Régionales 2021 Hauts-de-France : pourquoi la fusion des régions n'a pas tenu ses promesses

Où sont les économies promises par la fusion des ex-régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie ? À l’approche du scrutin, l’analyse des rapports de la Cour des comptes et de la chambre régionale interroge sur les choix opérés et les marges de manoeuvre restantes.

Cette réforme aura fait couler tellement d’encre… et ce n’est pas fini ! Alors que les Français sont appelés à élire pour la deuxième fois l’exécutif des nouvelles régions, le débat politique est éclairé par un rapport de la Cour des comptes, qui dresse un inventaire sévère des fameux regroupements opérés par la loi NOTRé du 7 août 2015.

Dans l’esprit du gouvernement Valls et du législateur, agrandir la région devait permettre de réaliser des économies d’échelle sur ses frais de fonctionnement, ainsi que sur ses politiques publiques. L’ancien secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, André Vallini, avait osé avancer l'objectif de 10 milliards d’euros d’économies à moyen terme. "Un chiffre sorti du chapeau pour justifier une réforme lancée, après l'abandon de la suppression des départements, parce qu'il fallait bien faire une réforme", tâcle un professeur de droit public.

Le fait est que, dans les Hauts-de-France, le compte n'y est pas. La fusion a même coûté un peu plus cher qu’elle n’a rapporté.

(La région) estime désormais les coûts à 61,2 M€ et les économies à 45,8 M€ de 2015 à 2018, soit un coût net de 15,4 M€ représentant 0,16 % de ses dépenses réelles totales sur cette période.

Chambre régionale des comptes

Il est vrai que la fusion des régions devait entraîner des surcoûts. Entre 2015 et 2018, l’harmonisation des systèmes d’information a par exemple nécessité plus de 30 millions d'euros d’investissements de la part des cinq régions étudiées par la Cour des comptes (dont les Hauts-de-France). De même, le barème des indemnités de l’élu veut que, plus la région dans laquelle il opère est peuplée, meilleure doit être son indemnité. Mécaniquement, le coût des indemnités des élus et des groupes politiques a ainsi augmenté de 8% en moyenne dans les régions fusionnées (+14 centimes par habitant).

Mais comment expliquer que ces surcoûts ne soient pas compensés par les économies annoncées ? La réponse tient à la fois dans la nature de la réforme et la manière dont l’exécutif régional l’a mise en oeuvre.

Des économies limitées par une fusion inachevée

Comme prévu, dès la première année, la fusion des région a permis de réaliser des économies de fonctionnement : contrats d’assurance, énergie, poste, télécommunications, immobilier… Mais celles-ci ont été limitées par le choix, opéré par toutes les nouvelles régions (sauf la Nouvelle-Aquitaine), de conserver leurs anciens chefs-lieux, en l’occurence le site d’Amiens. La Cour des comptes comprend leur volonté de "préserver leur équilibre territorial" et "l’absence de mobilité professionnelle imposée", mais déplore "une réorganisation complexe et coûteuse".

Une réorganisation qui se cherche encore. La Cour note qu’en 2018, la région Hauts-de-France, qui avait mis en place dès 2016 une "mission fusion", n’en avait pas encore fini : des "modifications substantielles" intervenaient encore pour pallier les "difficultés et incohérences" qui apparaissaient.

Autre harmonisation inaboutie : celle des outils de pilotage. "Dans les Hauts-de-France, la multitude de chantiers à traiter simultanément et la nécessité de disposer rapidement de politiques harmonisées n’a pas permis d’appuyer la définition des politiques publiques sur de nouveaux diagnostics approfondis des besoins du territoire, pas plus que sur une évaluation des mesures précédentes", analysent les hauts magistrats.

Une politique du mieux-disant… sauf pour les personnels

Concernant les politiques publiques, les économies d’échelle imaginées par le législateur ne se sont pas concrétisées. Si les doublons entre celles du Nord-Pas-de-Calais et celles de la Picardie ont bien été supprimés - le nombre de dispositifs dans les Hauts-de-France est passé de 200 à 120 -, leur coût total aurait augmenté. "Dans plusieurs cas, (les nouvelles régions) ont revu leur intervention et l’ont alignée sur le plus haut niveau de prestation servi par les anciennes régions", explique la Cour des comptes.

En revanche, cette dernière remarque que la région Hauts-de-France est la seule à ne pas avoir aligné par le haut les rémunérations de ses fonctionnaires. Bien qu’elle l’ait fait concernant les acquis sociaux (autorisations d’absence, action sociale…), c’est un bon point - du point de vue comptable - alors que l’augmentation de ces dépenses constitue ailleurs "une des principales composantes des coûts pérennes de la fusion des régions".

Pas trop de cadeaux donc pour les personnels, pourtant mis sous pression. En 2019, la chambre régionale des comptes constatait "une forte centralisation autour du président de région et de la direction générale" alourdissant les circuits de décision : ajoutée à la multiplication des chantiers, cette situation aurait exposé 43% des agents de la région "à un niveau élevé de risques psycho-sociaux" et fait progresser l’absentéisme pour raisons médicales "de 14,5% depuis 2015".

Un territoire qui cherche encore sa cohérence

L’étude d’impact réalisée en amont de la proposition de loi NOTRé envisageait de ne pas toucher au Nord-Pas-de-Calais, "atout majeur pour la France" de part son "dynamisme économique et son emplacement central en Europe", et de regrouper la Picardie avec la Champagne-Ardenne. Inutile de rappeler qu’un autre choix a été fait. De même, le projet de loi prévoyait à l’origine de transférer aux régions les compétences de gestion de voirie départementale et des collèges, finalement maintenues aux départements, qui par ailleurs "demeurent des acteurs du développement économique", alors que la loi NOTRé consacrait la vocation stratégique des régions en la matière.

Des modifications du projet qui ont "entravé les modalités de sa mise en oeuvre", selon la Cour des comptes, vues les "disparités" des deux anciennes régions : un Nord-Pas-de-Calais urbain, un nord-Picardie rural et agricole, un sud-Picardie tourné vers l’Île-de-France.

Le mariage forcé pèse notamment sur la politique de développement économique. Les hauts magistrats évoquent Proch’Emploi (dispositif de mise en relation des demandeurs d'emploi et des employeurs locaux) comme preuve d’une appropriation formelle par la région de sa compétence renforcée, mais à part cela, la chambre régionale des comptes observe que "l’accent est mis sur le développement de la proximité, par la création d’aides individuelles à la personne (prêt de véhicule, aide à la garde d’enfants, aide au transport, etc.), peu emblématiques jusque-là de la vocation de l’échelon régional". De même pour les transports : "La région s’efforce de mettre en cohérence leur organisation sur l’ensemble du territoire, ce qui se révèle compliqué au regard de la très grande hétérogénéité constatée, tant du point de vue des réseaux et des services que de celui des modes de gestion (plus de 200 contrats et de 120 prestataires)."

Aussi, quand une région non-fusionnée comme la Bretagne axe son développement économique sur la transition écologique, celle des Hauts-de-France mise plutôt sur ce que la Cour des comptes qualifie de "stratégie d’attractivité et de cohésion des territoires", veillant à ne pas délaisser certains bassins de vie grâce à un "plan territoires" et une "gouvernance territoriale thématique".

D’autres choix doivent-ils être opérés ? Lesquels, alors que les contraintes restent les mêmes ? C’est l’un des enjeux des prochaines élections régionales.

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