La municipalité d'Abbeville dans la Somme avait pour projet de proposer un congé menstruel à ses employées. La sous-préfecture s'y oppose, car aucun texte de loi n'encadre pour l'instant cette disposition. Trois autres avancées pour la reconnaissance de la santé menstruelle des employées ont tout de même pu être votées.
En juillet dernier, quatre propositions visant à prendre en compte la santé menstruelle des employées de la mairie d'Abbeville ont été adoptées par le conseil municipal. L'une d'entre elles prévoyait l'instauration d'un congé menstruel : jusqu'à deux jours de congés chaque mois pour les femmes souffrant de règles très douloureuses. Ce congé aurait été pris en charge par la collectivité.
Mais la sous-préfecture d'Abbeville en a décidé autrement, signifiant l'illégalité de cette proposition en l'absence de loi encadrant les congés menstruels. La mairie a donc dû faire marche arrière lors du conseil municipal du 18 septembre.
Les trois autres propositions, instaurant la possibilité du télétravail, l'adaptation de certains postes de travail et l'aménagement du temps de travail en cas de règles douloureuses, seront appliquées à partir du 1er janvier 2024.
La mairie déçue, mais déterminée
C'est à la suite d'une réflexion menée sur l'endométriose, maladie qui touche 2,5 millions de femmes, que Michelle Delage, adjointe à la mairie d'Abbeville déléguée à la santé et Pascal Demarthe, maire de la commune, décident de mener une réflexion pour mieux prendre en compte cette difficulté mensuelle.
"Cela nous a permis de voir qu'il y avait des choses à améliorer", concède Michelle Delage. La municipalité élabore donc les quatre propositions votées à l'unanimité lors du conseil municipal du 10 juillet 2023, dont le congé menstruel. Aujourd'hui, la décision de la préfecture surprend l'adjointe, mais l'équipe municipale ne renonce pas, malgré la déception initiale.
"Nous avons adopté un vœu qui va être envoyé à Elisabeth Borne et à tous les parlementaires, détaille Michelle Delage. L'Espagne applique déjà le congé menstruel, l'Italie va le proposer, il faut faire avancer les choses. Je ne sais pas si cela marchera, mais nous ferons tout ce qui est possible."
"Aujourd'hui, c'est un petit cercle de pays qui l'a adopté, constate le maire Pascal Demarthe. Je pense que la France doit le rejoindre et être force de proposition par rapport à cette question. Nous aurions aimé l'expérimenter, dans l'attente. C'est pour cela que si d'autres villes de France veulent rejoindre notre action, nous sommes prêts à faire partie d'un collectif qui pourra inciter, inviter et pourquoi pas faire pression sur les parlementaires pour légiférer sur cette question."
Pascal Demarthe se dit confiant et plein d'espoir quant à l'évolution de sa proposition.
Prendre en compte la santé des femmes
Le Japon, la Corée du Sud, l'Espagne ou encore la Zambie proposent des congés menstruels sous différentes formes, sans solde ou rétribués. Trois propositions de lois sont actuellement en cours d'élaboration à l'Assemblée Nationale et au Sénat. La municipalité de Saint-Ouen-sur-Seine, dans l'agglomération parisienne, mène un travail préparatoire pour l'expérimenter. La ville de Strasbourg annonçait dernièrement sa mise en place à partir de janvier 2024.
À Abbeville, une vingtaine d'employées ont exprimé leur souhait de bénéficier des nouvelles possibilités de télétravail et d'adaptation des postes à partir de janvier. Le chantier ne fait que commencer, car "c'est complexe, avec tous les différents types de métiers de la collectivité, souligne Michelle Delage. Il y a des gens qui travaillent en extérieur, des personnes dans les bureaux... Une agent d'entretien ne peut pas emporter son travail à la maison par exemple, donc il faudra plutôt trouver une solution pour adapter ses horaires."
Des entretiens vont avoir lieu entre la responsable des ressources humaines de la mairie et les employées pour trouver des solutions adaptées à chacune.
"Je pense que ce sujet, avant, était tabou, maintenant les femmes se libèrent et en parlent de plus en plus"
Manon Peyré, encadrante technique d'insertion
Cette démarche est saluée par certaines équipes, où c'est pour l'instant la débrouille qui aidait à faire face aux problèmes liés aux menstruations. Manon Peyré est encadrante technique d'insertion et sur son chantier espace vert, l'équipe comprend de nombreuses femmes. "On n'a pas forcément accès aux toilettes, en fonction de là où on se trouve, on essaie de s'arranger pour trouver les lieux publics, observe Manon Peyré. Certaines femmes ont des règles douloureuses et on fait un métier physique, donc on doit être au boulot, pas forcément en forme, sans trop le montrer. Ça peut vite devenir compliqué pour certaines."
Manon Peyré s'implique dans le projet de la municipalité, car "ça fait aussi progresser les mentalités. Je pense que ce sujet, avant, était tabou, maintenant les femmes se libèrent et en parlent de plus en plus." Avis partagé par le reste de l'équipe municipale, qui entend bien porter le débat jusqu'aux législateurs.