Associations et syndicats appellent à manifester pour la régularisation de tous les sans-papiers, vendredi 18 décembre à Amiens, à l'occasion de la Journée internationale des migrants, dans un contexte selon eux de "durcissement" de la doctrine préfectorale.
Comme chaque 18 décembre, le monde célèbre aujourd’hui la Journée internationale des migrants, instaurée en 2000 par les Nations unies. Pour l’occasion, les associations BSP, RESF80, Cimade, CASP, ASMA, les syndicats CGT, Sud, Solidaire, FSU et UNEF "appellent tous les citoyens et élus à un rassemblement" devant la gare d'Amiens à 18h.
Dans la continuité d'un mouvement débuté en mai dernier, le mot d’ordre national de cet "acte 4 des sans-papiers" reste la régularisation de tous les migrants en situation illégale en France.
Une revendication qui peut paraître radicale.
Le risque terroriste ? "Ça ne peut pas altérer notre engagement", répond Sibylle Luperce, de l’association RESF de la Somme, bien qu’il faille "prendre les précautions nécessaires". "Le jeune Tchétchène qui a tué Samuel Paty a toujours vécu en France. Il y a des Français aussi parmi les terroristes. Alors il ne faut pas être naïf mais il y a une forte stigmatisation aujourd’hui, comme si un terroriste pouvait se cacher derrière chaque sans-papier et ça n’a pas vraiment de sens", estime la militante.
La France a-t-elle les moyens d’accueillir toute la misère qui a franchi sa porte ? "Les familles qui souffrent depuis des années et que nous rencontrons tous les jours ne seraient pas une charge pour la société si elles étaient régularisées", assure Sibylle Luperce.
À Amiens, des dizaines de familles menacées d’expulsion
La semaine dernière, une manifestation était déjà organisée devant une école primaire d’Amiens pour dénoncer l’obligation de quitter le territoire envoyée à une famille arménienne vivant à Amiens depuis 6 ans composée de parents handicapés et d’une enfant scolarisée. Le dossier n’a pas avancé. Et ce n’est qu’un exemple.
"Des familles menacées d’expulsion, il y en a des dizaines actuellement à Amiens, assignées à résidence", selon Sibylle Luperce. Des migrants souvent déboutés du droit d’asile et qui, après un contrôle d’identité, se retrouvent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, quelle que soit leur ancienneté sur le territoire.
On suit une famille du Kosovo, avec deux petites filles. Tous les soirs de la semaine, à 17h30, ils vont tous au commissariat, avec leurs bagages. Ça veut dire qu’à tout moment, ils peuvent être envoyés en centre de rétention… ou même directement mis dans l’avion, comme c’est arrivé récemment à une autre famille. Ils étaient là depuis 7 ans. Les enfants étaient scolarisés. Du jour au lendemain, ils n’étaient plus là. Leurs camarades et enseignants ont été extrêmement choqués. Il y a beaucoup de violence et de douleur.
La préfète de la Somme trop sévère ?
Le 28 novembre 2012, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls envoyait aux préfets une circulaire, toujours en vigueur, précisant les critères pouvant être retenus pour accorder des titres de séjour aux sans-papiers. Une source d’espoir notamment pour les familles présentes depuis plus de cinq ans avec des enfants scolarisés. Mais les préfets restent les seuls décisionnaires.
On a constaté un durcissement avec l’arrivée de madame la préfète, une application vraiment stricte de la loi, alors qu’on demande un regard humain au cas par cas. Il y a, en partie, une question de personne.
La situation ne serait pas meilleure pour les jeunes majeurs scolarisés, souvent privés du titre étudiant nécessaire à la signature d’un contrat d’apprentissage. "Il y a du travail, martèle aujourd'hui RESF, qui avait même interpellé le mois dernier la préfète dans une lettre restée sans réponse. Les patrons nous disent qu’ils ont cherché et c’est eux qu’ils ont choisi, mais tout est bloqué car la préfecture ne les régularise pas, parce que les jeunes sont entrés sans visa long séjour."
Un sentiment confirmé à demi-mot par le conseil départemental de la Somme. En charge de l’aide sociale à l’enfance, il accompagne les mineurs isolés jusqu’à leur majorité et leur tentative d’insertion dans le monde du travail.
"Malheureusement, il peut y avoir des ruptures de parcours, glisse le cabinet du président. Quand c’est compliqué, c’est forcément questionnant pour des jeunes qui ont passé des mois, voire des années, dans une prise en charge tout à fait légale."
La préfecture n'a - pour le moment - pas été en mesure de réagir à ces analyses, ni de nous fournir de statistiques départementales.
L’asile sous tension
Concernant les mineurs non accompagnés, 270 actuellement dans la Somme, d’importants progrès ont été réalisés depuis deux ans. "Jusqu’à fin 2019, une cinquantaine étaient hébergés à l’hôtel faute de mieux, mais nous avons ouvert beaucoup de places d’accueil et désormais il n’y en a plus aucun", souligne le conseil départemental.
En revanche, la politique migratoire française, en général, reste caractérisée par une profonde saturation. Les délais légaux de traitement des demandes n’étaient toujours pas respectés l’an dernier. Et si le nombre de délivrances augmente chaque année en France (+30% en une décennie), la Cour des comptes souligne que notre pays était encore en 2016 “parmi les plus restrictifs” avec 3,72 titres accordés pour 1000 habitants, contre 7,65 en Espagne et même 12,18 en Allemagne.
Ceci, alors que la France enregistre l’un des plus grands nombres de demandes d’asile. Beaucoup de malheureux, donc.