Attentats du 13 novembre: pour Hacène Ayad, père de Thomas mort au Bataclan, "ce n'est pas le procès de l'État français"

Thomas Ayad, 32 ans, est l'une des 130 victimes des attentats de Paris survenus le 13 novembre 2015. L'Amiénois, mort au Bataclan, travaillait chez Universal Music. Son père, Hacène, s'est constitué partie civile. Nous avons recueilli son témoignage au moment où s'ouvre le procès de Salah Abdeslam.

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Il est partie civile au procès des attentats de Paris. Son fils, Thomas, a été tué le 13 novembre 2015 au Bataclan alors qu'ilétait chargé d'organiser la tournée des Eagle of Death Metal, le groupe qui jouait ce soir-là. Ses parents savaient qu'il se trouvait dans la salle. Ils ont eu confirmation de sa mort après vingt heures d'attente. Hacène Ayad, le père de Thomas, était à l'ouverture du procès mercredi 8 septembre. Il y retournera souvent au cours des 9 prochains mois et témoignera.

Marie Roussel et Elise Ramirez ont recueilli son témoignage.

Qu'est-ce que vous attendez de ce procès ?

Finalement, on n'attend pas grand-chose de lui. L'instruction et le délai de cette instruction nous donnent à peu près absolument tout comme information. Qu'il [Salah Abdeslam, NDLR] veuille s'exprimer ou qu'il ne veuille pas s'exprimer, ça ne changera pas grand-chose. J'attends de ce procès qu'on puisse dire comment ça s'est passé, pourquoi ça s'est passé et comment on en est arrivé là. Aux victimes, aux familles des victimes et aussi à toute la population française voire mondiale parce qu'il y a aussi des victimes étrangères.

Attendez-vous aussi des réponses sur la question des responsabilités ? Vous avez dit vous interroger sur le fait que ces attentats étaient peut-être prévisibles, évitables...

Je ne sais pas s’ils étaient évitables mais ils étaient prévisibles. À quel moment ? À quelle date ? Ça, personne ne le sait. Mais à priori, on savait qu'il y avait des menaces sur la France et on savait aussi qu'il y avait peut-être des menaces sur le Bataclan. Lesquelles ? Quand ? Comment ? Je ne le sais pas. Il y a eu probablement des failles. Je ne saurais pas dire lesquelles mais à mon sens, il y en a eu. Mais ce n'est pas le procès de l'État français. Je crois que les choses soient claires : c'est bien le procès des terroristes. C'est leur procès à eux que l'on fait, pas celui de la France. La France est comme nous victime de ces attentats.

Lors de l'ouverture du procès, est-ce que ça a été difficile pour vous d'affronter le dernier survivant du commando du 13 novembre ?

Non, pas du tout. Parce qu'il y a la distance : on le voit, oui, mais pas très très bien. Quand il est assis, nous aussi et on ne voit pas les expressions de son visage. Et il n'y a que ça qui nous permet d'avoir une idée de la personne. [...] Comme je n'attends pas grand-chose de lui, le voir ne m'a pas posé problème plus que ça.

Ce qu'on attend de ce procès, c'est comprendre comment les choses se sont faites, organisées, structurées et comment elles se sont mises en place. Ça, c'est plus le procès par lui-même que par les individus qui sont dans le box des accusés. Je ne suis pas sûr qu'ils vont parler beaucoup. Si on se réfère à ce qui s'est passé en Belgique, ça nous laisse un petit peu sur notre faim.

Vous devez témoigner le 26 octobre. Quel est le message que vous voudrez faire passer devant  la cour ?

C'est un message assez simple, en quatre points. Je voudrais d'abord expliquer que notre fils Thomas, qui avait 32 ans quand il a été tué, a été élevé dans une famille mixte : musulmane d'une côté, catholique de l'autre. Notre envie et notre souci a toujours été d'élever nos deux fils, Jérémy et Thomas, dans la laïcité dans le sens le plus noble mais aussi le plus stricte du terme : c'est la liberté de penser qui n'empêche pas les gens d'avoir des idées et une religion, le contraire de la motivation des terroristes.

Le deuxième point sur lequel j'insisterai, c'est qui était notre fils. Notre fils n'y était pas pour le plaisir, il était au travail. Il travaillait pour Universal Music et notamment, il était en charge du groupe qui passait ce soir. C'est un garçon qui adorait la musique, qui était musicien lui-même. Je l'ai traîné partout dans tous les festivals, de musique bien entendu mais aussi de théâtre, de danse. Je voulais qu'il fasse un autre métier, qu’il travaille ailleurs que dans la culture parce que ce ne sont pas des métiers simples. Mais il a voulu le faire.

La troisième chose, c'est avoir des réponses. Au moment où c'est arrivé, on était rentrés la veille des Etats Unis. On était dans un état un peu second à cause du décalage horaire. Quand notre fils Jérémy nous a appelés pour nous prévenir de l'attentat au Bataclan, on le découvrait. Et il nous a dit que Thomas était au Bataclan. Là, c'est la nuit d'enfer complète jusqu'au lendemain où on a cherché partout. On a remué nos relations pour essayer de le trouver. On voudrait expliquer cet enfer-là. On a appelé des dizaines de fois les structures mises en place par le gouvernement pour savoir s'il était mort ou blessé et à chaque fois, on nous répondait : "Non, il n'est pas sur nos listes." Et c'était normal parce que ses papiers étaient dans son sac à dos. Son sac à dos, il l'a perdu dans la salle et on n'a pas pu l'identifier tout de suite. Il y a beaucoup de parents de victimes qui ont été dans ce cas. Donc il va falloir qu'on réfléchisse pour essayer d'identifier les victimes le plus rapidement possible et éviter ce calvaire de l'attente. C'est quand même plus de 20 heures de calvaire. C'est effroyable parce que cette angoisse de l'attente, elle nous liquéfie. Et cela pour des semaines et des semaines et des mois. Ce n'est pas que sur l'instant même. Ça se prolonge et ça devient un tsunami dans notre tête.

La dernière chose que je vais vouloir dire, c'est qu'on est dans une société qui est bien faite en terme d'organisation des secours. Ceci dit, il y a eu des failles. Pourquoi ? Tout ça ce sont des questions qui sont dans l'esprit de toutes les victimes. Par exemple, il y avait des militaires sur place et qui n'ont pas eu le droit d'intervenir parce que ce n'est pas prévu dans leur protocole. Non. Quand on a un dispositif Sentinelle qui est là, à quoi il sert ? C'est ce type de failles, de question. C'est de savoir pourquoi et comment. Parce que si ça recommence, il faut savoir comment on va procéder.

Est-ce que vous avez besoin de ce procès pour vous et votre famille vous reconstruire ?

On appréhende fortement ce procès. Mais on en a besoin pour passer à autre chose. Pour passer à autre chose, il faut que ça, ça soit complètement fini. Et ça ne peut se finir qu’au bout du traitement de ce procès. C'est très personnel, on n'oubliera jamais. Mais on a besoin de passer à autre chose et pour ça, on a besoin que des gens soient condamnés, des gens qui ont assassiné des jeunes, non pas parce qu'ils étaient jeunes mais parce qu'ils représentaient une société. Ils étaient là pour s'amuser, pour prendre du plaisir, pour partager la musique. Et la musique, c'est universel. C'est quelque chose d'assez fabuleux. Mais eux, non. Ils ont décidé de s'attaquer au peuple. Ils ne se sont pas attaqués à un métier mais aux gens lambda. Je parle de la musique parce que ça concerne mon fils mais c'est pareil pour l'attaque au Stade de France. Ça aurait pu être un carnage colossal. Donc, c'est bien des modes de vie et la France qui a été attaquée et non pas des individus qui ont été tués.

Pourquoi vous appréhendez ce procès ?

On appréhende le procès parce que se présenter, c'est se découvrir, se mettre à nu. Et est-ce qu'on a envie de se mettre devant la France ? Je n'en suis pas si sûr. On court le risque, pour soi, pour les autres, d'être incompris, de ne pas avoir cette capacité à être clair dans ce qu’on a envie de dire. Donc ce sont des failles qui peuvent apparaître et personne n'a envie de voir des failles ou ses propres failles. Et c'est ce que je redoute le plus.

Mais vous avez malgré tout besoin de passer par ce procès ?

Oui tout à fait. Ça fait 5 ans qu'on ne vit plus. Pendant à peu près 25 ans, je voyais entre 200 et 250 spectacles par an. Parce que c'était mon métier, j'aimais ça. Mais depuis 5 ans, rien, plus rien. Il y a une fêlure, une fracture. Y compris au plus profond de nous : il y a une fracture dans le désir d'aller voir quelque chose, d'appréhender quelque chose de nouveau. On n'a plus cette flamme. Elle a été éteinte. Et pour qu'elle puisse, je l'espère du fond du cœur, que ça se rouvre un petit peu, c'est quand on aura clos cet espace qui est béant et dont on appréhende encore plus, à chaque fois qu'il se passe dans le monde parce qu'on a l'impression de se retrouver dans la même lessiveuse, je dirais.

Est-ce que le temps qui passe change quelque chose à la manière dont vous vous souvenez de votre fils ?

Non...Pendant des années, c'est moi qui ai transmis les choses. Et est arrivé un moment où c'est Thomas qui me transmettait les choses. Il revenait de Paris et il me disait : "Est-ce que tu as vu ça ? Est-ce que tu as entendu tel groupe ?" Il me nourrissait. Ça me manque. Mais la façon dont je me souviens de mon fils n’a pas changé en 6 ans. Et ça, ça ne changera pas. Ça reste là. 

Je ne suis pas croyant. Je ne suis ni dans le pardon ni dans la rédemption. Je suis issu d'une famille musulmane et au-delà d'une croyance, c'est une éducation mais sinon.... Je cherche plus à comprendre. 

Vous avez choisi de témoigner, d'autres non. Vous comprenez cette position ?

Témoigner, c'est important. Je comprends qui certaines personnes ne veuillent pas le faire. Mon épouse ne veut pas et je le comprends. C'est d'abord un droit et ensuite on ne peut leur demander de s'exprimer sur quelque chose qu'ils n'ont pas encore complètement digéré. Il faut commencer par digérer des choses pour ensuite pouvoir l'exprimer. Mon épouse n'a pas digéré tout ça. Alors, l'exprimer, ce n'est pas pour aujourd'hui.

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