À 74 ans, l’humanitaire Guy de la Motte Saint-Pierre se bat contre la préfecture de la Somme pour la régularisation d’un immigré guinéen, avec qui il vit depuis trois ans et pour qui il a entamé une procédure d’adoption. Entretien.
Il est une figure des mondes artistique et solidaire amiénois. Guy de la Motte Saint-Pierre a travaillé avec Mère Teresa, a vécu quatre ans dans les bidonvilles en Inde avec l’association Frères des hommes, et poursuit depuis juin 2006 ses aventures humaines à Amiens, dont il a présidé pendant 9 ans le festival de bande dessinée.
Lié d’amitié avec deux immigrés menacés d’expulsion, Boubacar et Sidiki, il se bat aujourd’hui pour leur régularisation et, comme l’annonce une pétition sur la plateforme change.org, se prépare à entamer une grève de la faim.
France 3 HDF : Comment avez-vous connu Boubacar et Sidiki ?
Guy de la Motte Saint-Pierre : En 2017, j’ai vu sur internet un appel au secours du Réseau solidaire amiénois, qui cherchait des personnes pouvant héberger quarante gamins à la rue pendant les vacances de Noël. J’ai de l’espace, alors j’ai répondu. Le 23 décembre, j’ai vu débarquer deux gamins de 15 ans : Boubacar, qui avait fait le trajet via Lampedusa, et Sidiki, un parcours encore plus dur, emprisonné, torturé, trois mois d’esclavage en Syrie...
Le contact a été bon et, à la fin des vacances, j’ai proposé qu’ils reviennent chez moi chaque fois que les internats ferment. Mais je leur ai fait passer un entretien devant France Terre d’asile qui, c’est étrange, a décidé que Sidiki était mineur mais Boubacar majeur. Sidiki a été hébergé ailleurs. Seul Boubacar, refusé par l'Aide sociale à l'enfance, est resté chez moi.
Quels liens avez-vous tissés ?
Une bonne histoire s’est mise en place entre nous. Boubacar a fait ses études à l’Acheuléen, où il a réussi son CAP avec félicitations, son BEP avec compliment, et maintenant il prépare son Bac Pro… Un voyou quoi, comme moi ! (rires) Il est demi-pensionnaire et on vit ensemble. Au bout de trois ans, puisqu’il n’a pas de famille en Guinée, je lui ai proposé de devenir son père adoptif. Je lui ai demandé de réfléchir. Au bout d’un moment, il est venu me voir : (voix rustre) "Ouais, ouais, j’accepte la proposition."
On était très content. On vit déjà comme un père et un fils. Quand je parle de lui, je parle de mon fils. Après, c’est juste un papier administratif. Et en France, l’administration, c’est pas la joie. Si vous rajoutez la Guinée, c’est deux fois pas la joie. La demande est constituée auprès d’un notaire et il reste à obtenir un acte de naissance de moins de trois ans en Guinée. Galère…
Sidiki, lui, a eu sa licence à l’UPJV et entame un master. Je l’avais accompagné, il y a trois ans, pour améliorer son français. Des liens d’amitié là aussi très forts se sont créés.
La préfecture s’acharne à vouloir expulser Boubacar. Expliquez nous.
Nous avons fait des demandes partout pour sa régularisation. On voulait répondre au mieux aux exigences - que je trouve légitimes -, qu’ils puissent s’intégrer. Ca nous paraissait tellement évident, à moi comme à eux. Et vlan ! La réponse, c’est une obligation de quitter le territoire français (OQTF). C’est très dur à vivre. On peut pas mettre tout le monde dans le même sac, c’est trop facile. Alors on a fait appel et le tribunal administratif a annulé l’OQTF, preuve qu’on avait un dossier costaud. Et non : la préfète a fait appel, sans le moindre argument nouveau. C’est complètement surréaliste !
La préfète veut faire durer les choses, provoquer la lassitude et le découragement, en espérant que certains, n’en pouvant plus, décideront de retourner dans leur pays. Je ne pense pas que ce soit que dans la Somme, mes amis du réseau voient tout doucement un durcissement des choses partout.
En attendant, on va se re-payer un procès à Douai, ça va durer des mois et les garcons (Sidiki est aussi sous le coup d’une OQTF, ndlr) ne peuvent plus travailler, alors que Boubacar avait trois propositions d’embauche, après avoir fait l’unanimité quand il était stagiaire. C’est pas une vie quand on est gamin : avec la covid, la vie sociale est foutue ; quand on est réfugié, c’est la double peine.
Le 5 mai, vous entamerez une grève de la faim. Pourquoi en arriver à ce moyen d’action ?
Qu’est-ce qu’on peut faire de plus pour que ce dossier soit enfin traité de manière humaine ? Même le président de l’UPJV a fait une lettre à la préfète ! Puisqu’il faut faire du bruit, on va faire du bruit.
J’ai un beau garage, qui sert de dépôt pour les réfugiés. Des gens donnent des meubles, de l’électroménager et les réfugiés viennent se servir. C’est dans ce “garage solidaire” que je vais faire ma grève de la faim.
Avant cela, j’irai déposer une nouvelle lettre à la préfecture. Et j’irai pieds nus, en hommage à ceux qui traversent les Alpes la nuit, l’hiver, attendus par nos braves identitaires.
Aujourd’hui, l’obligation de quitter le territoire de Boubacar n’est même pas suspendue. Lui comme Sidiki peuvent très bien être contrôlés et, on a déjà eu le cas, être envoyés tout de suite en centre de rétention. A 18 ans. Mon dieu...