Plus d’un an après la fin des travaux à l’hôpital d’Abbeville, la direction inaugurait, lundi 15 janvier, son nouveau bâtiment principal. 12 000 m² de locaux et des services élargis pour un budget de 47 millions d’euros. D’après les syndicats, qui ont relevé 70 000 heures supplémentaires en 2023, les soignants ont été oubliés dans le devis.
Tout est prêt pour accueillir les visiteurs. Lundi 15 janvier, la direction du centre hospitalier d’Abbeville a inauguré son nouveau bâtiment principal, plus d’un an après la fin des travaux de la phase 1. Une centaine de personnes se pressent dans le hall d’accueil : des élus du département de la Somme, des représentants de l'agence régionale de santé, les financiers et partenaires du projet ainsi que des équipes de médecins et de soignants. Après les discours de présentation du projet et les remerciements, place à la visite des locaux qui s’étendent sur 12 000 mètres carrés.
Un nouveau bâtiment principal
Un nouveau service d’accueil des urgences incluant un service pédiatrique, un bloc opératoire et obstétrical modernisé, une unité polyvalente de soins continus, un nouveau service de réanimation et une maternité flambant neuve. Ce bâtiment, entièrement reconstruit dans la prolongation de l’hôpital existant, offre des locaux plus spacieux et un accueil amélioré pour les patients et les soignants, d’après la direction de l’établissement.
"Les conditions de travail sont exceptionnelles. Et pour les patients, c’est un vrai confort. Les gens attendaient beaucoup. Même si on avait suffisamment de médecins et de soignants, nous n’avions pas assez de salles pour les soigner aux urgences. À la maternité, c’est pareil. Pour garder le papa avec sa parturiente, il fallait qu’il sorte et qu’il rentre. Maintenant, il y a plus de places dans les chambres et il peut rester avec elle, sur une banquette. En pédiatrie, on peut doubler les chambres. En hiver, c’est plus pratique parce qu’on a plus de patients. Les locaux sont bien plus adaptés", explique le docteur Michel Kfoury, Président de la Commission médicale d’établissement du centre hospitalier d’Abbeville.
Un cumul de 70 000 heures supplémentaires en 2023
Ce bâtiment moderne accueille et oriente les patients dès leur entrée dans le hall grâce à une signalétique et les locaux ont été repensés pour un budget de 47,5 millions d’euros. Le projet a été financé grâce à des aides de l’agence régionale de santé à hauteur de 21 millions d’euros et de l’Union européenne et de la région Hauts-de-France, à hauteur de 3,9 millions d’euros. Un financement nécessaire pour l’hôpital public, mais qui, d’après les syndicats, ne prend pas en compte "l'humain qui y travaille".
Ce matin du lundi 15 janvier, au moment de l’inauguration de leur hôpital, une quarantaine de soignants, réunis par la CGT, manifestaient à l’extérieur pour faire entendre leur voix. Certains sortaient de leur garde de nuit. Pour eux, il y a urgence.
Si la direction ne s’engage pas à augmenter notre masse salariale, les effectifs seront toujours sur-sollicités
Pascal Maccrez, secrétaire général CGT du centre hospitalier d'Abbeville et aide-soignant
Le syndicat a recensé 70 000 heures supplémentaires effectués par les infirmières et aides-soignantes en 2023, dont 40 000 n’ont pas été payées. "Le projet de modernisation est une bonne chose pour le bassin abbevillois et pour le personnel. On a de nouveaux locaux, l’établissement a été modernisé, mais l’impact économique est important sur la masse salariale. Et cela a commencé il y a six ans, quand on nous a retiré une partie de nos RTT. Et sur le dernier bilan social, ce sont 70 000 heures supplémentaires. Ce sont des heures faites en trop. Cela démontre qu’il manque du personnel : 45 postes à l’hôpital d’Abbeville. Si la direction ne s’engage pas à augmenter notre masse salariale, les effectifs seront toujours sur-sollicités", explique Pascal Maccrez, secrétaire général de la CGT du centre hospitalier d’Abbeville et aide-soignant.
Le syndicat dénonce également une augmentation des "ratios patients/soignants". "À la dernière organisation de la direction, nous sommes passés de 30 patients à 45 sans hausse du personnel. La nuit, dans un service de médecine, cela veut dire 45 patients pour deux infirmières et un aide-soignant. Ce n’est pas suffisant. Il ne faut pas oublier que le patient ne dort pas toute la nuit. Il faut lui prendre ses constantes, pratiquer les examens, surveiller", ajoute l’aide-soignant.
Un budget au point mort pour les recrutements
De son côté, la direction, que nous avons interrogée à l’issue de l’inauguration, explique que les recrutements sont impossibles à l’heure actuelle. "Le problème n’est pas local. Tous les établissements publics comptabilisent des heures supplémentaires. Cela est dû à l’absentéisme que nous résorbons grâce à des remplacements de personnels déjà salariés. Mais je ne peux pas créer de postes là où je n’ai pas le budget. Nous sommes en déficit. L’idée est de travailler sur une moindre sollicitation avec les heures supplémentaires en réorganisant des services. Nous avons déjà des pistes à ce sujet", affirme Corinne Seneschal, directrice du centre hospitalier.
Les heures supplémentaires cristallisent les tensions. En plus du paiement de ces heures majorées, le syndicat réclame le respect à la déconnexion pour les agents qui sont souvent rappelés sur leur temps de repos pour remplacer un collègue absent. "D’une part les heures supplémentaires ne sont pas payées, mais en plus, elles ne sont pas récupérées. Cela veut dire que les soignants ne peuvent pas partir en vacances en famille ou simplement profiter de leurs jours de repos", déplore Pascal Maccrez.
J’ai obtenu de pouvoir payer 20 % des heures supplémentaires
Docteur Michel Kfoury, président de la commission médicale d'établissement du centre hospitalier d'Abbeville
Selon le président de la commission médicale, Michel Kfoury, les candidats aux remplacements ne se bousculent pas. "L’administration de l’hôpital ne recrute pas de CDI et les CDD sont introuvables. Il est très difficile de recruter des soignants pour une période donnée. Mais j’ai obtenu de pouvoir payer 20 % des heures supplémentaires. Et on va réussir à aller jusqu’à 50 %".
Phase 2 des travaux en 2024
D’autres travaux sont prévus dans une phase 2 de la rénovation de l’hôpital. Les travaux devraient débuter en 2024. Cette nouvelle étape prévoit la construction d’un nouveau bâtiment qui accueillera, sur quatre niveaux, les consultations et 120 lits d’hospitalisation, ainsi qu’un plateau unifié de consultations au rez-de-chaussée. Il sera construit dans la continuité du bâtiment principal, pour remplacer des locaux anciens.
Des locaux en centre-ville d’Abbeville seront, par ailleurs, rénovés pour regrouper en un même site l’ensemble des activités ambulatoires de psychiatrie. Le coût total de cette phase deux est estimé à un peu plus de 40 millions d’euros, dont 50% seront financés dans le Ségur de la santé. Le recrutement de soignants n’est pas prévu dans le budget de l’ARS qui, par la voix de son directeur général des Hauts-de-France, nous expliquait, lors de la cérémonie, que les budgets ont été accordés à la direction pour les travaux et que l’agence ne prévoyait pas d’autres frais.
Les soignants, eux, doivent donc continuer à travailler dans l'hôpital en tension, mais ils espèrent que leurs revendications seront entendues rapidement.