EPISODE 20 - C'était il y a 80 ans. Le début de la Seconde Guerre Mondiale. La Belgique capitulait et la bataille de Lille s'engageait pour protéger l'évacuation des Alliés à Dunkerque. L'armée allemande commettait plusieurs massacres de civils et de prisonniers dans le Nord et le Pas-de-Calais.
A 4h du matin, l’armée belge dépose les armes sans prévenir ses alliés. Le roi Léopold III avait envisagé avec les Alliés de se replier sur l’Yser comme l’avait fait son père en 14/18 pour continuer le combat ou rembarquer une partie de son armée vers l’Angleterre.
Mais il semble que le souverain belge soit finalement convaincu de la victoire allemande.
La Belgique sera frappée de stupeur. Mais la faute d’un homme ne peut être imputée à la Nation tout entière.
Hubert Pierlot, Premier ministre belge.
Il choisit donc, seul, de cesser les combats. Le gouvernement belge en exil en France n’est pas averti. Le Premier ministre belge Hubert Pierlot déclare : "Passant outre aux avis formels et unanimes du gouvernement, le Roi vient d’ouvrir des négociations séparées et de traiter avec l’ennemi. La Belgique sera frappée de stupeur. Mais la faute d’un homme ne peut être imputée à la Nation tout entière".
Contrairement à la reine des Pays-Bas, le Roi des Belges reste en Belgique. Il est donc fait prisonnier et assigné à résidence dans son palais. 600 000 soldats belges sont faits prisonniers.
Depuis le 10 mai, 7500 soldats belges ont été tués et 15800 blessés. Pourtant leur armée tenait un front uni le long de la Lys. Des officiers supérieurs condamnent la décision du Roi.
Avec cette reddition, tout le front de la Lys s’écroule. Les Allemands peuvent se précipiter pour encercler Lille.
Un étroit corridor pour rejoindre Dunkerque
A Téteghem, près de Dunkerque, la famille de Jacques Duquesne n’est pas au courant de la reddition belge. La petite maison qu'ils habitent est trop près de la limite du camp retranché de Dunkerque.
Pour se mettre davantage à l’abri, à pied, elle prend la route pour Ghyvelde, à la frontière belge sous la menace des Stukas : "Parfois, abandonnant notre charrette à bras, nous courions nous étaler sur l’herbe naissante des prairies quand surgissaient les avions à croix de fer et croix gammée, mitrailleuses en action. Mais ces chasseurs nous abandonnaient vite, cherchant d’autres gibiers, à leurs yeux plus importants".
Le général de la Laurencie organise ce qui reste de la 1ère Armée française pour la faire évacuer par Dunkerque.
Un étroit corridor d’à peine 15 kilomètres de large subsiste pour rejoindre la côte. Pour maintenir ce corridor, des Britanniques se battent du côté de Cassel alors que la 2e division légère motorisée française mène des combats d’arrière-garde pour empêcher les Allemands de rattraper les troupes en retraite.
De la Laurencie donne donc l’ordre de passer la Lys avant la nuit : "Rester là cette nuit encore, c’est la quasi-certitude de se voir cerné et réduit à la capitulation. Rallier Dunkerque, c’est y échapper. Pour cela, il faut à tout prix dépasser Poperinge avant le jour. C’est un gros effort à demander aux troupes qui n’en peuvent plus. Mais c’est la seule chance de salut ".
Deux colonnes se forment, protégées par des auto-mitrailleuses. Seuls les canons de 75 sont emportés. Les plus gros canons sont détruits pour ne pas tomber entre les mains allemandes. Itinéraire : Armentières, Bailleul, Poperinge en Belgique et Hondschoote. Impossible de prendre le chemin le plus court, les combats font rage autour d’Hazebrouck, Cassel et Wormhout.
Au Quartier Général français de Steenwerck, Marc Bloch prépare donc son départ. "J’avais déjà, dans la journée, brûlé, conformément à nos instructions, mes archives, y compris le cahier sur lequel était inscrite, au jour le jour, toute l’histoire de mon service… Je précipitai également, dans le fourneau de la popote, ma correspondance personnelle". Il laisse là le général Prioux, celui qui avait tenu tête aux Panzers à Hannut en Belgique, 15 jours auparavant.
Le général Prioux sera fait prisonnier le lendemain avec une partie de son Etat-major.
Marc Bloch quitte Steenwerck en fin de journée : "Nous partîmes donc dans la nuit, en une longue et lente colonne d’autos, qui se glissa à travers le territoire belge : car les routes françaises étaient déjà coupées. Au petit jour, nous avions à peine fait une dizaine de kilomètres. Comment avons-nous réussi à échapper aux éclaireurs motorisés de l’ennemi ? Encore aujourd’hui, je me l’explique mal".
La bataille de Lille commence
L’équivalent de 3 divisions d’infanterie françaises ne peuvent se dégager à temps et se retrouvent encerclées dans Lille. Le général Molinié, celui qui avait tenté une contre-attaque à Cambrai le 22 mai, organise la défense de la ville.
Pas de chance, en quittant Lille, les Britanniques ont fait sauter le central téléphonique compliquant les communications des Français. Les Allemands attaquent le Faubourg des Postes en début de matinée. Mais le sort sourit enfin aux Français. Un lieutenant fait prisonnier le général allemand Kühne, commandant la 253e division. Sur l’officier allemand, il trouve le plan d’attaque de Lille. Les Allemands arrivent par l’ouest.
La bataille aura donc lieu de Lambersart à Haubourdin en passant par Sequedin, Loos, le faubourg d’Arras et le Faubourg des Postes. Elle va opposer 40 000 Français et une cinquantaine de chars à 130 000 Allemands et 435 blindés, d’après l’historien Dominique Lormier. L’issue de la bataille ne fait aucun doute alors...
Les Français tentent de rompre l’encerclement en prenant les ponts sur la Deûle à Haubourdin et près de la prison de Loos. Seules des troupes motorisées retranchées dans Lambersart et Lomme réussissent à s’échapper vers Armentières. Ailleurs les Allemands sont déjà trop avancés.
Vers 16h30, les Français font sauter tous les ponts sur la Deûle sauf celui du pont du Moulin Rouge à Haubourdin et celui de l’Abbaye, près de la prison de Loos. Les prisonniers de la centrale en profitent pour s’échapper, certains viennent prêter main-forte aux combattants français.
A Sequedin, autour de l’hôpital de Loos, près de l’Eglise d’Haubourdin, de l’Orphelinat Saint-Augustin ou au Faubourg des Postes, les filatures, usines et remblais de chemins de fer sont transformés en point de résistance. C’est le début de trois jours de combats de rue, au milieu d’habitants et de réfugiés non évacués. Parfois les Allemands, à la recherche de francs-tireurs, font sortir les civils des abris pour les abattre.
Au pont du Moulin Rouge, des blindés français parviennent à franchir la Deûle. Des tirailleurs tunisiens tentent d’élargir cette tête de pont. Ils tiendront toute la nuit mais devront se replier au petit matin.
Les soldats allemands poursuivent leur route sanglante
Ce mardi 28 mai, 48 civils sont abattus à Beuvry, 124 à Oignies, Courrières et Wahagnies.
A Oignies, les Allemands sont bloqués depuis deux jours aux portes de la ville minière défendue par un régiment de Zouaves, des tirailleurs marocains et quelques unités
britanniques.
Les Français ont reçu l’ordre de résister le plus longtemps possible pour couvrir la retraite de troupes alliées vers Dunkerque. Les pertes sont lourdes des deux côtés.
Vers 7h du matin, les Allemands pénètrent dans la ville minière. Ils poussent devant eux des civils, y compris des femmes et enfants, comme boucliers humains. Sous prétexte de chercher des francs-tireurs, ils fouillent les maisons, rue par rue. Les hommes découverts sont parfois abattus devant leur famille. Les maisons sont détruites à la grenade et au lance-flamme.
Lorsque les Allemands arrivent place de la Mairie, ils mitraillent des civils. Les corps seront entassés dans la cour du château De Clercq, les Allemands y mettent le feu. Les soldats français, marocains ou britanniques blessés trop gravement pour marcher sont achevés.
La barbarie des soldats allemands sera telle qu'Oignies sera déclarée après-guerre "première cité martyre de la campagne de France". Cette fois pourtant, il ne s’agit pas de SS, mais de soldats réguliers de la 267e division d’infanterie de la Wehrmacht.
Malheureusement, ce 28 mai n’en a pas fini avec les massacres... Plus au nord, la division SS Leibstandarte Adolf Hitler en termine avec les dernières poches de résistance autour de Cassel et Wormhout. En fin d’après-midi, à Esquelbecq, le soldat français Robert Vanpee monte la garde près d’une ferme transformée en dépôt de munition. Il aperçoit un char qui approche. Il tire et tue un des SS juchés sur le blindé.
Robert Vanpee est finalement fait prisonnier, mais emmené dans un champ, il est abattu par les Allemands. Son corps sera retrouvé dans une fosse commune en 1941 et inhumé à Esquelbecq en tant que soldat inconnu. Il fut finalement identifié en juin 1998 grâce aux recherches d’un passionné d’histoire locale, Guy Rommelaere.
Juste à côté de la ferme où est tué le soldat Vanpee, des SS escortent, jusqu’au lieu-dit La-Plaine-au-Bois, environ 100 soldats britanniques faits prisonniers dans la journée. Les Britanniques sont enfermés dans un abri à vaches dans lequel les SS jettent des grenades.
Deux officiers britanniques se précipitent sur les engins explosifs pour protéger leurs hommes en faisant écran de leur corps.
Les SS font sortir les survivants pour les abattre. Quelques Britanniques parviennent à s’enfuir, certains seront soignés et cachés par des fermiers. Deux d’entre eux courent jusqu’à une mare pour s’y cacher. Il s’agit du soldat Albert Evans et de son capitaine Lynn Allen.
Malheureusement, un SS les a suivis. Il abat le capitaine mais ne trouve pas Albert Evans. Blessé au bras, celui-ci sera arrêté plus tard par des soldats de la Wehrmacht qui l’emmèneront dans un poste sanitaire pour être soigné. Lorsque les SS quittent les lieux, 80 soldats britanniques gisent près de l’abri à vaches.
Wilhelm Mohnke, le commandant des SS sera fait prisonnier plus tard par les Soviétiques. Libéré en 1955, il a toujours nié avoir donné l’ordre du massacre. Il est mort à l'âge de 90 ans, sans avoir été jugé, en 2001 à Hambourg, en Allemagne.
Albert Evans, le dernier soldat anglais survivant de ce massacre est mort en octobre 2013 à Birmingham à l’âge de 92 ans. Ses cendres ont été dispersées près de la mare où il s’était caché avec son capitaine.
A Dunkerque, les "Little Ships" appelés à la rescousse
Ce 28 mai, le commandant en chef des forces britanniques reçoit l’ordre d’embarquer toutes ses troupes vers l’Angleterre, y compris celles qui défendent le camp retranché de Dunkerque. Les Français embarquent également. En une journée, 3000 d’entre eux sont évacués par le port.
Mais ces embarquements créent des tensions entre les Britanniques et les Français. Le matelot Pierre Paillon témoigne : "Les indésirables non britanniques, qui ont réussi à trouver des places sur les bateaux de la Navy et qui refusent de descendre sont poussés à la mer, sans ménagement". Le commandant en chef britannique, Lord Gort, convoque le colonel Humbert, chef d’Etat-Major français pour lui dire que "chaque Français embarqué est un Anglais de perdu".
Finalement, un accord sera trouvé, la Marine britannique s’engageant à embarquer 5000 soldats français par jour.
Mais les Marines britannique et française souffrent pendant ces évacuations. Dans la nuit du 28 au 29 mai, un convoi de 7 navires alliés quitte le port, 5 seront coulés : deux seulement, un norvégien et un français, arriveront à Cherbourg.
Pour faire la navette entre les plages et les grands navires qui restent au large de Dunkerque, les Britanniques ont l’idée de faire venir tous les navires civils du sud de l’Angleterre, les fameux "Little Ships".
Dans la soirée, un appel sur les ondes radio de la BBC est lancé. Dans les heures qui suivent une véritable armada prend la mer : des petits bateaux privés, yachts, ferry-boats, bateaux de plaisance, chalutiers…
370 embarcations de toutes sortes vont assurer le transport des soldats des plages jusqu’aux bâtiments militaires qui mouillent au large.
Aux limites du camp retranché, 6000 Britanniques et 30 000 soldats français avec 39 chars protègent l’Opération Dynamo face à 160 000 allemands et une centaine de chars.
De Gaulle lance une offensive à Huppy
A 16h45, à Huppy dans la Somme, près de 6000 obus français s’abattent sur les Allemands positionnés autour du village.
De Gaulle attaque avec ses chars. La veille au même endroit, des chars anglais ont été taillés en pièces par les Allemands.
L’objectif du général de Gaulle est de reprendre Abbeville et soulager la pression allemande sur les défenses de Dunkerque. Encore une fois le blindage des chars B1 bis fait merveille.
Certains avancent et écrasent sous leurs chenilles les mitrailleuses des soldats allemands malgré les obus qui s’écrasent sur eux. Dans le livre Comme des Lions, l’historien Dominique Lormier rapporte le témoignage de soldats allemands survivants : "Alors que la veille les blindés légers britanniques étaient détruits à 600 mètres, ces colosses français au blindage épais sont indifférents aux impacts, même à courte distance. Malgré les coups directs, jusqu’à 10 et 20 à la suite, les obus ricochent. Ces monstres insensibles continuent d’avancer : les pièces anti-chars sont laminées".
A 21h15, faute de munitions et de carburant, les chars B1 bis se replient. L’absence presque totale de moyens de transmission oblige les officiers français à communiquer grâce à des estafettes à moto.
A 21h30, Huppy est conquis. Le village de Caumont également, après des combats acharnés. Faute de communications efficaces, de Gaulle ignore que le front allemand est enfoncé.
Les Français ont fait 200 prisonniers et les unités allemandes battent en retraite. La victoire est à portée de main mais le général ne le sait pas. L’offensive est suspendue. Elle doit reprendre le lendemain dès 4 heures du matin...
► La suite de notre série demain avec la journée du 29 mai 1940. Vous pouvez relire les épisodes précédents dans le récapitulatif ci-dessous :