Seconde Guerre mondiale : Jean Offenberg, un as belge dans la Bataille d'Angleterre

Septembre 1940, Bataille d'Angleterre. L'aviateur belge Jean Offenberg effectue ses premières missions au sein de la Royal Air Force. Après avoir affronté la Luftwaffe dans son pays, il a parcouru un long périple, via la France et l'Afrique du Nord, pour poursuivre la lutte contre l'Allemagne nazie.

C'était il y a 80 ans, le 8 septembre 1940, pendant la Bataille d'Angleterre, plus grand affrontement aérien de l'Histoire et tournant décisif de la Seconde Guerre Mondiale.

Ce jour-là, un jeune aviateur bruxellois décolle précipitamment de la base aérienne de Dyce, près d'Aberdeen, en Ecosse, aux commandes d'un Hurricane du 145 Squadron.

Il s'appelle Jean Offenberg, il a 24 ans. Il a intégré cette unité de la Royal Air Force - l'aviation britannique - il y a tout juste deux semaines, loin du front aérien de la Manche où les combats font rage. Mais pourtant...

"Le contrôle signale un appareil non identifié au-dessus de la mer à 20 milles au nord-est d'Aberdeen, volant plein Sud. Altitude présumée 15 000 pieds (environ 5000 mètres NDR)" , rapporte-t-il dans ses carnets. 
Offenberg vole au sein de la Blue Section, en compagnie de Duncan Sykes et James Storrar, deux collègues britanniques qui l'ont très vite adopté. Ils l'appellent affectueusement "Pyker", en référence à son surnom bruxellois - imprononçable pour eux : "Pij" (ou "Peï"), c'est-à-dire "le mec" ou "le type". 

"On nous dit de tourner en cercle, car le "bandit" est quelque part dans les environs de notre position", poursuit le Belge. "D'après ma montre, nous volons depuis 32 minutes quand soudain, 2 milles à l'avant, plus bas que nous, j'aperçois un bimoteur qui vole sensiblement en direction Sud-Est, par-dessus les nuages. J'appuie sur le bouton de la radio et, réglementairement, j'annonce : "Blue 1 de Blue 2. Un bandit à une heure en-dessous"".Les trois chasseurs Hurricane s'alignent alors en "line abreast", de front, pour fondre en meute vers l'intrus. C'est un bombardier allemand, un Dornier 215.

"Il faut se méfier de ces maraudeurs solitaires qui sont généralement très fortement armés. Nous approchons rapidement", décrit Offenberg. 

"Sykes plonge pendant que m'éloigne vers la droite et Storrar fait de même vers la gauche. Notre section éclate en éventail au-dessus de la couche des nuages, qui ne laisse voir la mer qu'ici et là... comme à l'exercice, Sykes qui va arriver à bonne distance, annonce froidement : "Opening fire". J'ouvre le feu".
"Une fraction de seconde plus tard, le bombardier tire", rapporte le pilote. "Sykes ouvre le feu aussi pendant une ou deux secondes et dégage vers le bas. En trois quart arrière, je vais attaquer à mon tour lorsque l'Allemand, voulant échapper, vire brutalement vers la gauche et entre dans les traceuses de Storrar. Je crois qu'il n'avait pas aperçu notre numéro 3 qui l'arrose copieusement. Le pilote du Dornier rend la main et disparaît dans les nuages".

Je termine dans la queue du Dornier et je ne lâche le bouton de tir que lorsque je suis à moins de 40 mètres de ses dérives.

Jean Offenberg, le 8 septembre 1940

La Blue Section retrouve son "gibier" deux minutes plus tard. "Sykes y va. Il commence à tirer à 400 mètres du Dornier. Le bombardier ne riposte plus. Je tire à mon tour au moment où Sykes, ayant dégagé, me laisse le champ libre. Je termine dans la queue du Dornier et je ne lâche le bouton de tir que lorsque je suis à moins de 40 mètres de ses dérives. Storrar arrive trop tard. L'Allemand, qui pique légèrement, est rentré dans l'ouate protectrice d'un autre nuage. Pendant dix minutes encore, nous le cherchons, mais en vain. De guerre lasse, nous rentrons à Dyce, en formation encastrée, sans savoir si le bombardier a été abattu ou s'il est parvenu à rejoindre sa base."  

Ainsi se conclut, au-dessus des côtes écossaises, le premier affrontement de Jean Offenberg avec un appareil allemand depuis qu'il s'est exilé en Grande-Bretagne pour rejoindre la Royal Air Force.
 

Au combat déjà en Belgique

Le Bruxellois s'était déjà frotté à des Dornier, quatre mois plus tôt, dans son pays. C'était le 10 mai 1940, le jour où Adolf Hitler déclencha sa Guerre-éclair, en envoyant ses parachutistes, ses bombardiers et ses chasseurs à l'assaut de la Belgique, des Pays-Bas et du Luxembourg.

Jean Offenberg était alors en poste à Nivelles, au sud de la capitale belge. C'est son copain, Alexis Jottard, 27 ans, qui l'avait brusquement sorti de son sommeil vers 1h du matin. "Lève-toi vite, c'est l'alerte !".

Les deux camarades appartenaient alors à un groupe de chasse belge surnommé "le Groupe des Cocottes".
Ils pilotaient des Fiat CR.42, des modestes biplans italiens, bien moins performants ques Messerschmitt Bf109 allemands ou que les  Hurricane et Spitfire britanniques.

"Que va-t-on faire avec ces vieux coucous démodés ?", s'interrogeait Offenberg. "Tout en me dirigeant vers le PC de l'escadrille, je ne puis m'empêcher de penser à ma famille qui est à Bruxelles. Que vont-il devenir ? Bah ! les Français vont venir et on tiendra les Boches sur le canal Albert en attendant !".
Avec Jottard et un autre camarade, Jean Maes, ils décollèrent de Nivelles aux premières lueurs du jour. Direction Brustem, un aérodrome situé à côté de Saint-Trond, pas loin du canal Albert, qui fait frontière avec les Pays-Bas et de la forteresse d'Eben-Emael, réputée imprenable mais déjà assaillie par les troupes de choc allemandes. "Les hélices s'arrêtent les unes après les autres", raconte Offenberg. "Un mécano que je n'ai jamais vu s'approche, l'air affolé, au moment où je quitte le Fiat. "- Mon lieutenant, ils viennent de bombarder Nivelles". "- Quand ça ? Mais on vient de quitter Nivellles. C'est pas possible ?" "- Si, mon lieutenant, on vient de téléphoner de là-bas, il y a un instant à peine". A ce même moment, Jottard se précipite vers moi. "- T'as entendu ? Ils ont bombardé Nivelles deux secondes après notre départ. Des Stukas, c'était des Stukas !". Le vieil Alexis est terriblement excité. Il est harnaché d'ailleurs comme s'il partait en dépannage et des clefs de tous les calibres dépassent de toutes les poches de sa combinaison de vol. Jottard, le bricoleur de l'escadrille, n'a rien voulu abandonner de l'énorme attirail qu'il possède".  
Jean Offenberg demanda alors à son commandant d'effectuer une patrouille au-dessus de Saint-Trond avec ses ailiers Jottard et Maes. A peine dans les airs, un premier avion ennemi était déjà en vue. Un Dornier 17. Et il n'était pas seul. Juste au-dessus de lui, une nuée de chasseurs Messerschmitt...

"Réflexe instinctif, je plonge en virant, alors que deux chasseurs allemands en trois quart arrière virent sur l'aile. Et puis je ne sais plus... Je me rappelle avoir piqué entre deux Messerschmitt vers un bombardier dont le mitrailleur tirait vers moi. J'ai tiré ma toute première rafale, puis une seconde... Ma mitrailleuse droite s'est enrayée et j'ai dégagé vers le haut".
Son petit groupe de chasse s'était dispersé. Offenberg se retrouva seul, au milieu d'un ciel soudainement vide. "Je vais reprendre le cap de Saint-Trond quand, sortant de nulle part, comme venu tout-à-coup du néant, un bimoteur noir passe un peu plus bas que moi. (...) Il est seul et je me mets à sa poursuite en un léger piqué. Je ne sais depuis combien de temps cela dure, mais je parviens à le gagner de vitesse et je suis trop loin pour tirer. Sur le dos du Dornier, j'aperçois la tourelle du mitrailleur qui bouge et qui, parfois, me renvoie un rayon de soleil comme un éclat de diamant. Au-dessus de Maastricht (aux Pays-Bas NDR), j'abandonne la course".

Là, en dessous, le Dornier perd de l'altitude rapidement... J'atterris à Brustem à 7h45, avec 1h40 de vol de guerre et une victoire, heureux d'être encore en vie.

Jean Offenberg, le 10 mai 1940

Le pilote belge retourna au-dessus de la base aérienne de Brustem "où tout semble normal", avant de retomber nez à nez avec Dornier.

"Il passe à ma hauteur. Sa tourelle bouge. Je rends la main au moment où des traceuses m'entourent de toute part, comme des perles rouges... Moi aussi, j'ouvre le feu... Le vieux Fiat me secoue et vibre sous le recul des mitrailleuses. Je ne sais plus ce que je dois faire, mais je continue à tirer... Son moteur gauche laisse échapper de la fumée noire qui tire-bouchonne vers l'arrière. Puis il penche vers le ciel au moment où je tire sur le stick pour échapper au jet rouge des traceuses. Là, en dessous, le Dornier perd de l'altitude rapidement... J'atterris à Brustem à 7h45, avec 1h40 de vol de guerre et une victoire, heureux d'être encore en vie".
 

Une retraite par Norrent-Fontes, Mérignac, Ajaccio, l'Algérie et le Maroc   

Le répit fut bref. A peine descendu de son cockpit, cinq Messerschmitt attaquaient la base de Brustem en rase-motte, "crachant le feu d'une immense colère". "J'ai à peine le temps de me plaquer au sol... ils ne sont déjà plus là et j'ai encore le visage enfoui dans l'herbe, le corps allongé à quelques mètres d'Alexis (Jottard). J'aperçois son visage interrogeur. "Ben", fait-il, "ils ne vont pas avec le dos de la cuillère, ces frères-là".

La 3e escadrille n'a plus un seul avion disponible maintenant et ce qui, hier encore, comblait leur cœur de joie, n'est plus qu'un immense amas de ferraille, un marché aux puces de pièces détachées, un cimetière d'avions.

Jean Offenberg, le 10 mai 1940.

Offenberg et Jottard se précipitèrent vers les avions, mais le vrombissement inquiétant d'un nouvel essaim d'ennemis se faisait déjà entendre. 

"Des Stukas piquent dans des hurlements de sirènes avec des bombes qui sifflent à faire mal aux tympans et qui éclatent avec un bruit sourd. (...) Puis les Stukas repartent vers l'Est, un à un et un grand calme recouvre la campagne amie. Nous sortons de nos trous. La 3e escadrille n'a plus un seul avion disponible maintenant et ce qui, hier encore, comblait leur cœur de joie, n'est plus qu'un immense amas de ferraille, un marché aux puces de pièces détachées, un cimetière d'avions. Les nôtres sont intacts, seule la 4e pourra décoller encore".
Jean Offenberg ne le savait pas encore mais ce fut pour lui le point de départ d'une longue retraite. Aux commandes d'un des huit derniers Fiat de la base, il s'envola, le 11 mai, avec son groupe vers Grimbergen, au nord de Bruxelles, "non sans avoir essuyé le feu aveugle de la DCA belge au nord de Tirlemont".

"Tout est désemparé autour de moi, comme si j'étais au milieu d'une grande maison dont les murs viennent de s'écrouler...", notait-il. "Au crépuscule, on nous dit de partir vers l'Ouest, plus loin du drame, dans la direction de la mer. (...) Là-bas, au canal Albert, le capitaine Glorie s'est fait sauter avec son avion (Fairey) Battle sur le pont de Vroenhoven et nous, les derniers chasseurs, nous virons de bord vers le soleil couchant".L'escadrille se replia vers la Flandre, puis dans la soirée du 16 mai, ce fut le départ vers la France. "La première ville reconnue est Armentières. Derrière nous, la frontière et les paysages connus disparaissent dans le crépuscule qui glisse au ras des terres, effaçant quelques traces ici et là. Par peloton de trois, nous survolons une formation de (Fairey) Firefly, nos Firefly... Des chasseurs qui protègent d'autres chasseurs. Comme c'est ridicule !"
A bord de ces appareils, Offenberg reconnut un camarade qu'il allait recroiser plus tard au sein de la Royal Air Force. "Le premier à l'avant du deuxième peloton, c'est (Daniel) Leroy du Vivier. Je l'imagine avec son masque tourmenté de boxeur qui cherche une ouverture... avec ses épaules solides et son corps trapu, vissé sur le siège du Firefly. Il doit rager d'avoir reçu l'ordre de convoyer un pareil coucou".
La première escale de l'escadrille belge fut Norrent-Fontes, dans le Pas-de-Calais. "Même sur mes atlas scolaires, je n'ai jamais vu ce nom-là et pourtant il y a un aérodrome à trois encablures du village". Puis, ce fut Chartres, Tours, de nouveau Chartres et Mérignac, près de Bordeaux... 

Il ne reste qu'une chose à faire, il faut rejoindre l'Afrique du Nord où les forces françaises continueront le combat.

Jean Offenberg, le 19 juin 1940

"Tout est terminé maintenant", commentait Offenberg, le 19 juin, dans ses carnets, après l'appel du maréchal Pétain à cesser les combats en France. La Belgique, elle, avait déjà capitulé le 28 mai. "Les Allemands vont descendre vers le Sud envahissant l'immense bande de territoire qui borde l'Atlantique. Une clause de l'armistice qui va être signé stipulera que les autorités françaises ne laisseront pas sortir du territoire de la République les anciens alliés en état de porter les armes. Il ne reste qu'une chose à faire, il faut rejoindre l'Afrique du Nord où les forces françaises continueront le combat".

"Si vous partez sans ordre, vous serez réputé déserteur", l'avertit un supérieur. En vain... Jean Offenberg et son copain Alexis Jottard s'emparèrent à Mérignac de deux petits Caudron Simoun français pour rejoindre Montpellier où l'aviation belge avait déjà rassemblé quelques unités.Le 20 juin, les deux pilotes s'envolaient au-dessus de la Méditerranée. Après une brève escale à Ajaccio, en Corse, ils attinrent Philippeville (aujourd'hui Skikda) en Algérie. Puis ils passèrent par Sétif, Alger et Relizane, où Jottard endommagea l'hélice de son Simoun.

A bord du dernier appareil, le tandem parvint à gagner Oran puis Oujda, au Maroc, où les officiers, moniteurs et élèves de l'Ecole de pilotage belge s'étaient déjà repliés. 
Parmi eux, beaucoup voulaient continuer la guerre et cherchaient un moyen de se rendre à Gibraltar, de l'autre côté de la Méditerranée, pour gagner ensuite l'Angleterre.    
 

28 Belges dans la Bataille d'Angleterre

Si dans d'autres bases françaises d'Afrique du Nord, quelques jeunes aviateurs rebelles, comme René Mouchotte, réussirent à s'échapper à bord d'un avion pour atterrir à Gibraltar, Offenberg et Jottard furent contraints de trouver une autre solution. Les magnétos du Caudron Simoun qui les avait conduits jusqu'au Maroc avaient disparu... Impossible pour eux de décoller.
Ce fut donc en train que les deux Belges rejoignirent, le 1er juillet 1940, à Casablanca, quelques compatriotes déjà partis d'Oujda sans permission. Parmi eux, Raymond Lallemant, 20 ans, Victor Ortmans, 25 ans,  et "quelques autres de la 82e promotion". Il y avait aussi un officier, le capitaine Baudouin de Hemptinne, 31 ans.

Ils apprirent que des Polonais allaient embarquer à bord d'un navire, le Djebel Druse.
Avec leur complicité, ils purent aussi monter à bord et mettre le cap vers Gibraltar.

Une fois arrivés sur le Rocher, ils furent transférés sur un autre bateau, le Har Sion, à destination cette fois de Liverpool, en Angleterre. Près d'une trentaine d'aviateurs belges furent intégrés dans la Royal Air Force, la moitié au sein du Fighter Command (chasse) - formée au pilotage des Hawker Hurricane - , l'autre au sein du Coastal Command (défense côtière) - utilisant des bombardiers légers bimoteurs Bristol Blenheim.Parmi eux, des pilotes au parcours étonnant comme Rodolphe de Hemricourt, comte de Grunne, qui quelques années plus tôt, avait combattu aux côtés des Allemands, pour soutenir le général Franco, pendant la Guerre d'Espagne. A 28 ans, il était cette fois déterminé à lutter férocement contre ses anciens "amis".
Jean Offenberg, lui, était accompagné de deux compatriotes lorsqu'il fut affecté au 145 Squadron, en Ecosse : son copain Alexis Jottard et Baudouin de Hemptinne, le capitaine qui avait embarqué avec eux à Casablanca. 

On a dû nous affecter à une escadrille "stationnée" dans le secteur le plus calme des îles britanniques, tandis que nos copains se font tuer dans le Sud.

Baudouin de Hemptinne, le 18 septembre 1940

Le 18 septembre 1940, après leurs premières escarmouches au-dessus d'Aberdeen, ils reçoivent des nouvelles des autres Belges engagés dans la Bataille d'Angleterre, dont l'enjeu, pour la Royal Air Force, est de conserver la maîtrise des airs afin d'empêcher les Allemands de débarquer leurs troupes en Grande-Bretagne.
Le 15 août, "(Maurice) Buchin est porté manquant", écrit Offenberg. "C'est le premier aviateur belge abattu au-dessus de l'Angleterre. (Jacques) Philippart, comme pour venger la mort de son ailier, a remporté trois victoires confirmées, ayant descendu trois (Messerschmitt) Me 110. Le 22 août, (il) intercepte (...) une formation au-dessus d'Exmouth à 20 000 pieds et parvient à s'adjuger une nouvelle victoire sur un Junkers 88. Le 25, son avion est touché et il saute en parachute au-dessus de la Manche. Ce n'est que le 28 à l'aube que son corps est rejeté par la mer, sur une plage de la côte sud".
"Rodolphe de Hemricourt de Grunne, qui se trouve avec Eugène Seghers au 32e Squadron, a remporté trois victoires consécutives", énumère-t-il encore. "C'est le 18 août qu'il a remporté sa troisième victoire sur un Dornier 17, en la payant chèrement cette fois. La chasse allemande le descend et il est grièvement brûlé. Seghers a été abattu en mer le 24 août. Il en a été quitte pour un bain forcé, remonte le lendemain au combat et remporte sa première victoire trois jours plus tard. Le capitaine van den Hove d'Ertsenrijck et le "Boy" Leroy du Vivier, du 43e Squadron, se sont distingués à leur manière en abattant chacun un Stuka, le 16 août, malgré un ciel assez nuagueux. (...) Le lundi 2 septembre, dans la matinée, le "Boy"est éliminé de la bataille ; son avion est descendu et il est blessé d'une balle dans la jambe".
Albert van den Hove d'Ertsenrijck a été tué six jours plus tard au-dessus d'Ashford, dans le sud-est de l'Angleterre, tout comme Georges Doutrepont, abattu le 15 septembre à Staplehurst. Le petit contingent belge a donc déjà payé un lourd tribut dans cette titanesque bataille aérienne... 
Baudouin de Hemptinne, lui, brûle d'envie d'en découdre. "On a dû nous affecter à une escadrille "stationnée" dans le secteur le plus calme des îles britanniques, tandis que nos copains se font tuer dans le Sud", déplore-t-il. "Moi aussi, je pense à tous ces copains qui participent avec tant de courage à cette lutte sans merci  et se font tuer bravement dans ce ciel dangereux", approuve Jean Offenberg qui va trouver son chef d'escradille, Adrian Boyd, pour réclamer une nouvelle affectation.
"Ah, c'est ça. Des sanguinaires dans mon escadrille. Des durs... Des gars qui aiment la bagarre", s'amuse le Squadron Leader britannique. "Tant mieux, c'est une raison supplémentaire pour que je souhaite vous garder avec moi. (...) Ne t'en fais pas "Pyker". Le transfert n'est pas nécessaire puisque, dans quinze jours, nous retournons sur le vieux territoire de chasse".
 

Sur le front aérien de la Manche  

Le 10 octobre 1940, le 145 Squadron est transféré à Tangmere, dans le sud de l'Angleterre.  "En Ecosse, le secteur était extrêmement calme et, tout à coup, sans transition, nous voici au centre de la plus grande mêlée aérienne de tous les temps", commente Jean Offenberg dans ses carnets. "Vers le sud, je sais qu'il y a une plage et, par-delà la mer, la côte ennemie. La Manche aux eaux glauques, cet immense bras de mer qui sépare deux mondes, sera dorénavant le ring où nous viderons nos mauvaises querelles".
Si les premières patrouilles débutent le jour même, le premier combat contre les Allemands survient dès le matin du 12 octobre. "Les Hurricane qui sont devant moi virent dans toutes les directions", relate Offenberg. "(...) J'entends les cris qui résonnent : "- Dégagez, dégagez !" (...). Un coup d'œil dans mon miroir. Un Messerschmitt ! Je vire avec brutalité à gauche, en piquant. Le Messerschmitt m'a manqué, mais il était temps de dégager. Un fraction de seconde supplémentaire et il me descendait. Le ciel est soudain terriblement peuplé. Je ne sais depuis combien de temps dure le combat. Dix minutes, quinze peut-être, mais cela me semble une éternité".

"J'ai mal aux oreilles, ma tête bourdonne et la sueur me plaque les vêtements au corps, malgré la température frigorifique qui règne à cette altitude
", décrit-il. "A deux reprises, j'ai pu tirer une courte rafale de deux secondes. Les Allemands dégagent maintenant et j'aperçois là-bas, beaucoup plus bas, la corolle d'un parachute ouvert qui descend. Le calme revient sur les ondes. Rassurante, la voix de Boyd rallie les sections et donne rendez-vous au-dessus de Selsey Bill".Le parachute était celui du sergent britannique Peter Thorpe. Il sera secouru en mer. Mais un autre sergent de l'escadrille, John Wadham, 21 ans, a été tué dans l'affrontement. "On a retrouvé son corps parmi les débris de son Hurricane. Il avait une balle de mitrailleuse dans la tête". 
Les combats s'enchaînent dans les jours qui suivent. Un pilote tchèque de 145 Squadron, Jiri Machacek, est abattu à son tour le 15 octobre, mais parvient à s'en sortir "à peu près sain et sauf" après avoir sauté au-dessus de la Manche, au large de Christchurch. "Il a reçu de nombreux éclats dans les jambes, mais en sera quitte avec quelques semaines d'hôpital", informe Offenberg.

Le Belge fraternise avec son commandant de flight, l'Australien Robert "Bob" Bungey, 26 ans, avec lequel il va prendre ses habitudes au Old Ship, un pub des environs. "Ses conseils sont précieux car il a beaucoup de combats à son actif et pendant (...) la soirée, accoudés au bar où trône la belle Nancy, nous discutons tactique de chasse, performances, Hurricane et Messerschmitt".
La Bataille d'Angleterre touche alors à sa fin, mais le secteur reste encore extrêmement dangereux.

Le 25 octobre, le Néo-Zélandais Robert Yule est blessé à son tour, lors d'un combat, en se posant en catastrophe à Tenterden, dans le Kent.
Baudouin de Hemptinne est contraint lui aussi à un atterissage forcé, en raison d'un problème moteur. "Il saute en dehors de l'habitacle, s'éloigne et deux minutes plus tard, son zinc prend feu", relate Offenberg.
 

La mort d'un frère

Puis vient la tragique journée du 27 octobre 1940... Ce jour-là Jean Offenberg décolle de Tangmere avec son escadrille au complet. Il fait partie de la Blue Section, aux côtés de ses amis Bob Bungey et Alexis Jottard . "A la verticale de Halton, (le chef d'escadrille) Boyd , qui voit terriblement vite, signale une dizaine de Messerschmitt quelques milliers de pieds plus bas", expose-t-il. "Je m'efforce d'être calme, mais mon cœur bat la chamade dans ma poitrine. Malgré mon masque à oxygène, je respire lourdement, comme si l'air manquait soudain à mes poumons".

Suivant son commandant, le 145 Squadron plonge tout entier vers l'ennemi. "Je rends la main afin de rester avec mon leader (Bungey). Là, devant, le n°2 de Boyd - c'est mon copain tchèque, Franck Weber - tire dans la queue d'un Messerschmitt, qui part aussitôt en demi tonneau brutal et s'abat. Au moment où j'arrive, les Messerschmitt, qui se sont dispersés, ont mis pleine gomme et grimpent à toute allure, sachant bien que nous ne pouvons leur tenir tête à haute altitude".
"Bungey les poursuit cependant tout en perdant du terrain sur eux", poursuit Offenberg. "De 600 mètres peut-être, espérant un coup de chance, je tire une très courte rafale sans effet sur un chasseur boche. Nous regrimpons jusque 30 000 pieds (9000 mètres d'altitude NDR) et Alexis (Jottard) m'annonce en termes peu réglementaires ce qu'il pense de nos foutus Hurricane. Ce n'est vraiment pas marrant de combattre aussi haut dans le ciel avec nos Hurricane. Ça gêle là-dedans".

Ils se trouvent désormais au dessus de la Manche, au sud de l'île de Wight. "Trois Messerschmitt qui nous ont ratés passent au-dessus de nos têtes et essayent de nous semer en mettant plein gaz", narre l'aviateur bruxellois."Bungey suit immédiatement. Je pique terriblement vite et je gagne l'un des Allemands à la course. Ma manette est à fond. La radio fait un tintamarre effroyable. "- A toi, à gauche, Pyker" ; "- Le bâtard !" ; "- Où est-tu Red 3" ; "-Hurrah, tu l'as eu !". Je n'écoute plus. Je n'entends rien. J'ai l'Allemand un instant dans le cercle lumineux du collimateur. Je suis à 300 mètres et donne une légère déflection. 200 mètres seulement , j'appuie sur le bouton des mitrailleuses  qui crachent leurs traceuses. Le Messerschmitt, touché sans doute dans un de ses réservoirs, explose et des pièces se détachent de la carlingue. De la fumée noire sort de son aile droite. Je perds conscience un instant. Mon casque serre ma tête à la faire éclater et mes oreilles font terriblement mal. Et puis, il ne reste que le ciel vide et quelques appels à la radio".

Jean Offenberg retourne se poser à Tangmere. A la descente de son cockpit, il apprend que trois pilotes du 145 Squadron manquent à l'appel, dont son copain Alexis Jottard, abattu au-dessus de l'île de Wight.

Il s'est toujours conduit comme un "brave cœur". S'il a quitté la France pour venir se battre en Angleterre, c'était avec l'espoir de contribuer à la délivrance de son pays, de sa famille et de sa fiancée.

Jean Offenberg à propos d'Alexis Jottard

Offenberg est effondré. "C'était mon meilleur ami", confie-t-il à l'aûmonier de la base aérienne le lendemain. "Il avait une telle confiance en moi qu'autrefois, nous avions même renouvelé le geste de Guillaume Tell. Il m'avait laissé tirer au revolver sur une pomme qu'il avait placé sur sa tête. Et puis, nous nous servions un peu de famille mutuellement. Nous sommes seuls, ici, en Angleterre...".
La nuit suivante, il écrit une lettre aux parents et à la fiancée d'Alexis Jottard, restés à Andenelles, en Belgique.

Il leur raconte leur périple en France puis en Afrique du Nord, leur arrivée en Grande-Bretagne et ce dernier affrontement fatal au-dessus de la Manche. "Ce fut pour moi une des plus grandes douleurs de ma vie. (....) Il s'est toujours conduit comme un "brave cœur". S'il a quitté la France pour venir se battre en Angleterre, c'était avec l'espoir de contribuer à la délivrance de son pays, de sa famille et de sa fiancée. (...) Moi-même, j'étais venu dans ce pays animé du même désir. Je dis "j'étais" car si un jour vous recevez cette lettre, je serai aussi sur la liste des "manquants" ou des "disparus".
 

Une trajectoire éphémère

Le 31 octobre 1940, les Britanniques estiment avoir remporté la victoire dans cette bataille aérienne sans précédent. L'Allemagne nazie a renoncé à son projet de débarquement et essuie son premier revers dans cette Seconde Guerre Mondiale.

Des combats, plus sporadiques, se déroulent encore les jours suivants. Le 1er novembre, Jean Offenberg abat ainsi un Messerchmitt Bf109 au dessus de Selsey Bill. C'est sa première victoire homologuée au sein de la Royal Air Force.Le lendemain, un de ses camarades du 145 Squadron, Dudley Honor - "un anglo-argentin parlant mieux l'espagnol que l'anglais" - l'amène en voiture pour photographier la carcasse de l'avion ennemi abattu.

"Le Messerschmitt est là", rapporte Offenberg. "Il ne semble pas abîmé du tout. C'est le moteur qui a été touché. Probablement ma première rafale. Le policier du village qui nous a rejoint et à qui Honor explique que c'est moi qui l'ai descendu, m'annonce qu'il a mis sous clés tout le matériel de l'Allemand. Il nous quitte sur sa bicyclette et cinq minutes plus tard, revient m'apporter le parachute, le casque, la Mae West (gilet de sauvetage NDR) du pilote. Il me passe tous ces objets et me les offres comme souvenir de guerre. Je n'ose refuser et puis cela me fait plaisir quand même d'être en possession de ces reliques. (...) Il paraît que le pilote était un chef d'escadrille, un "Herr Major" pour qui la guerre est terminée et qui est, paraît-il, un monsieur très bien". Il s'agit d'un certain Hermann Reiff-Erscheidt de la Jagdgeschwader 2 (JG2), désormais prisonnier de guerre.

Jean Offenberg accrochera encore d'autres victoires à son tableau de chasse lors de la phase suivante de la guerre aérienne, ces fameux sweeps ("balayages") ou Circus qui impliqueront de grosses formations de chasseurs accompagnées de bombardiers pour aller harceler les Allemands de l'autre côté de la Manche et frapper leurs positions dans le nord de la France.

Converti au pilotage du Spitfire, le Bruxellois intégrera, le 17 juin 1941, une nouvelle escadrille, le 609 Squadron, à Biggin Hill, en compagnie de son camarade Baudouin de Hemptinne. Ils retrouveront dans cette unité plusieurs compatriotes : François "Francis" de Spirlet, Eugène Seghers, Roger Malengrau, Willi van Lierde, Victor Ortmans, Raymond "Cheval" Lallemant, Jean de Selys-Longchamps, Louis van Arenberg...
Le lendemain, Jean Offenberg sera le premier Belge à recevoir la Distinguished Flying Cross (DFC), la 3e décoration militaire la plus élevée au Royaume-Uni, sur proposition du roi Georges VI. "Je ne crois pas que je la mérite", écrira-t-il seulement dans ses carnets.

Le 19 novembre 1941, le 609 Squadron quittera le front aérien pour la base de Digby, dans le centre de l'Angleterre. Jean Offenberg y mourra deux mois plus tard...
Le 22 janvier 1942, alors qu'il entraîne un nouveau Belge de son escadrille, Robert "Balbo" Roelandt, son Spitfire sera percuté accidentellement par celui du Britannique Godfrey De Renzi, du 92 Squadron, qui avait décidé, sans prévenir, de se joindre à eux pour simuler une attaque. Les deux pilotes seront tués sous le regard impuissant d'un Roelandt horrifié."Jean était le plus magnifique, le plus grand des nôtres", écrira Jean de Selys-Longchamps, un autre héros de l'aviation belge, qui entrera dans la légende, le 20 janvier 1943, en allant mitrailler l'immeuble de la Gestapo (police politique du IIIe Reich) en plein Bruxelles.    
   
La Belgique n'a pas oublié Jean Offenberg puisqu'une base aérienne à Florennes porte encore aujourd'hui son nom (on y trouve aussi le Musée Spitfire consacré aux pilotes de chasse belges).
A Laeken, sa commune natale, près du célèbre Atomium de Bruxelles, il existe aussi un rond-point "Jean-Offenberg" où a été dressé une stèle rendant hommage aux 28 aviateurs belge de la Bataille d'Angleterre.
A Dranouter, près de la frontière française, on trouve aussi, près de l'église, un mémorial en forme de dérive de Spitfire, dédié en partie à Baudouin de Hemptinne.
Dernier des trois pilotes belges du 145 Squadron pendant la Bataille d'Angleterre, il est mort quelques mois après Jean Offenberg, le 5 mai 1942, abattu par des chasseurs allemands lors d'une mission au-dessus de Lille.

► Cette série d'articles sur les pilotes de la Bataille d'Angleterre est désormais terminée. Mais rendez-vous bientôt, sur le site de France 3 Hauts-de-France, pour d'autres récits sur la Seconde Guerre Mondiale. 
 
SOURCES

Livres :
  • Victor Houart, Les carnets d'Offenberg
  • Mike Donnet, Les aviateurs belges dans la Royal Air Force
Articles :
  • Raymond Lallemant, La drôle de guerre dans notre ciel, dans Icare, Revue de l'Aviation Française - 1939-40 / La Bataille de France (volume VII : L'aéronautique militaire belge) - automne 1975
  • Xavier Janssens et André Dambly, Mémorial de l'aviation belge - Jean "Pyker" Offenberg, dans Les Vieilles Tiges de l'Aviation Belge
 ► Sites internet : A visiter :
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