A la surprise générale, l'avocat de l'homme d'affaires ivoirien Charles-Kader Gooré, candidat au rachat du RC Lens, annonce ce vendredi que son client menace de retirer son offre en raison d'un désaccord avec le liquidateur de la holding qui exige des fonds garantis par une banque européenne.
"Le conciliateur a posé comme condition que l’évidence des fonds doit venir d’une banque européenne, alors que CKG est une société africaine comme chacun le sait et que nous travaillons avec Access Bank, une banque de premier rang du Ghana, qui a une capitalisation de 12 milliards de dollars et qui a 248 millions de résultats, 9000 salariés", nous a expliqué Me Olivier Pardo, l'avocat de Charles-Kader Gooré, confirmant les informations du JDD et de L'Equipe. "Nous considérons que demander une banque européenne est parfaitement discriminatoire. L’offre de M .Gooré, c’était de démontrer qu’un entrepreneur africain pouvait apporter une solution pérenne au Racing Club de Lens. Quand on vient lui dire qu’il faut une banque européenne, c’est comme si on disait à un investisseur français qu’il faut une banque africaine pour investir en Afrique. Donc c’est parfaitement discriminatoire. Je croyais que dans le football, c’était international, il faudra comprendre un jour qu’il n’y a pas que les joueurs qui peuvent être d’origine africaine, mais également les dirigeants de club. Donc si cette condition est maintenue, nous retirons notre offre."
Charles-Kader Gooré avait formulé une offre de reprise du RC Lens dans le cadre de la procédure de conciliation ouverte le 22 mars dernier auprès du tribunal de commerce de Paris, dont dépend RCL Holding, la société qui détient 99,8% des actions du club et qui se trouvait en cessation de paiement. Cette offre avait été retenue par le conciliateur, Me Stéphane Gorrias (BTSG), qui l'avait présentée le 4 mai dernier aux juges, lors de l'audience ouvrant cette fois la liquidation de la holding. Le tribunal de commerce l'avait alors estimée "satisfaisante", tout comme celle formulée par la société luxembourgeoise Solferino, autre candidat au rachat du club. La demande du conciliateur - devenu désormais liquidateur - concernant la garantie d'une banque européenne n'aurait été formulée que mercredi, selon l'avocat de Charles-Kader Gooré. "On a toujours dit qu’on travaillait avec Access Bank", déplore Me Pardo. "Quand on vient poser la condition supplémentaire d’une banque européenne, vous voyez bien que c’est inapproprié et de nature discriminatoire."
L'ombre d'un doute ?
Le liquidateur est pourtant tout à fait en droit de poser cette exigence en vue de l'audience prévue le 18 mai prochain, au tribunal de commerce, qui décidera du repreneur du Racing Club de Lens. Pour justifier de l'existence des fonds promis, il peut exiger un chèque de banque et/ou une garantie bancaire. Mais il faut que la banque retenue offre aussi toutes les garanties nécessaires. Access Bank Ghana, l'établissement choisi par Charles-Kader Gooré, est la filiale d'Access Bank Group, une multinationale implantée à Lagos au Nigéria. Elle est présente dans huit pays d'Afrique ainsi qu'en Grande-Bretagne. Mais elle fait l'objet actuellement d'une enquête déclenchée par la banque centrale du Nigéria sur des soupçons de transactions illégales et de corruption. Selon l'agence Reuters, son PDG, Herbert Wigwe, a été entendu longuement vendredi dernier par la commission nigériane des crimes économiques et financiers (EFCC), concernant une transaction d'un de ses clients. "Il a été relâché dans la journée sans aucune charge contre lui" a déclaré Access dans un communiqué. Deux autres banques nigérianes sont également concernées par ces investigations.Ces remous sont-ils à l'origine de la méfiance du liquidateur Me Gorrias ? Nous avons tenté en vain de joindre son étude ce vendredi après-midi, sans pouvoir obtenir de réponse. Le 23 avril dernier déjà, le journal Libération avait émis des doutes sur les fonds de Charles-Kader Gooré. "L'organisme gouvernemental Tracfin (en charge de la lutte contre le blanchiment d'argent NDR) l’a disqualifié et a mis le stop, ce qui nous a été confirmé au plus haut niveau de l’Etat", était-il écrit. Mais cela n'avait jamais été confirmé officiellement. "Je pense qu'il faut être prudent sur ces informations", nous avait répondu le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports Patrick Kanner. "Je ne sais vraiment pas d'où ça vient". "Cette histoire de Tracfin n'a aucun sens", avait alors réagi Me Pardo, l'avocat de CKG. "Il n'y a eu aucun transfert de fonds".
"La balle est dans leur camp"
Concernant désormais cette nouvelle histoire de garantie bancaire, personne ne semble prêt à transiger. Ni du côté du liquidateur/conciliateur, ni du côté de l'équipe Gooré. "On a écrit au conciliateur après qu'il nous a posé cette condition", explique Me Pardo. "Il a maintenu cette condition. En l'état, on retirera notre offre si cette condition est maintenue. La balle est dans leur camp. Quand on sait que dans l'autre offre, Solferino, le président du RC Lens sera Gervais Martel, on s'interroge un petit peu... lui, il ne peut pas reprendre le club normalement puisqu'on est en "prepack" (procédure de cession accélérée permettant la reprise d'actifs d'une société en liquidation ou en redressement judiciaire NDR). Donc on se demande qui est vraiment derrière Solferino... si on ne veut pas de nous, il ne fallait pas venir nous chercher..."Le retrait de Charles-Kader Gooré laisserait en effet le champ libre à la deuxième offre de rachat, portée par la société luxembourgeoise Solferino, dont les actionnaires déclarés au tribunal de commerce sont l'Espagnol Ignacio Aguillo (dirigeant du club espagnol de l'Atlético de Madrid) et le Français Gilles Fretigne (dirigeant d'Amber Capital UK, un fonds spéculatif). Mais dans l'entourage de Charles-Kader Gooré, certains n'entendent pas jeter l'éponge tout de suite. "Charles-Kader ne se retire absolument pas, il menace de le faire parce que c'est comme changer les règles au milieu d'un match", insiste Priscilla Wolmer, une de ses plus proches collaboratrices. "Ce n'est pas à trois jours de la fin qu'on doit lui dire ou lui imposer une banque. C'est de la discrimination, il est fatigué de voir le traitement qu'on lui réserve. Ce n'est quand même pas sérieux à quelques jours de la fin, avec un jour férié au milieu et un week-end qu'on annonce qu'il faut trouver une autre banque. Qui peut faire ça ? Qui peut changer de banque en si peu de temps ? Charles-Kader Gooré n'est pas magicien, il est homme d'affaires..."