A l'occasion des élections régionales, les 20 et 27 juin, nous sommes allés à la rencontre des usagers du TER, dont la compétence relève de la Région. De Fourmies dans le Nord à Amiens dans la Somme, les voyageurs témoignent d'un quotidien régulièrement perturbé par les retards et les annulations.
6h42, gare de Fourmies, dans le Nord. Ce vendredi matin, nous embarquons dans un TER comme le font quotidiennement près de 120 000 voyageurs dans les Hauts-de-France. Le contrôleur donne un coup de sifflet et les portes se ferment. Direction Lille et ses environs, là où se trouve l'emploi.
Ce jour-là le train est à l'heure, mais cette ponctualité cache une réalité moins glorieuse. "Hier, ce même train de 6h42 a été supprimé, nous apprend Ludivine Baron, enseignante à Orchies et usagère quotidienne du TER. Je n'ai pas été informé sur mon téléphone et comme par magie, il avait disparu sur le tableau de la gare... Ici c'est démerdez-vous ! Ce manque d'informations me fatigue..."
Retards, annulations... Les Hauts-de-France mauvais élèves
L'expérience malheureuse de cette usagère se confirme par les chiffres. En 2019, sur l'ensemble de la région, 10 % des TER ont été supprimés et 12 % sont arrivés en retard, selon les données de la SNCF. Les Hauts-de-France se classent ainsi parmi les plus mauvais élèves du pays, assez loin derrière ses voisins de la Normandie et du Grand Est. Seules les régions PACA, Occitanie et Bourgogne-Franche-Comté font pire.
Ce vendredi matin, Bruno fait partie de la quinzaine de passagers montés en gare de Fourmies, commune de 12 000 habitants dans l'Avesnois. Ce fonctionnaire de l'administration est un fidèle du rail. Depuis 1997 il se rend au travail en TER, et cela fait sept ans qu'il emprunte la ligne Fourmie-Valenciennes. "Le confort des trains s'est amélioré, c'est sûr", assure-t-il avant de pointer du doigt les défaillances. Les pannes ? "Il y en a souvent." Les déssertes ? "Moins de trains qu'avant."
Depuis septembre dernier, à cinq reprises, Bruno n'a pas pu rentrer chez lui le soir. "Ils proposent bien une solution, avec un bus qui doit venir nous chercher en gare d'Aulnoye-Aymeries, mais on ne le voit jamais, ou bien il arrive tard, souffle-t-il. Quatre fois sur cinq j'ai fini par appeler ma femme pour qu'elle vienne me chercher." 40 minutes de route en plus.
Les petites gares, celles des communes isolées, seraient-elles pénalisées dans la fréquence des circulations ? Oui selon Gilles Laurent, à la tête de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT) dans les Hauts-de-France : "En 2020, il y a eu une augmentation des dessertes pour les grandes lignes, au détriment des petites villes."
"Je me suis rabattue sur la voiture..."
Tout au long de notre matinée, et dans les différentes rames qui nous ont transporté jusqu'à Amiens, de nombreux voyageurs font état de leur déboire avec la SNCF. Des "couacs" à répétition qui peuvent parfois détourner les usagers du rail à la faveur de la... voiture.
"Avec les retards, les changements et le manque d'informations... Je trouve ça plus simple la voiture."
"A l'époque, je prenais un abonnement à la semaine pour aller travailler, mais j'ai vite abandonné avec les retards, témoigne Laure, 41 ans, secrétaire au centre hospitalier de Valenciennes. Je me suis rabattue sur la voiture." Et elle n'est pas la seule. Emilie Meunier, éducatrice de 32 ans, a privilégié le covoiturage au train pour aller à Lille tous les jours. "Avec les retards, les changements et le manque d'informations... Je trouve ça plus simple la voiture." Le ferroviaire séduit autant qu'il peut décourager.
Le routier plus fort que le ferroviaire
A l'échelle régionale, le mode routier est encore ultra majoritaire. 3,5 millions de voyages quotidiens contre 200 000 voyages en TER. Autrement dit, c'est 17 fois plus de trajets en automobiles. Et la crise sanitaire est venue amplifier cette tendance. "Je prends beaucoup moins le train depuis le Covid", confirme une jeune femme croisée sur le quai de la gare de Douai.
Mais une fois la crise passée, la Région compte bien faire remonter les gens dans ses TER. Et en plus grand nombre qu'auparavant. Car rappelons que le transport est une compétence phare du conseil régional. Dans les Hauts-de-France, il représente le plus gros budget, avec un tiers des 3,1 milliards d'investissement annuel. Un ticket de TER est subventionné à hauteur de 73% par la Région !
Objectif +10 % de voyageurs dans la Région
Fort d'une récente convention signée avec la SNCF en 2019, avec un budget annuel de 500 000 millions d'euros pour un total de 2,5 milliards d'euros, le conseil régional, actuellement dirigé par Xavier Bertrand (DVD), s'est fixé un objectif de 10 % d'usagers en plus d'ici 2024.
L'engagement sera-t-il tenu ? Gilles Laurent, de la FNAUT, rappelle à toutes fins utiles que la fréquentation des TER "stagne depuis cinq ou six ans, donc bien avant la crise du Covid."
Concurrencer la SNCF : la solution ?
Alors comment booster la fréquentation des TER ? "En étant sûr d'arriver à l'heure au travail", propose sans ironie Ludivine Baron. "En étant plus assidu sur les horaires", appuie Laure. Pour résumer, en assurant à l'usager les conditions du triple A : assis, à l’heure, avertis. Un slogan de l'association SNCFVAMETUER, repris volontairement par la Région. "Avec ce triple A, c'est comme ça que les gens arrêteront de prendre leur bagnole", tranche Franck Dhersin, en charge des transports à la Région.
"Face aux nouveaux entrants, la SNCF va être obligée de faire mieux."
Pour se faire, les responsables politiques semblent avoir trouver une solution magique : l'ouverture à la concurrence. "Face aux nouveaux entrants, la SNCF va être obligée de faire mieux, affirme Franck Dhersin, qui rappelle que ses marges de manoeuvre actuelles sont faibles avec la SNCF (pourtant largement subventionnée par le conseil régional).
Alors oui, la récente convention, en plus de pérenniser l'ensemble des gares et des lignes sur le territoire, a conduit à l'ouverture d'un appel d'offres concernant trois lignes tests sur lesquelles d'autres entreprises que la SNCF pourront faire rouler des trains. Horizon fixé pour la mise en service : "fin 2023, début 2024".
"Peut-être que la SNCF sera plus rigoureuse"
Dans l'ouverture à la concurrence, les voyageurs y trouvent un espoir. "La SNCF va devoir se remettre en question et faire plus attention à ses voyageurs", estime Ludivine Baron. Laure, elle, avance plus prudemment : "peut-être que la SNCF sera plus rigoureuse avec les horaires. Ou est-ce qu'avec le partage des voies ça ne sera pas pire ? Je suis mitigée."
Si les problèmes existent et perturbent le quotidien de certains voyageurs, le TER fait aussi un bon nombre d'heureux. En route pour Douai, depuis Somain, Fabrice Blassel se dit "globalement satisfait" du réseau ferré dans la région. Pareil pour ce groupe de lycéens pour qui ça "roule", malgré des trains qui se font rares dans l'après-midi à destination d'Hirson.
Henri Malvoisin, lui, utilise le rail depuis une quinzaine d'années. Et comme beaucoup, il fait des "économies" avec le TER. Il l'assure : "le train, c'est l'idéal !" Avant de nuancer : "si l'on y mettait les moyens."
"Plus de places pour les vélos"
Car Henri est cycliste et monte à bord des trains avec son beau vélo de route. Artisan coiffeur à domicile, il se déplace chaque jour à Arras pour voir ses clients. Si ce vendredi matin, il avait largement la place pour ranger sa monture, ce n'est pas toujours le cas. "Il y a des trains que je ne prends pas avec mon vélo, regrette-t-il. Et j'ai déjà signalé ces difficultés aux contrôleurs."
Il est vrai que certaines lignes sont "bondées" comme le dénoncent certaines associations d'usagers, laissant peu de place aux deux-roues. Mais alors quelle politique adopter pour les cyclistes de plus en plus nombreux, pour le plus grand bien de la planète ? Est-il envisageable de faire entrer tout le monde avec son vélo aux heures de pointe ?
"Ce qu'il faut faire, comme aux Pays-Bas, c'est développer les lieux de parking protégés dans les gares. Car on n'entrera jamais à 50 dans un train, ça ne se fait nul part ailleurs."
Pour Franck Dhersin, responsable des transports à la Région, la réponse est catégorique : "non." Et de préciser sa stratégie : "ce qu'il faut faire, comme aux Pays-Bas, c'est développer les lieux de parking protégés dans les gares. Et c'est en cours, mais ça prend du temps." Gilles Laurent, du collectif d'associations d'usagers, s'accorde avec cette stratégie mais rappelle qu'il "faut dans le même temps augmenter le nombre de places dans les rames."
Selon Franck Dhersin, ce sera d'ailleurs le cas pour les 33 nouveaux trains mis en service à partir de 2023. "Il y aura huit emplacements vélos par rame, précise-t-il, avant de réaffirmer sa pensée. Mais on n'entrera jamais à 50 ans avec nos vélos, ça ne se fait nul part ailleurs."
Les propositions des candidats à la Région
Au cours de la campagne des élections régionales, qui auront lieu les 20 et 27 juin prochain, la question du transport n'a pas occupé une grande place. Elle n'est pas non plus prioritaire dans l'opinion, puisque selon un sondage Ipsos SopraSteria pour France 3 et France Bleu, publié mercredi 2 juin, la thématique du transport arrive en queue de liste des préoccupations des habitants des Hauts-de-France.
Cela dit, plusieurs propositions sont ressorties du débat entre les candidats, diffusé mercredi 2 juin sur France 3 Hauts-de-France. Xavier Bertrand (DVD) a milité pour une ouverture à la concurrence afin d'obliger "la technostructure de la SNCF à se remettre en question". Karima Delli (Union de la gauche) a promis de lancer des trains à hydrogène et de remettre en route les trains de nuit, notamment entre Calais, Bâle, Vintimille et Nice. Pour Sébastien Chenu (RN), la première priorité est de développer l’axe ferroviaire vers le bassin minier "si mal desservi".
Evidemment, les problèmes d'aujourd'hui ne se régleront pas demain. La politique ferroviaire s'envisage sur le long terme.
"Allo maman ? Oui je pense qu'il va falloir venir me chercher à la gare de Valenciennes. Ces abrutis sont encore en retard, et ils ne nous ont pas prévenus." Ce genre de scène, qui s'est déroulée ce vendredi matin, n'est donc pas prêt à disparaître.