Il y a une semaine, le RC Lens annonçait avoir reçu "deux propositions de rachat" et devait donner des précisions "dans les jours à venir". Mais depuis, plus rien. Hafiz Mammadov, l'actuel propriétaire, fait-il encore de la résistance ? L'Azerbaïdjanais risque pourtant d'être dépossédé du club.
Le communiqué a été publié il y a tout juste une semaine sur le site internet du RC Lens. "Le Racing Club de Lens a reçu (...) deux propositions de rachat. Ce processus de cession, qui est définitivement enclenché, va permettre au club de retrouver une visibilité saine et sereine pour les années futures et d'aborder la fin du championnat avec des certitudes concrètes pour son avenir", pouvait-on lire. D'après le club, des précisions devaient être données "dans les jours à venir" mais aucune autre information officielle n'est tombée depuis. L'identité des potentiels repreneurs n'a toujours pas été dévoilée.
Depuis l'échec du projet de reprise du Belge Grégory Maquet fin février, seul l'Ivoirien Charles-Kader Gorée a manifesté publiquement son intérêt pour les Sang et Or. Une offre de rachat aurait été effectuée avec l'appui de fonds omanais. Selon L'Equipe, l'argent nécessaire a même été déposé la semaine dernière sur le compte bancaire CARPA de Sichel & Associés, le cabinet de l'avocat Me Olivier Pardo, ce qui laissait présager un dénouement rapide si le conciliateur validait cette offre. Et si Hafiz Mammadov, l'actuel actionnaire majoritaire des Sang et Or, l'acceptait lui aussi.
"Ils vont aller au tribunal et ôter mon droit de posséder un club"
Or, si on en croit un article publié le 13 avril dernier sur le site azéri Haqqin.az, Hafiz Mammadov ne souhaitait pas vendre à Charles-Kader Gooré. C'était en tout cas sa position la semaine dernière. L'homme d'affaires azerbaïdjanais s'est déjà exprimé par le passé sur ce site tenu par le journaliste et ancien prisonnier politique Eynulla Fatullayev, notamment lors de la fameuse affaire de la "fausse signature" fin 2014. "Hafiz Mammadov a proposé à Gervais Martel de négocier avec des sponsors à la seule condition qu'il reste l'actionnaire principal de Lens", explique le site en langue russe. "Mais les investisseurs potentiels veulent la pleine propriété du club, et non partielle". Selon Haqqin.az, l'homme d'affaires azerbaïdjanais aurait voulu la mise en place d'une co-propriété du RC Lens avec ses amis de l'Atletico Madrid qu'il a sponsorisés. Ignacio Aguillo, l'un des dirigeants madrilènes, a même représenté les intérêts de Mammadov lors d'une réunion à Londres avec Grégory Maquet et a accompagné Gervais Martel devant la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG). Mais les Colchoneros n'avaient pas donné suite à l'époque.Hafiz Mammadov a expliqué à Haqqin.az que Gervais Martel, le président lensois (avec lequel il est associé au sein de RCL Holding, la société parisienne qui détient 99,8% de la SASP RC Lens), avait pris l'initative de proposer la vente du club à l'Ivoirien, mais l'Azerbaïdjanais s'y serait, lui, "catégoriquement opposé". "Pour résoudre le problème, Lens a besoin de seulement 5 millions d' euros", justifie Mammadov dans l'article."Mais je ne trouve pas cet argent à Bakou. Les banques ne donnent pas de prêts. (...) Très bientôt, en raison de l'incapacité de couvrir les besoins financiers du club, l' Azerbaïdjan peut perdre le club français. Si le 15 Avril, je n'ai pas pris de décision sur tous ces problèmes, il semble que les Français vont m'enlever mes droits en justice. Ils vont aller au tribunal et ôter mon droit de posséder un club devant les tribunaux".
Conciliation
La date du 15 avril - que Gervais Martel avait également évoquée devant les supporters du 12 Lensois - est passée. Mais pour l'instant, rien n'a encore été dit officiellement sur cette procédure juridique qui permettrait d'écarter l'actionnaire fantôme azerbaïdjanais. Le 29 février, à l'issue du match Lens-Evian, un responsable lensois avait indiqué à plusieurs journalistes qu'une procédure de conciliation avait été enclenchée concernant RCL Holding, la "maison-mère" présidée par Gervais Martel et détenue à 99,99% par le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov. De quoi s'agit-il ? Cette procédure, souvent confidentielle, est censée empêcher un dépôt de bilan. Le tribunal de commerce (en l'occurrence celui de Paris, où est domiciliée la holding) désigne un conciliateur qui épaule le chef d'entreprise (Gervais Martel) pour trouver un accord à l'amiable entre l'entreprise et ses principaux créanciers et partenaires, afin de résoudre les difficultés qu'elle peut rencontrer. Dans le cas de RCL Holding, la solution passe par la vente, totale ou partielle, des actions que cette société possède dans la SASP Racing Club de Lens, son seul et unique actif. Si un accord est trouvé, les parties peuvent demander au président du tribunal de commerce de constater leur accord par une simple ordonnance qui a valeur exécutoire. Elles peuvent aussi demander homologation de cet accord au tribunal qui le rend alors public. Mais dans les deux cas de figure, l'accord de l'actionnaire majoritaire (le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov) est indispensable, comme nous l'ont confirmé plusieurs spécialistes du droit des affaires."Si la conciliation a pour objet de trouver un repreneur pendant la procédure de conciliation et que les critères d'un constat ou d'une homologation d'une conciliation ne sont pas réunis, la vente peut également avoir lieu en mode "prepack cession"", nous a expliqué Me Laurent Assaya, qui coordonne la pratique "Restructuration et Réorganisation d'entreprises" pour le bureau parisien de Jones Day. "Dans ce cas là, c'est le tribunal qui décide in fine qui est le bon repreneur et peu importe ce que dit l'actionnaire majoritaire. Il y a une phase amiable de conciliation (recherche du repreneur par le conciliateur) et une phase judiciaire de redressement judiciaire (choix définitif du repreneur par le tribunal). La phase judiciaire peut être très courte si le travail en conciliation a permis d'identifier le meilleur repreneur. C'est la méthode utilisée avec succès dans NextiraOne et FRAM". L'avocat rappelle toutefois que "l'actionnaire peut exercer un recours le cas échéant contre la décision du tribunal".
"Prepack cession"
La "prepack cession" a été récemment introduite dans le droit français par une ordonnance du 12 mars 2014 portant réforme du droit des entreprises en difficulté. Elle nécessite toutefois que l'entreprise soit en cessation de paiement et dépose le bilan. "On va dire au tribunal, lorsqu'on dépose le bilan, qu'on a déjà la solution", résume Me Philippe Hameau, avocat au cabinet parisien de Norton Rose Fulbright, qui a travaillé sur la première "prepack cession" réalisée en France avec l'entreprise Autodistribution. "Le tribunal s'assure que le candidat à la reprise présente toutes les capacités requises en s'appuyant sur le travail du conciliateur. Lors de l'audience, il peut y avoir plusieurs projets concurrents mais celui qui est pressenti lors de la conciliation va souvent être privilégié. Le prix n'est pas forcément le facteur déterminant. Les principaux critères sont surtout la sauvegarde de l'emploi et la pérennité de l'entreprise". Selon Me Hameau, le délai entre le dépôt de bilan et le jugement du tribunal peut prendre environ un mois en cas de "prepack cession".Cette "prepack cession" ressemble fortement à la solution que Gervais Martel avait esquissée en conférence de presse le 28 février dernier. Le président lensois avait notamment reconnu que le dépôt de bilan de la holding, qui n'est plus financée par Mammadov depuis plus d'un an, était envisageable. "Ça peut se faire relativement aisément", avait-il déclaré. "C’est une des possibilités sur lesquelles on discute et un certain nombre d’opérations ont déjà été mises en place. (...) Si la holding est en redressement judiciaire ou dépose le bilan, il faut tout de suite qu’il y ait un repreneur qui soit présent le même jour pour reprendre la SASP". La manoeuvre permettrait aussi, selon lui, d'éviter une relégation à l'échelon inférieur. "La holding est propriétaire des parts de la SASP, mais la SASP est complètement différenciée de la holding", avait-il assuré.
La Ligue 1 comme ultime bouée de secours ?
Le président du RC Lens s'est beaucoup investi depuis deux ans pour palier les difficultés et l'absence de son actionnaire majoritaire, en repoussant notamment certaines échéances de paiement ou en obtenant le lissage de certaines dépenses. Mais selon lui, cela ne suffira plus désormais pour convaincre la DNCG. "Il faudra absolument qu’on ait ramené une solution qui soit une solution de pérennité", insistait-il lors de sa dernière conférence de presse. "On ne va pas encore redire qu’on va faire des miracles dans la saison 2016/2017. C’est juste impossible. Il faudra qu’on arrive avec un dossier qui soit concret". Une possible montée en Ligue 1 toutefois pourrait changer la donne avec des droits TV nettement revus à la hausse. "3 millions d'euros en plus par club en fixe", rappelait le président lensois fin février. Par ailleurs, les cotes de certains jeunes joueurs, comme Jean-Philippe Gbamin, Wylan Cyprien ou Benjamin Bourigeaud, ont sûrement grimpé ces dernières semaines avec les belles performances des Sang et Or. De quoi espérer peut-être une ou quelques belles ventes lors du prochain mercato. "Y a beaucoup de clubs qui ont fait des erreurs car ils vaudront beaucoup plus cher la saison prochaine", avait prévenu Gervais Martel après n'avoir reçu aucune offre intéressante lors du marché d'hiver. Lors de cette même conférence de presse, le président lensois avait affirmé, à la surprise générale, que "cette année le club va gagner entre 3 et 3.5 millions d’euros". De quoi verser des dividendes à la holding et éviter la cessation de paiement ?"Un retour en Ligue 1, même s’il faut prévoir les sommes engagées le cas échéant, permettrait de solutionner les problèmes financiers du RC Lens", confirme Luc Dayan, ancien président du RC Lens dans une récente interview à But! Lens. "Se retrouver dans un stade refait comme Bollaert, avec la billetterie et de possibles résultats positifs, ça redonnerait de la compétitivité au club". Mais de là à espérer continuer sans l'appui d'un nouvel investisseur, le pari semble risqué. D'autant que, selon l'Agence France Presse, Gervais Martel a déjà annoncé à la DNCG avoir un repreneur et a même avancé son rendez-vous avec le "gendarme financier". Un nouveau "faux bond" ferait donc désordre. Ce qui est certain en tout cas, c'est que Gervais Martel a le pouvoir juridiquement, en tant que président de la holding, de stopper à tout moment la procédure en cours si la holding n'est pas ou plus en cessation de paiement.