Vous ne pouvez pas n’avoir jamais vu au moins une fois à la télé Sébastien Chenu. La tête de liste du Rassemblement National aux régionales dans les Hauts-de-France est le porte-parole de son parti. Idéal pour tenter de finir le boulot laissé par la patronne : battre Xavier Bertrand.
Le 6 décembre 2015, Marine Le Pen arrive largement en tête du premier tour des élections régionales, dans cette nouvelle grande région qui réunit le Nord-Pas de Calais et la Picardie. 40,64% des suffrages ! Largement distancées, droite et gauche sont sous le choc. A tel point que le socialiste Pierre de Saintignon retire sa liste le soir même, pour faire barrage au Front National. On connait la suite. Un front républicain permet à Xavier Bertrand de l’emporter au second tour, le 13 décembre. Les six années qui suivront, droite et extrême-droite se partageront seuls l’hémicycle.
Changement de casting en 2021. La présidente du RN renonce aux élections régionales pour se concentrer sur l’élection présidentielle. Pour jouer la revanche face au président de région sortant, Marine Le Pen envoie à sa place un proche, un homme de confiance à qui elle a confié la fusion des trois fédérations du Nord : Sébastien Chenu, 48 ans en avril, ancien adjoint au maire de Beauvais, sa ville natale, député du Nord, candidat malheureux aux dernières élections municipales à Denain. Une tête connue. Un politique expérimenté. Un débateur redoutable et redouté.
Un homme pressé aussi. Alors que tous les partis politiques s’inquiètent de ne pouvoir faire campagne à cause de la crise sanitaire, Sébastien Chenu, lui, ne se pose pas de question. Il a pris de l’avance. Il est déjà sur les routes. Il sillonne les Hauts-de-France depuis la mi-février dans un bus à ses couleurs, sorte de panneau publicitaire géant et mobile.
Un beau jour pour lancer notre bus sur les routes des Hauts de France! #chenu2021 @RNational_off @rn_hdf @BFMGrandLille @fbleunord @lavoixdunord pic.twitter.com/tvL4eFImHc
— Sébastien Chenu (@sebchenu) February 14, 2021
Immanquable, même de loin. Il s’amuse d’avoir pris tout le monde de court. "On a fait preuve d’un peu d’imagination, tout simplement, puisqu’on ne pouvait plus faire de réunions et de meetings. Le bus nous permet d’aller au plus près des gens. On est les seuls sur le terrain. On ne croise aucun autre candidat d’aucune autre liste". Sébastien Chenu est dans son jardin : "j’aime bien faire campagne".
Des campagnes, il en a fait dans l’Oise, dans La Somme, à Paris, à Denain. Pour les municipales, les départementales, les régionales, les européennes, les législatives. Pour la droite et l’extrême-droite. Car Sébastien Chenu, en 2014, quitte l’UMP pour le Front National. Depuis, il traine l’image du "traître", de "l’opportuniste", de "l’ambitieux", du "carriériste", de "l’intéressé". Il a tout entendu : "Vous êtes un con et vous rejoignez des cons". "Le ramasse-miettes du FN". "Recyclage d’invendu". "Commis voyageur". "Girouette".
"En passant chez Le Pen, j’ai perdu 75% de mes amis. Même des amis avec lesquels je n’étais pas lié par la politique. J’en ai été meurtri, je ne peux pas dire le contraire".
Le sujet est encore sensible sept ans plus tard. "En passant chez Le Pen, j’ai perdu 75% de mes amis, reconnaît le député du Nord. Même des amis avec lesquels je n’étais pas lié par la politique. J’en ai été meurtri, je ne peux pas dire le contraire". Quelques amitiés solides ont résisté malgré tout, comme celles avec le producteur Dominique Besnehard ou la ministre Roselyne Bachelot.
Arrivé par la porte du scandale
Personnalité multiple et complexe que celle de Sébastien Chenu. Souverainiste. Eurosceptique puis europhobe. Catholique. Féru de culture. Grand amateur d’opéra. Patron d’une éphémère agence de communication-conseils ("une petite boite à la con" dira-t-il). Il a été conseiller parlementaire et directeur de cabinet. Il a été directeur adjoint de la communication de la chaine de télévision France 24 ("je ne m’y suis pas plu"). Et militant de la cause homosexuelle.
En couple avec Emmanuel depuis plus de vingt ans, il évoque la question sans gêne ni détours. "Je n’ai jamais triché sur qui j’étais, affirme-t-il. Mais - précision importante - je suis un politique qui a défendu un temps la cause homosexuelle ; et non un militant gay qui fait de la politique". En termes plus crus, il déclarera dans les colonnes du journal Libération : "je n’ai jamais voulu être le pédé de service".
En 2001, Sébastien Chenu est le co-fondateur de Gay-Lib, association qui défend les droits des personnes LGBT, dans une démarche libérale. Le pari est osé. Droite et homosexualité ne font pas toujours bon ménage. Gay-Lib est d’abord associé à l’UMP, parti qui s’oppose pourtant à l’ouverture du mariage pour couples du même sexe et qui participe activement aux manifestations contre le projet de loi établissant le mariage homosexuel. De guerre lasse, Gay-Lib quittera l’UMP en 2013 pour rejoindre l’UDI.
Le futur député du Nord, lui, avait déjà quitté le mouvement en 2012, deux ans avant son passage au FN… où d’ailleurs certains cadres dénoncent son "communautarisme homosexuel". Au FN, l’accueil est glacial. "Je suis arrivé au Front par la porte du scandale", reconnaitra Sébastien Chenu dans une interview accordée au magazine L’Express. Pour commenter la nomination de Sébastien Chenu à la tête du Collectif Culture du Front National, l’hebdomadaire d’extrême-droite Minute a alors cette formule toute en finesse : "Et pourquoi pas une Femen à la tête du collectif Famille ?" Bruno Gollnisch et Marion Maréchal tenteront de s’opposer à cette nomination. Depuis, il faut reconnaitre que Sébastien Chenu a su se fondre dans le paysage, se rendre indispensable. C’est sa grande qualité : s’adapter. Aussi à l’aise dans les milieux branchés parisiens que dans les très populaires quartiers de Denain, la ville la plus pauvre de France.
Le dernier clou sur le cercueil
Le jeune Sébastien s’engage en politique à 16 ans, d’abord encarté au Parti Républicain, puis à Démocratie Libérale, puis à l’UMP. Il est le fils d’un marchand de meubles et d’une greffière au Tribunal de Beauvais. "Une famille de français moyens, dit-il, classiques, qui eux aussi votent maintenant pour Marine". Un frère une sœur. Vacances à Mers-les-Bains. La politique sera toute sa vie. À droite.
A 23 ans, Sébastien Chenu apprend le métier comme directeur de cabinet du maire d’Eaubonne, dans le Val d’Oise, puis peaufine sa formation auprès d’une députée européenne, d’un élu départemental, d’un député. Passée la trentaine, il va servir plusieurs ministres : Nicole Guedj, secrétaire d’Etat à la Justice ; Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur. Aux élections municipales de 2001, il est élu à Beauvais sur la liste de Caroline Cayeux et devient adjoint à la jeunesse, puis vice-président de l’agglo. Deux mandats plus tard, en 2014, il quitte Beauvais pour Paris. Entre temps, il est devenu secrétaire national de l’UMP, chargé de l’exception culturelle.
Pour le 1er jour de notre bus de campagne, c’est dans ma circonscription a #Escaudain qu’il a pris son départ. pic.twitter.com/MNSqU3KozV
— Sébastien Chenu (@sebchenu) February 15, 2021
Paris, c’est l’étape de trop. Sébastien Chenu propose à Nathalie Kosciusko-Morizet de l’aider à prendre la mairie. "La pire rencontre politique de ma vie". NKM accepte en lui promettant la tête de liste dans le deuxième arrondissement de la capitale… avant de trahir sa parole et de proposer la candidature d’Hélène Delsol, farouche opposante au mariage homosexuel. "Ça a été le dernier clou sur le cercueil, explique Sébastien Chenu. Deux mois après les élections municipales, en mai 2014, je vote FN aux élections européennes. Puis je rencontre Marine Le Pen lors d’un diner organisé par Gilbert Collard, en juin. Et en décembre mon ralliement est annoncé".
Un an plus tard, Sébastien Chenu devient conseiller régional des Hauts de France, élu sur la liste emmenée par Marine Le Pen. Mandat compliqué. Un quart des 54 élus d’extrême-droite quitteront le groupe RN en raison de tensions internes fortes. Trois démissionnaires, Alexis Salmon, Olivier Normand et André Murawski affirmeront "que par sa personnalité, Sébastien Chenu – Rastignac de Marine Le Pen – cristallise ces tensions". Ils dénoncent "un petit clan qui protège les intérêts de quelques personnes".
En septembre 2018, Sébastien Chenu démissionnera de son poste de vice-président du groupe RN à la région, sans même tenter de calmer le jeu. "Je m’en fous", lâchera-t-il. Il est ainsi. Il dit parfois les choses abruptement. Sans filtre. À L’Express, en mars 2016, Sébastien Chenu avait fait cette étonnante confidence : "Les gens pensent que je suis quelqu’un de gentil parce que je suis sympathique et avenant. Mais ils se trompent. Je suis très rancunier et je peux être méchant".