Dans une région marquée par une forte mortalité et une faible densité de médecins, voici ce que l'on sait des programmes santé de Xavier Bertrand (UD), Sébastien Chenu (RN), Karima Delli (UG) et Laurent Pietraszewski (LREM).
Il y a la campagne vaccinale… et la campagne des régionales. Les dates des scrutins - les 20 et 27 juin - ayant été définitivement actées, mardi, par le premier ministre Jean Castex, les quatre grands candidats à la présidence vont pouvoir entrer pleinement dans la bataille et France 3 Hauts-de-France vous aider à comparer leurs programmes, thématique par thématique, à commencer aujourd’hui par la santé.
Voilà un sujet redoutable dans la région, au-delà de l’épidémie de Covid-19. Selon l’ARS, la mortalité dans les Hauts-de-France est supérieure de 20% à la moyenne française. Une réalité historique qu’aucun exécutif régional n’est parvenu à corriger.
Certes, la santé n’est pas vraiment une compétence des régions. Elle est très centralisée, pilotée par l’État et les Agences régionales de santé (ARS). Néanmoins, les ARS sont sensées collaborer avec les conseils régionaux, qui y sont d’ailleurs représentés. Surtout, les régions ont les compétences de l’aménagement du territoire, de l’environnement, de la formation, des lycées… Des domaines où l’enjeu sanitaire est présent.
Budget santé : la guerre des chiffres
Ministre de la santé de 2005 à 2007, Xavier Bertrand, devenu président des Hauts-de-France, déclarait deux ans plus tard : "Ma région n’est pas riche, je ne suis pas l’État, mais dans les domaines où il y a carence, cela vaut la peine de faire de la santé une réelle priorité régionale !" Le voilà désormais attaqué sur son bilan.
"La santé des habitants des Hauts-de-France n’a hélas connu aucune amélioration satisfaisante", regrette l’équipe de campagne de Sébastien Chenu, candidat Rassemblement national (RN).
"Monsieur Bertrand a consacré 0,1% de budget de la région sur les questions de santé, ce qui est un scandale absolu, cela représente 50 centimes par habitant", tance l'eurodéputée écologiste Karima Delli, candidate d’union de la gauche.
"On a 10 000 décès par an de plus que la moyenne nationale, souligne le marcheur Laurent Pietraszewski. C’est un chiffre saisissant, un bilan très dur et c’est une erreur grave que d’avoir diminué le budget santé de 19 millions d’euros dans le Nord-Pas-de-Calais en 2014 à 4 millions aujourd’hui." Le candidat de la majorité présidentielle promet, lui, "20 millions par an".
Des chiffres contestés par la majorité sortante. Le budget santé serait de 7 millions d’euros en 2020 (12 millions pour 2021) sans compter de nombreuses politiques liées à la santé (recherche, maisons de santé, forma tion...) mais fléchées sur d’autres lignes budgétaires. "J’invite nos concurrents à bien se pencher sur ce qu’est un budget de région plutôt qu’à faire des effets de manche", répond Grégory Tempremant, premier vice-président de la commission des affaires familiales et sociales.
Pour autant, le camp Bertrand promet pour la santé "une part encore plus importante dans le prochain mandat". "On a voulu être efficace par rapport à nos fonctions, explique le conseiller régional. L’État n’a rien fait alors que, s’il avait remis de l’argent, Xavier Bertrand était prêt à investir, un euro pour un euro. On a quand même eu une action volontariste et on fera toujours plus."
Contre les déserts médicaux, salarier les médecins ?
Avec 20% de généralistes en moins (pire pour certaines spécialités) dans les zones rurales des Hauts-de-France par rapport à celles du reste de la France, la désertification médicale reste l’enjeu primordial des candidats.
À l'occasion d'un déplacement dans l'Oise sur le thème de la santé, Karima Delli a avancé l’idée d’une "garantie d’accès aux soins à moins de 20km", assurée "à terme de la mandature" et accompagnée d’une carte interactive sur internet. À noter que Le Guide Santé, organisme indépendant, parle de désert médical dès 10 km.
La gauche entend monter "un partenariat avec l’ARS et les CPAM des Maisons de santé pluriprofessionnelles" (MSP), "favoriser l’exercice regroupé de médecins", distribuer des aides à l’installation de professionnels de santé "en priorité dans les zones sous-denses et les déserts médicaux" et même, "si la loi 4D est adoptée" (la prochaine loi de décentralisation), embaucher elle-même des médecins et infirmiers pour les mettre à disposition des MSP.
"Je suis heureux de voir que l’équipe Karima Delli votera notre loi", s’amuse Laurent Pietraszewski, membre du gouvernement (secrétaire d'État en charge des retraites). Lui aussi est favorable au salariat des médecins, "surtout dans les zones rurales pour les ancrer sur le territoire", mais pas par la région : "Il faut contractualiser avec les départements et arrêter de penser que la santé va se décider de Lille." Là où aucun médecin ne sera volontaire, le candidat propose à des infirmiers d’assurer "une télémédecine humaine et accompagnée".
Le candidat LREM reproche à la majorité régionale de n’avoir créé que "très peu" de MSP, parfois avec des "bâtiments vides ou inoccupés" : "Moi, je propose qu’il n’y ait plus de zones blanches, avec des maisons de santé, mais il faut aller jusqu’au bout."
Au contraire, le conseil régional souligne que "47 MSP ont été financées" sur la mandature à hauteur de "17 millions d’euros" et, comme une réponse à la garantie kilométrique de Karima Delli, considère que "les objectifs chiffrés en la matière n’ont aucun sens", précisément parce qu’il ne "sert à rien de créer une MSP pour avoir une MSP sans professionnel dedans".
Quant au salariat des médecins, il ne semble pas privilégié par le président de région. "Qui salarie : la région, le département ou les intercommunalités ?, demande Grégory Tempremant. On doit discuter avec eux pour accompagner l’émergence des MSP, c’est un dialogue de gestion, mais le travail de la région c’est l’équipement."
Le Rassemblement national mise également sur les créations de maisons de santé, dont il promet d’"amplifier le co-financement". Mais pour que des professionnels s’y installent, plutôt que de salarier, Sébastien Chenu propose un contrat avec les étudiants : "En échange du financement intégral de leurs études et d’une bourse, (ils) s’engageraient à commencer leur carrière dans des zones sous-dotées". Le candidat envisage de "travailler avec les facultés de médecine" pour accompagner les jeunes vers des zones où ils bénéficieraient d’un "accompagnement de A à Z : aides matérielles ou financières, local mis à disposition".
En attendant les effets de ces solutions de long terme, le RN lancerait des "bus médicaux sillonnant les zones rurales, équipés de matériel", qui "pourraient aussi servir aux campagnes de vaccination Covid-19 dès l’automne 2021 si les conditions sanitaires exigeaient hélas une nouvelle campagne".
En vrac : psy au lycée, bons d’achat, appel à projets...
Outre les MSP, des candidats dévoilent à France 3 Hauts-de-France certaines de leurs premières propositions, bien que leurs programmes ne soient pas finalisés.
C’est ainsi que Laurent Pietraszewski avance "un accès universel et inconditionnel à un psychologue pour chaque lycéen", afin de prévenir la maltraitance et protéger leur "santé mentale et sexuelle". Parce que les régions sont responsables des lycées, le candidat LREM envisage des vacations de psychologues de ville dans les établissements, mais également "des recrutements de psychologues dans les lycées". "Il faudra agir prioritairement dans certains bassins de vie en fonction de la réalité sociale, développe Laurent Pietraszewski. Le gouvernement propose déjà aux jeunes des rendez-vous en cabinet (le "forfait 100% psy enfants" valable pendant la crise sanitaire, ndlr), moi je veux leur permettre d’y avoir accès là où ils sont."
Dans un document de 5 pages, l’équipe de Sébastien Chenu liste pour nous des pistes d’investissement pour la santé. Le RN sortira le carnet de chèque pour du matériel médical dans les hôpitaux et maternités de proximité, des béguinages pour les aînés, les logements d’accueil pour les femmes et enfants en danger, ou encore les femmes en général avec un rendez-vous chez le gynécologue gratuit tous les deux ans dès la puberté et un bon d’achat "maman courage" pour toutes les mères de famille "pour leur offrir un moment d’évasion". Enfin, pour aider les habitants des Hauts-de-France à améliorer leur espérance de vie, des "bons d’achat terroir" cofinancés "par les entreprises partenaires" les encourageront à manger équilibré et local, tandis qu’un "chèque sport" permettra "à chaque foyer de s’inscrire à une activité sportive régulière".
Xavier Bertrand n’ayant pas officiellement lancé sa campagne, l’heure n’est pas encore aux propositions concrètes. "On sera sur les mêmes thématiques : prévention, innovation, accès au soin, santé au travail", prévient Grégory Tempremant. Le conseiller régional souligne les dimensions économique (avec l’incubation de start-ups à Eurasanté "qui sont les emplois de demain") et environnementale (avec le prochain Plan régional santé-environnement bientôt discuté avec l’État et des associations) de la santé. Il rappelle aussi qu’il y a un an, un million d’euros a été soumis à un "appel à projets santé innovation" (des initiatives d’associations, établissements de santé ou collectivités) et que le dispositif est reconduit.
Si tous les candidats s’accordent peu ou prou sur le diagnostic d’une région fragile sanitairement, la diversité des postures et des propositions, plus ou moins précises et originales, permettent d’intéressants débats de fond. Gageons qu’ils auront lieu. Pour la santé de la démocratie.