Militant communiste et cadre du PCF pendant près de quatre décennies. Député RN du Pas de Calais en 2017. Et après un bref intermède de trois ans chez "Les Patriotes" de Florian Philippot, José Evrard est tête de liste aux élections régionales pour "Debout La France", dans les Hauts-de-France.
Personnalité déroutante que cet homme simple et discret de 75 ans, ancien employé de La Poste, marié deux fois, un fils. Toujours très courtois, José Evrard semble totalement imperméable aux tombereaux d’injures que déversent sur lui ses anciens amis, à chaque extrémité de l’échiquier politique.
Au Parti communiste, le seul nom de José Evrard soulève des haut-le-cœur. Un traître. Un félon. Un renégat. Une honte. Une tache brune sur le drapeau rouge. Au Rassemblement National, il est honni pour sa "trahison impardonnable", "son mépris des électeurs", sa faute, sa désertion, son opportunisme. Dans le Pas-de-Calais, on raille cette "girouette politique" qui fait le grand écart et change de parti comme de chemise. José Evrard laisse dire.
Ce n’est pas moi qui change. Moi je ne bouge pas. Je me suis toujours battu pour l’indépendance nationale.
"Ce n’est pas moi qui change, affirme calmement ce fils de mineur de fond né à Cauchy-à-la-Tour au sortir de la guerre. Moi je ne bouge pas. Je me suis toujours battu pour l’indépendance nationale. Contre l’Union Européenne. Puis contre l’euro. Pour notre souveraineté. Pour le retour de notre monnaie nationale. J’étais communiste quand le slogan du PC était "Produisons français !" (1981) et je ne l’étais plus quand Robert Hue voulait nous convertir à l’Europe lors de la campagne des élections européennes de 1999."
Il continue : "D’ailleurs, deux ans plus tard, je quittais le Parti communiste. Idem avec le Front National. Je rejoins en 2013 le FN quand il prône le retour au franc et je le quitte en 2017 quand il commence à abandonner l’idée d’une sortie de l’euro."
José Evrard n’est pas le seul ancien communiste à se présenter à une élection sous les couleurs lepénistes
Le député de Lens-Avion n’est pas le seul. Dans cet ancien bassin minier du Pas-de-Calais, une bonne partie de l’électorat ouvrier votant traditionnellement à gauche a donné un violent coup de barre à droite. Aux dernières élections européennes, en 2019, des bastions PS et PC ont voté massivement pour le Rassemblement National : 53% à Marles-les-Mines, 49% à Auchel, 48% à Liévin, 47% à Bruay, 41% à Lens…
Des villes qui sont parfois restées à gauche aux dernières élections municipales mais où l’Europe est profondément associée aux fermetures d’usines et où l’euro est jugé responsable d’une vie devenue beaucoup trop chère. José Evrard n’est pas non plus le seul ancien communiste à se présenter à une élection sous les couleurs lepénistes. Laurent Dassonville – par exemple - briguait l’an passé la mairie de Méricourt pour le RN ; transfuge du PC, son grand-père avait été l’adjoint aux sports de l’ancien maire communiste.
"Le parti communiste m’a construit, il m'a donné l'envie et les moyens de m'élever"
Le parti communiste, José Evrard ne renie pas les 36 années qu’il y a passé. Au contraire. Ancien secrétaire de la section de Lens, membre du conseil fédéral du Pas de Calais, membre du bureau national des élus, adjoint au maire de Billy-Montigny, le PC a été son ascenseur social.
"Le parti m’a construit, dit-il. Il m’a donné l’envie et les moyens de m’élever. A moi l’enfant d’ouvrier mineur, il m’a transmis le goût de la culture, la passion de la lecture, le besoin de m’informer. La culture, c’était la grande affaire du Parti communiste ! C’est grâce au Parti communiste que ma mère voit pour la première fois une pièce de théâtre ; "Les deux orphelines" ; mon plus beau souvenir" répètera-t-elle souvent.
Quand il évoque son ralliemment à Debout La France, il cite Louis Aragon
Et d'ajouter : "A 8 ans, mes parents m’emmènent à l’Edorado, une salle d’Auchel, pour écouter Henri Martin, militaire communiste emprisonné pour avoir dénoncé la guerre en Indochine. A 20 ans, à Condé-sur-l’Escaut, je vais écouter l’écrivain André Stil, journaliste communiste et membre de l’Académie Goncourt. De là, d’ailleurs, vient mon premier engagement au Parti communiste."
Difficile à suivre parfois José Evrard. Aujourd’hui encore, il cite régulièrement les poètes de la résistance. Sur le site de Debout La France, en décembre dernier, quand il annonce son ralliement, le député du Pas-de-Calais évoque "les Maries de France" de Louis Aragon dans son magnifique et poignant poème "Auschwitz".
Comment fait donc l’ancien militant communiste pour expliquer qu’il a rejoint l’extrême-droite, qui était l’ennemi mortel des communistes – le parti des fusillés - pendant la seconde guerre mondiale et l’Occupation C’est compliqué. Et c’est le sujet sensible.
Pour José Evrard, l’histoire familiale est sacrée
La seule fois où José Evrard s’est senti diffamé, c’est lorsqu’un journal local a osé un parallèle entre sa personne et un ancien cadre communiste devenu chef d’un parti fasciste, collabo et officier SS, mort en Allemagne en 1944. Ok pour les injures et les insultes. Mais pas ça. Le député de la 3ème circonscription du Pas-de-Calais a porté l’affaire en justice.
Car pour José Evrard, l’histoire familiale est sacrée. "Mon père, Joseph, était dans la résistance, aime-t-il rappeler. L’un de mes oncles, Juste, soldat fait prisonnier, est mort six mois après son retour de captivité. Et mon grand-oncle, Victor Patinier, mineur, militant communiste, résistant, a été fusillé le 18 juin 1944. Une plaque portant son nom est à l’entrée du Mémorial du mur des fusillés de la Citadelle d’Arras."
"Aucune contradiction ne fait peur à José Evrard"
"Aucune contradiction ne fait peur à José Evrard, tacle un ancien camarade du Pas-de-Calais. Passer au FN ne lui pose aucun problème, comme ne lui posait aucun problème d’affirmer dans les années 70 que la RDA, dont il était proche, était une merveilleuse terre de liberté."
José Evrard laisse dire. Il a l’habitude. Chaque début d’année, aucune des 13 municipalités qui composent sa circonscription n’invitent le député à la cérémonie des vœux. On l’ignore. On le méprise. José Evrard affirme même que lors de la commémoration de la catastrophe de Courrières (1099 morts en 1906), dans une ville communiste du bassin minier, sa gerbe de fleurs a été balancée à la poubelle…
José Evrard rêve de réunir ses amis de gauche et de droite
Mais José Evrard ne doute pas qu’il est le bon exemple à suivre. Ses anciens amis de gauche et ses nouveaux amis de droite, José Evrard rêve de les réunir. Sa formule : "réunir les républicains des deux rives." Aux élections régionales de juin prochain, celui qui a voté Chevènement en 2002 espère rallier les souverainistes de tous bords - PC, LFI, MRC, FN, Patriotes, Debout La France - séduits par ses origines ouvrières et sa fidélité à ses convictions.
Avec une telle tête de liste, nommée vice-président de son mouvement, Nicolas Dupont-Aignan vise un score autour de 8 % dans les Hauts-de-France. Un sondage IFOP, de novembre dernier, le crédite de 2 % d’intentions de vote. José Evrard un rassembleur ? Ce n’est pas vraiment le portrait qu’on vient d’en faire…