré, à Amiens. La nuit, ils dorment au centre d’hébergement d’urgence, la Passerelle, situé au coin de la rue. Tous les matins, ils sortent à 9 heures, après le petit-déjeuner. "On est là tout le temps. On fait avec... On tourne en rond. Dans la rue, on est comme dans une prison", lance Eric, un ancien détenu, devenu sans domicile fixe il y a trois ans.
Avec les fortes chaleurs et la consommation d’alcool, la déshydratation est un risque. "Il faut savoir se débrouiller. On cherche l’ombre. On vit au jour le jour. On ne prévoit rien. Mais nous avons de quoi boire. À la Passerelle, ils ont installé une fontaine à eau et nous pouvons y aller pour nous reposer", ajoute David qui vit dans la rue depuis 2020. Il se dit satisfait de pouvoir bénéficier d’un toit après avoir passé tout l’hiver dehors, cherchant la chaleur dans les lavomatiques ou une voiture de fortune.
Un centre d’accueil de jour pour s’hydrater et prendre des douches
55 personnes sont actuellement logées au centre d’hébergement d’urgence de la Passerelle. C’est aussi un accueil de jour, ouvert jusqu’à 17 heures tous les jours, du lundi au dimanche. La seule structure ouverte 7 jours sur 7 à Amiens. Elle permet aux personnes à la rue de se désaltérer, de se reposer et de manger un vrai repas. "Avec les fortes chaleurs que nous avons eues ces dernières semaines, nous nous sommes adaptés. Nous avons décidé d’ouvrir en continu. D’habitude, le centre ferme entre 13 heures et 14 heures pour permettre à nos agents de faire le ménage après déjeuner. Mais, avec la canicule annoncée, dès mercredi, les personnes qui le souhaitent pourront rester toute la journée dans nos locaux. Et pour ceux qui veulent sortir, nous leur fournirons des bouteilles d’eau. Nous mettons à disposition des serviettes pour les douches. Et nous fermerons une heure plus tard, à 18 heures", détaille Zungir Gombessa, chef de service de la Passerelle.
Malgré les fortes chaleurs, les SDF hébergés en centre, sortent la journée pour faire la manche ou se retrouver sur un banc. Medhi, 30 ans, vient de sortir de la structure d’accueil. Il y est hébergé depuis mars dernier. "Le plus compliqué pour nous, c’est de trouver de l’eau et des toilettes publiques. Il n’y a pas de système de fontaine dans le centre-ville d’Amiens. On trouve des solutions par nous-même pour se rafraîchir. On se pose dans des parcs, des endroits ombragés. Sinon, nous rentrons à la Passerelle, qui nous aide bien. Les gens aussi nous aident parfois quand ils nous voient dans la rue. Des citoyens lambdas qui nous apportent de l’eau et des sandwichs."
Je ne veux pas aller dans les foyers parce qu’il y a trop d’addictions et de bagarres
Jacques, sans domicile fixe
La situation se complique pour ceux qui n’ont trouvé aucun hébergement ou qui ont refusé l’accueil. Jacques est installé rue des Trois-cailloux, la rue piétonne du centre-ville. Au sol, à côté de lui, il a posé son petit sac en bandoulière contenant tous ses effets personnels. En face de lui, un petit gobelet et quelques pièces laissées par des passants. Il est en plein soleil, car "de l’autre côté de la rue, à l’ombre, les gens ne me voient pas", confie-t-il. Il vit jour et nuit dans la rue et dort sous une tente, dans un lieu qu’il préfère garder secret. "Je ne veux pas aller dans les foyers parce qu’il y a trop d’addictions et j’ai réussi à m’en défaire. Je ne veux pas y retomber. Et puis, il y a des bagarres et des punaises de lit. Je préfère rester dans la rue. Mais j’ai toujours de l’eau sur moi. La commerçante, en face, me remplit ma bouteille d’eau quand elle est vide et chaque jour, je prends une douche et je lave mon linge dans un foyer". Jacques profite aussi de l’aide des travailleurs sociaux qui passent pendant leurs maraudes. "En ce moment, je ne les vois plus. Mais je vais à la gare pour la soupe populaire."
À quelques mètres de Jacques, Nicolas est assis à l’entrée d’une boulangerie, à l'ombre. Lui aussi dort dehors et fait la manche pour payer de quoi se nourrir. "Les gens sont sympas, ils me donnent de l’eau en plus d’une petite pièce. Je vais souvent dans les centres commerciaux pour la clim et au Parc Saint-Pierre l’après-midi. C’est aéré, il y a de l’ombre et des transats pour se reposer." Nicolas refuse d’être hébergé en foyer d’urgence. "Je préfère rester seul, c’est moins dangereux."
Un renforcement des maraudes
À la Croix-Rouge d’Amiens, des maraudes sont prévues dès jeudi et jusqu’à samedi en début d’après-midi, période la plus chaude de la semaine. Le thermomètre pourrait avoisiner les 35°C. En période de vagues de chaleur, l’ARS recommande de boire de l’eau, de manger en quantité suffisante et de surveiller les personnes fragiles, comme les personnes isolées, en situation de précarité.
En effet, l’été peut être aussi redoutable que l’hiver pour les sans-abris. La déshydratation, les infections, les insolations sont des risques que les associations d’aide aux SDF prennent au sérieux. "On parle plus des SDF l’hiver, mais l’été, les besoins sont là aussi. Il y a autant de décès et il y a moins de places d’hébergement et moins de bénévoles. C’est un travail 365 jours par an", explique Alexis Derache, président du Samu social de l’Oise.
Depuis quelques semaines, l’association isarienne est en alerte. Les maraudes sont renforcées et les horaires des structures d’accueil de jour sont élargis. "Sur tout le territoire, les travailleurs sociaux rencontrent, en moyenne, 80 personnes par jour sur trois grands secteurs : le Creillois, le Compiégnois et le Beauvaisis. Trois équipes de deux intervenants sociaux et parfois une infirmière pour la prise en charge sanitaire", détaille Alexis Derache. Pendant cette période à risque, les équipes du Samu social ont décidé de renforcer leur vigilance et leurs conseils sur le terrain. "Depuis plusieurs semaines, nos travailleurs sociaux ont un discours de prévention auprès des personnes à la rue. Ils vont à leur rencontre la journée et le soir et leur distribue des kits canicule. Ce sont des sacs en toile avec une bouteille d’eau, une casquette et un t-shirt blanc. Et surtout, nous leur donnons la liste des endroits frais : les centres commerciaux, les fontaines publiques, les parcs ombragés… Et des structures d’accueil de jour", ajoute le président du Samu social de l’Oise.
L’attention est portée plus particulièrement aux personnes qui n’ont pas de solution d’hébergement, car souvent ce sont ceux qui ne font pas appel aux associations. "En ce moment, les centres d’hébergement sont saturés. Nous voyons de plus en plus de gens à la rue. Ce sont beaucoup de migrants, des hommes et des familles avec enfants, qui ont été déboutés du droit d’asile et ne peuvent plus intégrer les structures. Chaque année, c’est de plus en plus serré et de plus en plus de monde se retrouve à la rue", explique Stevens Duval, directeur départemental du Samu social.
Dans l'Oise, trois centres d'accueil de jour sont ouverts : les compagnons du marais, à Creil, le Samu social de Compiègne et Emmaüs, à Beauvais.