Neuf jours après que les gardiens de prison ont entamé une mobilisation d'une ampleur rare, le conflit s'enlise: leurs syndicats ont quitté mardi la table des négociations, rejetant les propositions du gouvernement, y compris sur leurs primes.
Les trois syndicats, Ufap-Unsa (majoritaire), FO et CGT-Pénitentiaire, ont appelé à poursuivre le mouvement de blocage des établissements pénitentiaires. Cette crise des prisons est l'une des plus importantes depuis 25 ans, et un défi pour le gouvernement : après les critiques des Républicains, reprochant à la garde des Sceaux Nicole Belloubet de "ne pas prendre la mesure" de la "détresse" des surveillants, c'est de la gauche que sont venues les banderilles. Emmanuel Macron "s'est pris les pieds dans le tapis", a estimé Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la France insoumise à l'Assemblée nationale, tandis que le député PS Luc Carvounas a qualifié Nicole Belloubet de "ministre techno" empreinte de "désinvolture".
"Déçus et frustrés"
Peu avant ces négociations avortées, le Premier ministre Edouard Philippe avait assuré devant les députés que le gouvernement était prêt à examiner des "mesures indemnitaires spécifiques et ciblées" en faveur du personnel pénitentiaire. "On repart déçus et frustrés parce que sur toute notre plateforme, on n'a pas eu le dixième des réponses que l'on attendait", a déclaré le secrétaire général du syndicat Ufap-Unsa (majoritaire) Jean-François Forget, au lendemain d'une rencontre déjà infructueuse.La prime proposée par la Chancellerie pour les agents affectés aux prisons sensibles a été qualifiée de "prime à l'agression" par les syndicats. Une "prime d'attractivité et de fidélisation", des jours fériés et des dimanches mieux rémunérés ont également été mis sur la table pour une enveloppe globale de 30 millions d'euros. "La vie d'un surveillant ne vaut pas cher !", a tonné la CGT-Pénitentiaire, qui demande la nomination d'un médiateur pour remplacer une "ministre disqualifiée".
"Le mouvement est plus dur qu'hier" (lundi), a reconnu la Direction de l'administration pénitentiaire (DAP), interrogée par l'AFP. Au total, 122 établissements sur 188 se sont mobilisés. En milieu de journée, dans 45 d'entre eux, le fonctionnement était affecté.
Dans 15 prisons, les gardiens ont refusé de prendre le service et les forces de l'ordre ont dû suppléer les surveillants dans 21 établissements. Dans certaines prisons, comme à Bayonne et à Pau, des agents, qui n'ont pas le droit de grève, ont posé des arrêts maladie, selon des sources syndicales.
'Difficulté du métier'
Jean-François Forget, pour l'Ufap-Unsa, a même assuré sur BFMTV que les surveillants comptaient "bloquer" le transfert de Jawad Bendaoud de la prison de Fresnes pour son procès mercredi à Paris. Un procès très attendu car il avait logé des jihadistes du 13 novembre 2015 à Saint-Denis.Du côté des détenus, le mouvement des gardiens provoque un "ras-le-bol", a indiqué l'administration. Dans les prisons de Valence et de Villefranche-sur-Saône, des équipes régionales d'intervention et de sécurité (Eris) sont intervenues après que 50 détenus ont refusé de remonter dans leur cellule. Des refus similaires ont été signalés à Metz, Laval et Varennes-le-Grand.
Depuis dimanche, une cellule spéciale a été mise en place pour évaluer la situation dans les prisons. Mardi matin, huit escadrons de gendarmes mobiles (640 hommes) ont été mobilisés pour remplacer certains surveillants ou encadrer les manifestations.
Les 28.000 gardiens de prison jugent leur profession dangereuse, mal payée et mal considérée alors que les prisons souffrent d'une surpopulation chronique.
Après l'échec de premières négociations samedi, la ministre s'est personnellement investie pour éteindre cette mobilisation, déclenchée par l'agression de surveillants dans la prison de Vendin-le-Vieil le 11 janvier et attisée, depuis, par une série d'autres incidents violents.
Deux surveillants ont été violemment mordus par un détenu et conduits à l'hôpital, mardi matin au centre pénitentiaire de Beauvais. "Je sais la difficulté de leur métier", a répété la ministre sur France 2, reconnaissant que les gardiens de prison ont notamment affaire à "une population (de détenus) plus violente" qu'avant.