Face à la concurrence d'Amazon et des grandes surfaces, le plus vieux commerce d'Abbeville ferme ses portes après 150 ans d'existence

La librairie papèterie Cufay-Plein Ciel, située dans l'hypercentre d'Abbeville depuis 1873, fermera ses portes le 7 septembre. Cinq générations se sont succédé à la tête de ce commerce. Mais si la boutique disparait, l'entreprise continue d'évoluer et se consacre désormais à l'export international de manuels et fournitures scolaires.

C'est l'endroit idéal pour trouver le dictionnaire franco-anglais dans l'édition demandée par le professeur, faire le plein de papier Canson pour les cours d'arts plastiques, ou encore choisir le tant redouté cahier de vacances. Mais à partir du 7 septembre, les Abbevillois devront se rabattre sur d'autres commerces.

Une enseigne historique qui a survécu à la guerre

La librairie papèterie Cufay-Plein Ciel fermera ses portes et disparaitra ainsi du paysage après 151 ans d'existence. Créée en 1873, elle a fourni des générations entières à la fois en livres, mais aussi en matériel scolaire. Avant même que l'instruction ne soit rendue obligatoire par la loi de Jules Ferry ! "Ce sont mes aïeux qui ont créé la librairie, ils sont arrivés à Abbeville avec l'idée de vendre des libres et de la papèterie aux écoles. La librairie existait depuis encore plus longtemps sur Lille, mais ils ont été expropriés et mon arrière-arrière-grand-oncle a posé ses valises ici, puisqu'il n'y avait pas de librairie à Abbeville, explique le gérant, Thierry Damagnez. C'est l'une des plus vieilles entreprises abbevilloises, je suis moi-même la cinquième génération !" 

De l'histoire de sa boutique, il conserve précieusement quelques reliques. Des photos, bien sûr, mais aussi un catalogue de 1891, dans lequel on trouve le détail des fournitures et de leur prix. Papier à dessin de différents formats et différents grammages, encre de Chine, compas, cahiers... Les références étaient déjà nombreuses.

Un souvenir particulièrement rare, puisque beaucoup d'objets d'époque ont été détruits pendant la Seconde Guerre mondiale : le magasin a été rasé en 1940. La boutique a dû déménager un temps à quelques rues de là, pour rouvrir rapidement. Thierry Damagnez a d'ailleurs conservé la lettre que son aïeul a adressée à ses clients pour les informer. "J'ai l'honneur de vous faire savoir que j'ai repris mon activité commerciale (...), écrit-il. J'espère que vous voudrez bien continuer à m'honorer de votre confiance. Ma librairie est transférée 10, Place Clémenceau. (...) Désireux de contribuer dans la plus large mesure possible à la reprise économique, je m'efforcerai de vous donner satisfaction comme par le passé, dans la limite de mes moyens."

Diversifier l'activité pour survivre

"C'était le début du marketing, sourit Thierry Damagnez. Dans les années 50, ils sont revenus à l'ancienne adresse." Lui a repris l'affaire familiale dans les années 1980, et a fait grandir l'entreprise en s'attaquant à d'autres marchés. "On a développé l'activité de vente aux écoles, d'abord dans le département, puis dans la région, et sur le territoire national, notamment sur Paris et dans le sud-ouest. Et depuis les années 2000, on exporte énormément dans le monde entier, notamment aux États-Unis et au Canada." Il fournit ainsi principalement des livres et fournitures à des établissements scolaires ou des associations de parents d'élèves. 

Je suis triste de devoir abandonner ce magasin, maintenant, il y a des conditions économiques qui font que c'est compliqué. (...) Le magasin de détail ne représentait plus que 2 % de notre activité. Mais l'entreprise, elle, continue, perdure et se développe.

Thierry Damagnez, gérant de la librairie

Des produits stockés et préparés dans un site industriel acquis en 1999. Une stratégie qui a payé, car dans le même temps, la vente au détail s'est effondrée. C'est ce qui l'a poussé à prendre la décision de fermer la boutique du centre-ville. "Je suis triste de devoir abandonner ce magasin, maintenant, il y a des conditions économiques qui font que c'est compliqué, confie-t-il. Avec la concurrence d'internet, d'Amazon, des moyennes surfaces en sortie de ville... On est un peu dans la situation des quincaillers ou des droguistes il y a 20 ans, qui ont été obligés de fermer leurs portes." S'il admet qu'il a fait ce choix "un peu à contrecœur", il reste optimiste sur l'avenir de son entreprise. "Je suis content d'avoir développé l'entreprise, qu'elle ne meurt pas. Le magasin de détail ne représentait plus que 2 % de notre activité. Mais l'entreprise, elle, continue, perdure et se développe." 

La preuve : elle reste dans le top 10 des vendeurs de livres en France, et cette activité permet d'employer aujourd'hui 20 salariés permanents. L'été, des intérimaires viennent également grossir les rangs pour la saison, jusqu'à 60 personnes certaines années, comme lorsqu'une réforme de l'Éducation oblige les acteurs du secteur à renouveler leurs manuels scolaires. 

Une page qui se tourne pour la commune

Et de la boutique, il restera toujours à Thierry Damagnez ses souvenirs d'enfance. "Quand j'étais tout petit, il n'y avait pas encore les grandes surfaces, il y avait la queue à l'extérieur du magasin ! C'était noir de monde et la queue remontait dans la rue Saint-Vulfran, se souvient-il. Tout ça a disparu doucement avec l'apparition d'abord des grandes surfaces, puis des autres formes de concurrence. Heureusement, on a su doucement se réorienter.

Comme lui, de nombreux Abbevillois conserveront en mémoire la grandeur de cette librairie papèterie. Une cliente, qui venait déjà acheter ses manuels scolaires ici lorsqu'elle était adolescente, vient encore se promener parmi les rayons, moins d'un mois avant la fermeture. "Ça fait un peu mal au cœur, parce qu'il y a beaucoup de magasins sur Abbeville qui ferment, et c'est vrai que dans ces librairies, on trouve toujours du conseil, ce qu'on n'a pas forcément dans les grandes surfaces !", confie-t-elle. Une autre habituée confirme : "On connait le personnel, on a les bons conseils... Ils prennent le temps de nous expliquer, de nous guider, ce qu'on ne trouve pas parfois ailleurs !", dit-elle. Elle trouve ça "dommage" de devoir se résoudre à aller se fournir dans d'autres magasins ou à commander sur internet. 

"C'est un crève-cœur de voir cette enseigne historique disparaître de notre centre-ville, estime également Pascal Demarthe, le maire d'Abbeville. On est très attachés aux commerces qui sont inscrits dans l'histoire de notre ville." Il assure que l'équipe municipale sera vigilante quant au repreneur de ce local. "Dans l'hypercentre, nous sommes dans un périmètre protégé au titre du plan local d'urbanisme, qui a été modifié au printemps dernier et qui permet d'interdire certaines enseignes de s'y installer. C'est ce que nous souhaitons, car nous avons été labellisés "action cœur de ville", et cela donne des obligations, comme la redynamisation du centre-ville, en faisant attention d'y implanter des commerces 'traditionnels'. Certains types de commerces, comme le service à la personne, ne pourront pas s'installer là", précise-t-il. Alors qui prendra la place de cette enseigne emblématique ? Le maire émet quelques hypothèses : un marchand de chaussures, des magasins d'habillement, une boutique de déco... ou pourquoi pas, une nouvelle librairie ?


Avec Ambre Crozet / FTV

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