S'afficher avec les ouvriers qui gagnent plutôt qu'"accompagner les fermetures d'usine" : les parlementaires communistes des Hauts-de-France sont venus féliciter, cette semaine à Wizernes, les travailleurs de la papeterie Arjo-Wiggins, dont le combat pendant plusieurs années a permis une reprise.
En juin 2015, la maison mère d'Arjo, Sequana, ferme l'usine spécialisée dans le papier dit "couché", naufrageant 307 salariés. Mais des dizaines d'entre eux commencent une occupation de site, un temps la nuit, pour empêcher le démantèlement des machines et le navire de définitivement couler.
Trois ans plus tard, ils sont toujours là. Mais le vent a tourné depuis plusieurs mois : un compromis a été trouvé pour la reprise du site par Henri Bréban, industriel local. C'est cette pugnacité d'ouvriers amoureux de leur travail que les parlementaires PCF sont venus célébrer - l'une des étapes de leur "Marche sur l'Elysée" de la semaine, qui s'est conclue samedi à Paris par un "pique-nique revendicatif" et une rencontre avec le Premier ministre.
"Soutien fort des communistes"
Le parti en a bien besoin, lui qui souffre tant de la désaffection du vote ouvrier (43% ont voté FN aux régionales de 2015). Dominique Watrin, sénateur du Pas-de-Calais venu plusieurs fois soutenir les "Arjo", explique : "On était souvent identifié comme le parti qui accompagne les fermetures d'usine", nombreuses dans la région.Pour le parti et les ouvriers, "c'est important de fêter une victoire parce qu'on ne gagne pas souvent", reconnaît-il. Franck Sailliot, délégué CGT et chef de file informel des occupants du site, fait la visite en vrai propriétaire, présentant chaque machine avec application. "C'est notre maison ici !", lance-t-il.
Alors qu'il ouvre une porte, un responsable communiste local pousse une exclamation de joie : "Les travailleurs ont les clés de l'usine!" Un autre rebondit, gourmand : "Ils ont les moyens de production..." Les couloirs menant à la petite salle de réunion sont tapissées d'affiches vilipendant la "bande de politiciens incapables". Pourtant, Franck Sailliot insiste : "On a eu un soutien fort des communistes. Ca a permis de débloquer des choses", dont une réunion à Bercy.
"Retrouver un patron"
Comme la France insoumise n'est pas venue ici, que le PS autrefois tout puissant a chuté dans le département, le PCF a les coudées franches pour s'associer à la victoire. "C'est la preuve qu'il faut faire confiance aux ouvriers", sourit Michelle Gréaume, sénatrice du Nord."Ce qui est important pour nous, c'est la manière dont ils ont lutté", explique Fabien Roussel, député du Nord. "Il y a des ouvriers en colère qui cassent les machines, ici c'est l'inverse, ils les ont bichonnées, et ont tout fait pour retrouver un patron".
Retrouver un patron, l'horizon des ouvriers? La formule surprend au PCF, mais Fabien Roussel assume ce pragmatisme. Les ouvriers d'Arjo "ont refusé la SCOP, ce n'est pas leur boulot. Ils veulent des industriels qui investissent. On n'est pas dans un clivage anti-patrons. (...) Peut-être que dans le passé le PCF n'a pas été assez la voix du monde du travail."
Le PCF "n'a plus de réseau"
Dans le petit préfabriqué qui leur sert de poste de garde, les ex-Arjo devisent verre à la main. "Moi si le PCF ou le FN rachète l'usine, tant que j'ai du boulot, je suis content. Ca fait trois ans que je me bats pour ça", déclare Pascal Lebard, 53 ans, "raffineur, remplaçant conducteur machine 5", comme il le dit fièrement.Jean-Luc Choinet, 50 ans, emballeur palette, ancien secrétaire du CE et rare encarté au PCF depuis des années, est "déçu que (s)es camarades de la CGT n'adhèrent pas au parti, c'est incompréhensible. Car quand certains parlent, j'entends le PCF."
Pour Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l'Université de Lille, "le problème du PCF est qu'il n'a plus de réseau, ne sait plus comment être en prise avec les milieux populaires". "Avant, ça passait par les associations, les syndicats, la conscience de classe", analyse le chercheur. "Ils ne savent plus comment toucher les gens autrement qu'individuellement, en soutien de mobilisations. (...) Comme il n'y a plus beaucoup de conscience politique (chez les ouvriers), les élus sont devenus pragmatiques."
Et obligés de se raccrocher aux victoires symboliques.