L'avenir du RC Lens se joue au tribunal de commerce de Paris ce mercredi

Le tribunal de commerce de Paris se penchera ce mercredi à 15h15 sur les deux offres de reprise du RC Lens dans le cadre de la liquidation de sa "société-mère", RCL Holding. On fait le point sur les différents acteurs de ce dossier et leur rôle dans la procédure.

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Gervais Martel, président du RC Lens et de RCL Holding

Epaulé par le cabinet d'avocats Clifford Chance, l'un des plus réputés d'Europe, l'emblématique président du RC Lens est parvenu à trouver la solution juridique pour écarter son actionnaire majoritaire et associé azerbaïdjanais Hafiz Mammadov, qui ne finance plus le club depuis plus d'un an. Le 22 mars dernier, il a ouvert une procédure de conciliation auprès du tribunal de commerce de Paris, dont dépend la société parisienne RCL Holding qui détient 99,1% du capital du Racing. Gervais Martel avait créé cette holding en juin 2013 avec le Baghlan Group de Mammadov pour racheter le club artésien au Crédit Agricole. Actionnaire minoritaire et président de la "maison-mère" (0,01% du capital), les statuts de la société lui conféraient 40% des votes au conseil d'administration et un droit de véto sur toutes les décisions stratégiques. Il a également déclaré, lors de son récent procès pour une affaire de corruption, percevoir 27 500 euros par mois de RCL Holding, rémunération qui s'ajoute aux 12 500 euros / mois qu'il touche en tant que président du RC Lens. 


Mais Gervais Martel n'avait pas d'autre choix que de déposer le bilan de la holding le 28 avril dernier. La société était en cessation de paiement avec un passif exigible (dettes) de 12,15 millions d'euros et seulement... 5 735 euros disponibles en trésorerie. Un peu court pour financer la prochaine saison. Très discret en public ces derniers mois, Gervais Martel a joué un rôle très actif en coulisses pour solliciter et concrétiser des offres de reprise. Sa préférence porterait aujourd'hui sur le projet Solferino d'Ignacio Aguillo et de Gilles Fretigne qui le maintiendraient à la présidence du club. Les relations semblent plus tendues avec l'autre candidat, l'Ivorien Charles-Kader Gooré, et son entourage. 

Hafiz Mammadov, actionnaire majoritaire de RCL Holding

L'homme d'affaires azerbaïdjanais ne s'est plus affiché publiquement en France depuis le passage de Lens à la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG), le 5 juin... 2014. Après avoir injecté à perte plus de 20 millions d'euros dans les caisses des Sang et Or, Hafiz Mammadov est devenu un actionnaire fantôme. Empêtrés dans des difficultés financières, politiques et personnelles, l'insaisissable moustachu a eu ses comptes gelés, sa banque familiale (Bank of Azerbaijan) liquidée et son autre club de foot (FC Bakou) relégué admnistrativement en 2e division. Aujourd'hui encore, on connaît mal sa situation exacte. Certains le disent assigné à résidence en Azerbaïdjan.  


Gervais Martel et ses avocats ont fait constater ses nombreuses absences par huissier. Les comptes 2013-2014 de RCL Holding, société qu'il détient à 99,99%, n'ont jamais pu être approuvés faute d'avoir pu réunir l'assemblée générale ordinaire des actionnaires. En début d'année, Mammadov n'a pas donné suite non plus à l'offre de rachat présentée par le Belge Grégory Maquet (Century 21 Bénélux), ni aux suivantes, formulées dans le cadre de la conciliation. Désormais, en raison de la procédure de liquidation judiciaire enclenchée le 4 mai par le tribunal de commerce de Paris, la propriété du club va lui échapper. "Pendant deux ans, j'ai frappé à toutes les portes et demandé de l'aide, mais ça a été refusé dans tous les bureaux", s'est-il expliqué la semaine dernière sur un site azéri. "J'étais prêt à renoncer à ce club au profit de tout autre oligarque en Azerbaïdjan, mais personne n'a voulu. Donc, nous avons perdu Lens". Mais Lens n'est pas perdu pour tout le monde... car c'est l'une de ses connaissances, Ignacio Aguillo, dirigeant de l'Atlético de Madrid, qui semble maintenant le mieux placé pour reprendre le club artésien avec la société Solferino. "Azerbaijan, Land of Fire", marque créée par Mammadov pour promouvoir son pays, est toujours sponsor des Colchoneros. Et Aguillo représentait les intérêts de l'Azerbaïdjanais lors de discussions avec Grégory Maquet le 18 février...

Charles-Kader Gooré (CKG), candidat à la reprise

Son nom est apparu le 2 avril dans le dossier lensois au détour d'une photo postée sur Twitter par un confrère du Courrier de l'Ouest. On y voyait Charles-Kader Gooré brandir un maillot du RC Lens floqué à son nom sur la pelouse du Stade Bollaert-Delelis. Le cliché remonterait à début mars. Selon son entourage, l'homme d'affaires ivoirien a été sollicité par Gervais Martel pour reprendre le club. Méconnu en France, "CKG" est un industriel ivoirien qui a fait fortune dans le cacao et l'agroalimentaire. Mais il est tombé en disgrâce dans son pays après la chute en 2011 du président Laurent Gbagbo dont il était proche. Ses entreprises en Côte d'Ivoire lui ont été confisquées mais il a rebondi ensuite dans l'immobilier aux Etats-Unis, au Ghana et, dit-on, au sultanat d'Oman.  Ses premières déclarations à Jeune Afrique, au sujet de Lens, ont surpris. "Qu’un Africain investisse avec des fonds arabes dans cette région qui vote Front national serait tout un symbole", avait-il expliqué. L'hebdomadaire panafricain annonçait alors qu'il était soutenu par le fonds souverain omanais, la compagnie aérienne Oman Air et la Bank Muscat... des partenariats qui n'ont jamais été confirmés à ce jour.  "Je lui avais dit notamment que si les gens d’Oman étaient là, que s’il avait des associés, je voulais les voir. A chaque fois, ça m’a été refusé", nous a confié Me Didier Poulmaire, le premier avocat sollicité par l'Ivoirien et son entourage sur ce dossier de rachat du RC Lens.

Le profil de Gooré inquiète à Lens, notamment les élus locaux. Le 22 avril, le journal Libération affirmait que Tracfin - la cellule du Ministère des Finances en charge de la lutte contre le blanchiment d'argent - avait "disqualifié" Charles-Kader Gooré et "mis le stop" à son projet de reprise. Une information qui n'a jamais été confirmée officiellement, ni à Bercy, ni au Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. "On sait bien qu’il s’agit d’une campagne de dénigrement. Mais ce n’est pas bien grave. Quand nous aurons mis en route notre projet, on fera l’unanimité", promettait l'intéressé dans L'Equipe. Le 4 mai, son offre a bien été retenue et présentée au tribunal de commerce de Paris par le conciliateur. Elle a même été jugée "satisfaisante". Mais vendredi dernier, coup de théâtre : son avocat a menacé de retirer cette offre car le liquidateur exigerait, selon lui, la garantie d'une banque européenne alors que celle de "CKG", Access Bank, est nigériane. Mais cela ressemble fort à un coup de bluff, car l'offre formulée par Gooré était "ferme et définitive" et sera présentée quoi qu'il en soit ce mercredi lors de l'audience.

Me Olivier Pardo, avocat de Charles-Kader Gooré  

Olivier Pardo, 58 ans, a été l'avocat de Bernard Tapie dans le dossier Adidas, de l'informaticien Imad Lahoud dans l'affaire Clearstream, de l'homme d'affaires Ziad Takieddine sur le dossier de l’attentat de Karachi ou encore du polémiste Eric Zemmour. Il a aussi défendu le président de Guinée-Equatoriale, Teodoro Obiang, dans l'affaire des biens mal acquis en France. Charles-Kader Gooré a donc misé sur un ténor du barreau pour l'accompagner dans son projet de rachat du RC Lens. Un choix qui a surpris et qui ne fait pas l'unanamité dans l'entourage de l'Ivoirien, certains ayant sollicité au départ Me Didier Poulmaire, spécialiste des dossiers sportifs.


Extrêmement discret depuis qu'il s'occupe du dossier lensois, Me Pardo est sorti bruyamment de son silence vendredi dernier en faisant le tour des médias pour dénoncer la discrimination que subirait son client auquel on demanderait la garantie d'une banque européenne et non africaine. "Nous considérons que demander une banque européenne est parfaitement discriminatoire. L’offre de M .Gooré, c’était de démontrer qu’un entrepreneur africain pouvait apporter une solution pérenne au Racing Club de Lens. Quand on vient lui dire qu’il faut une banque européenne, c’est comme si on disait à un investisseur français qu’il faut une banque africaine pour investir en Afrique." L'avocat s'en est également pris à Gervais Martel. "Quand on sait que dans l'autre offre, Solferino, le président du RC Lens sera Gervais Martel, on s'interroge un petit peu... lui, il ne peut pas reprendre le club normalement puisqu'on est en "prepack" (procédure de cession accélérée permettant la reprise d'actifs d'une société en liquidation ou en redressement judiciaire NDR). Donc on se demande qui est vraiment derrière Solferino... si on ne veut pas de nous, il ne fallait pas venir nous chercher...". L'audience, ce mercredi à Paris, pourrait lui offrir une nouvelle tribune.     

Ignacio Aguillo (Solferino), candidat à la reprise

L'Espagnol est un homme de l'ombre, au visage étonnament juvénile. Diplômé de l'Université de Pennsylvanie aux Etats-Unis et francophone, Ignacio Aguillo a travaillé quatorze ans pour la BNP Paribas avant de rejoindre, en mai 2014, l'Atlético de Madrid. Sur l'organigramme du club espagnol, ce spécialiste de la finance apparaît comme "conseiller du board" mais il est aussi présenté parfois comme directeur en charge du développement de l'entreprise, notamment à l'international. Il y a deux ans, il a contribué à lancer en Inde le club de l'Atlético de Kolkata (Calcutta), une "franchise" liée aux Colchoneros, via un consortium monté avec des hommes d'affaires locaux et baptisé Kolkata Games and Sports Pvt. Ltd. Son nom a été évoqué pour la première fois à Lens, lorsqu'il a accompagné Gervais Martel, le 25 janvier, lors d'une audience devant la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG).


Devant le "gendarme financier", Aguillo aurait "pris la parole pendant 40 à 45 minutes" dixit Gervais Martel pour "expliquer qu'on était en train de mettre en place une collaboration sportive, technique et financière avec l'Atlético de Madrid". Mais à l'époque, l'affaire aurait capoté en raison de l'interdiction de recrutement imposée par la FIFA au club espagnol, coupable d'avoir enfreint la réglementation sur les transferts de joueurs mineurs. L'Atlético semblait alors lorgner sur des jeunes Lensois, notamment Jean-Philippe Gbamin. Selon Gervais Martel, Aguillo est "quelqu'un qui connaît très bien Hafiz Mammadov", sponsor des Colchoneros avec sa marque "Azerbaijan, Land Of Fire". Le 18 février, à Londres, alors que le Belge Grégory Maquet cherchait à racheter Lens, l'Espagnol était présent à la table des négociations aux côtés d'un émissaire du Baghlan Group. Le PDG de Century 21 Bénélux le décrivait comme "représentant des intérêts d'Hafiz", un "médiateur". "Il appréciait notre offre et voulait vraiment faire avancer le dossier", assurait Grégory Maquet. Deux mois plus tard finalement, Ignacio Aguillo a formulé sa propre offre d'achat via la société luxembourgeoise Solferino, créée en début d'année. L'Atlético est-il caché derrière ce projet ? Pour l'instant, l'Espagnol refuse de s'exprimer.

Gilles Fretigne (Solferino), candidat au rachat

Ce Français de 47 ans, installé à Londres, est le deuxième nom derrière l'offre de la société luxembourgeoise Solferino. Ancien de Goldman Sachs et Lehman Brothers, cet expert de la finance a rejoint en 2006 Amber Capital, un "hedge fund" (fonds spéculatif) dirigé par un autre Français, Joseph Oughourlian. Ce dernier a collaboré jusqu'en 2005 avec la Société Générale, dont il gérait une filiale baptisée Amber Fund. Mais l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) dénonça un conflit d'intérêt entre les deux entités et infligea une amende de 300 000 euros à la Société Générale.

Depuis, Amber Capital, dont le siège se trouve à New York aux Etats-Unis, s'est constitué un important portefeuille de participations minoritaires dans plusieurs entreprises très connues : Gameloft (jeux vidéo), Parmalat (produits laitiers), Nexans (câbles) ou encore Prisa, le groupe de presse espagnol qui édite le quotidien El Pais. Le fonds possède aussi un club de foot en Colombie, Millonarios, à Bogota. Certains supporters là-bas dénoncent une gestion austère et la vente régulière des meilleurs jeunes qui sortent de formation. Gilles Fretigne travaille, lui, pour la branche britannique d'Amber Capital. Sollicité par téléphone, il n'a pas souhaité s'exprimer jusqu'à présent sur le projet de rachat du RC Lens.
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