Destruction des coursives et transformation du quartier Étouvie d'Amiens : face aux habitants inquiets, le bailleur et les pouvoirs publics veulent rassurer

À partir de janvier 2024, le quartier d'Étouvie va connaître des années de travaux. Plusieurs bâtiments vont être détruits et parmi eux, l'immense ensemble des résidences pays d'Auge, appelés les coursives. Ces 362 logements seront détruits en 2029 : relogement, reconstructions, de nombreux aspects inquiètent les habitants, mais la SIP, principal bailleur social du quartier, veut rassurer.

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À l'ouest d'Amiens, leurs quatorze étages s'élèvent face à l'avenue de la Commune de Paris, imposant ensemble ocre et blanc avec son architecture typique des années 70 : les coursives d'Étouvie, officiellement appelées résidences du pays d'Auge, vont être rasées entre 2029 et 2030.

Cet immeuble emblématique du quartier regroupe 362 logements, plus de 500 personnes y vivent. Certaines, depuis des décennies. Elles ont vu les commerces partir de la galerie du rez-de-chaussée qui n'est maintenant qu'un mur de rideaux de fer baissés, à l'exception d'une pharmacie et de quelques cabinets d'infirmiers qui subsistent. 

Mais d'après le bailleur social qui gère cet ensemble, la Société immobilière de Picardie (SIP), la plupart des habitants des coursives sont là en transit, car l'immeuble n'attire plus.

"On a un taux de rotation du bâtiment de 15 % par an, détaille Laurent Dal, directeur ressource et performance de la SIP. C'est souvent une solution transitoire, on nous demande "Étouvie, sauf les coursives". Sa structure est complexe, malgré les travaux, il y a tout le temps des choses à faire et un taux de départ important."

9 % des appartements seraient déjà vides, car la SIP ne reloue plus les logements des coursives. Restent tout de même 331 foyers à reloger et des habitants inquiets quant à l'avenir du quartier. 

"Il y a une très forte attente sur le quartier d'Étouvie"

Le projet de destruction des coursives a été voté par les partenaires de la SIP au printemps 2023 et validé par un récent arrêté préfectoral. Deux réunions publiques ont été organisées par le bailleur social, les 9 et 16 octobre. Lors de la dernière, les avis des habitants étaient partagés.

"On déplore ces démolitions, car le nombre de logements détruits est supérieur au nombre de logements qui vont être construits, regrette un homme à l'issue de la rencontre. On s'inquiète pour l'attractivité du quartier, parce qu'un quartier qui perd des habitants, c'est autant de consommateurs et d'électeurs en moins."

"Oui, certains devront quitter le quartier, c'est une évidence"

Christophe Mariette, directeur du patrimoine de la SIP

"Apparemment ce sont des accessions à la propriété, donc personne ne viendra, ils disent eux-mêmes qu'il n'y a pas d'attractivité sur le quartier, ajoute un autre. C'est du pipeau."

"Il y a une très forte attente sur le quartier d'Étouvie, on attend l'accession à la propriété, on attend des reconstructions, on attend de nouveaux commerces, répond au contraire un habitant d'Étouvie depuis 44 ans. On est contents, mais on veut que ces bonnes résolutions soient actées. On voudrait qu'Étouvie renaisse, on attend beaucoup."

Mais tous craignent des promesses sans lendemain, comme il y en a eu tant. "Ils ont démonté les écoles il y a une douzaine d'années, ils devaient reconstruire, ils n'ont rien fait, se souvient une habitante. Là, il faut attendre 2030 pour avoir de nouveaux logements, donc les travaux, on n'y croit pas. Ils vont tout nous casser et ça va rester comme ça."

Objectif : changer l'image d'Étouvie pour rendre le quartier attractif

Pour Brigitte Fouré, maire UDI d'Amiens, c'est justement par cette transformation du quartier que l'attractivité reviendra, car cela créera "le terreau favorable pour le retour des commerces. Cela ne dépend pas des pouvoirs publics, il faut que des personnes viennent s'installer.

Un avis partagé par Guy Penaud, vice-président d'Amiens métropole délégué à la rénovation urbaine : "Pour moi, l'argument de moins de monde, moins d'attractivité ne tient pas, du moment où l'on réussit la mixité du quartier. Si on a un quartier apaisé, les gens reviendront y faire leurs courses. Nous tentons de faire revenir un supermarché de 350 mètres carrés, il y a un projet de pôle médical, de pôle administratif, nous voulons que de petits commerces et un café s'implantent. Il y a une qualité de vie à laquelle les habitants du quartier tiennent, ils ne veulent pas qu'il se transforme en une vaste ZAC de logements.

"Lorsqu'il y a des démolitions pratiquées, plus de la moitié des personnes doivent être relogées en dehors d'un quartier 'politique de la ville'."

Guy Penaud, vice-président d'Amiens métropole délégué à la rénovation urbaine

Mais comment les pouvoirs publics comptent-ils apaiser Étouvie ? Avec des habitations moins denses dont la construction de 130 logements, plutôt en habitat individuel, sur l'emprise des actuelles coursives. En clair : de petites maisons destinées à l'accession à la propriété.

Des bailleurs privés conventionnels devraient faire leur apparition dans le quartier. Donc, il y aura beaucoup moins de locations à loyer modéré, malgré les reconstructions. "Nous pouvons tout de même reconstruire 80 logements locatifs sociaux sur une autre emprise et 30 à la place du village des écoles" complète Christophe Mariette, directeur du patrimoine de la SIP.

Disperser les locataires, attirer les propriétaires

Pour Brigitte Fouré, maire d'Amiens, ce développement de l'habitat individuel est demandé : "Beaucoup d'habitants souhaitent de petites maisons individuelles, actuellement, nous n'avons pas la possibilité d'offrir ces logements à ces familles."

Cependant, l'ambition de vendre ces biens à des habitants du quartier questionne : à Étouvie, le revenu fiscal déclaré médian était de 590 euros par mois en 2018, avec un taux de pauvreté de 58 %. 30 % de la population n'avait pas de voiture en 2015, pour des raisons "liées à des difficultés économiques", rappelait alors l'INSEE. 

Mais à Amiens métropole, on veut croire que certains habitants pourront tout de même s'acheter ces propriétés. "L'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) donne 10 000 € par logement, l'État aide avec une TVA réduite à 5,5 % donc on arrive sur des produits à prix raisonnables, qui sont très étalés dans le temps pour faire en sorte qu'il y ait des accessions à la propriété de ménages très modestes, détaille Guy Penaud. Avec l'APL, cela coûte à peine plus cher que leur loyer actuel. " L'objectif étant aussi de diversifier la population du quartier, l'arrivée de personnes plus aisées y participe. 

Dans un contexte où le marché de la location extrêmement tendu et où l'accès à la propriété est compliqué par l'inflation et la hausse des taux d'intérêt, le bailleur social a du mal à partager cet optimisme. "C'est un choix fait il y a longtemps, dans une époque qui n'était pas celle d'aujourd'hui, concède Laurent Dal. L'ANRU peine à s'adapter à cette situation nouvelle, nous sommes encore sous le coup de règles anciennes." La SIP ne changera pas son fusil d'épaule pour autant. 

Guy Penaud reconnaît que le contexte est compliqué, mais espère son amélioration dans les années à venir. Quant au manque de logements locatifs à Amiens, il compte sur la cession prochaine de bâtiments appartenant à l'État pour y recréer des appartements à louer. Des négociations seraient en cours à ce sujet. 

L'ANRU : une agence pour la mixité sociale 

Ni Amiens métropole ni la SIP ne décident de l'avenir d'Étouvie seuls. C'est en réalité l'ANRU qui dicte les règles du jeu. Cette agence nationale évalue les revenus moyens et la densité de population sur des échantillons de 200 mètres carrés. S'il y a trop de pauvreté et de densité au même endroit, le quartier doit être transformé. 

C'est pour cela que des projets favorisant la venue de nouveaux habitants plus aisés voient le jour. L'ANRU impacte aussi les relogements : "Les règles fixées par l'ANRU sont relativement simples à comprendre : si c'est pour démolir des logements et reloger les gens sur place, on ne changera pas l'image du quartier, explique Guy Penaud. Donc, lorsqu'il y a des démolitions pratiquées, plus de la moitié des personnes doivent être relogées en dehors d'un quartier 'politique de la ville'.

"La réglementation nous impose de reloger hors quartier, mais beaucoup souhaitent rester, c'est pour cela que la SIP a demandé une dérogation pour pouvoir accéder à cette demande", tempère Laurent Dal.

"Oui, certains devront quitter le quartier, c'est une évidence, constate Laurent Mariette. Mais en termes d'attractivité à venir, une fois ce bâtiment démoli, ce sera beaucoup plus vivable et à échelle humaine."

La question du relogement

Comment va se passer le relogement des habitants des immeubles détruits ? La SIP se veut rassurante, tout sera pris en charge et les locataires seront accompagnés. Chaque locataire doit recevoir trois propositions de logements qui correspondent aux critères qu'il a transmis au bailleur. 

"Nous avons aussi signé une convention avec d'autres bailleurs sociaux pour permettre à nos locataires d'accéder à leur parc, ajoute Laurent Dal. Nous proposons des logements en adéquation avec le loyer qu'ils paient actuellement ou que la différence puisse être couverte par l'APL. Les relogements se font ensuite en fonction des libérations de logements et de nos constructions neuves."

"80% de nos locataires sont satisfaits des relogements effectués sur les 205 déjà réalisés sur le quartier d'Étouvie."

Christophe Mariette, directeur du patrimoine de la SIP

Il indique également que les équipes dédiées au relogement ont été renforcées : il y a maintenant deux personnes à temps plein pour s'occuper des demandes de relogements. La SIP prendra aussi en charge tous les frais de déménagement et jusqu'aux procédures de changements d'adresse. Il n'y aura pas de laissés-pour-compte. "Nous avons l'obligation de proposer des logements, donc nos locataires doivent être complètement rassurés là-dessus" insiste Laurent Dal.

"80 % de nos locataires sont satisfaits des relogements effectués sur les 205 déjà réalisés sur le quartier d'Étouvie, ajoute Christophe Mariette. Là où il peut y avoir un doute, c'est entre les premiers relogements et les derniers qui arriveront en 2028, ça peut paraître long. Mais nous souhaitons le faire dans les meilleures conditions."

Pourquoi la SIP ne rénove pas les coursives 

En 2010, 10 millions d'euros ont été investis pour rénover ces immeubles. Treize ans plus tard, ils sont condamnés. Mais en réalité, cela fait bien plus longtemps que la SIP veut détruire la résidence du Pays d'Auge.

"En 2009, sous l'ancienne mairie et l'ancien préfet, la SIP avait déjà demandé la démolition car le bâtiment était occupé à 48% mais cela avait été refusé, se souvient Laurent Dal. Nous n'avions alors pas d'autre choix que de le réhabiliter, et de tenter de le sécuriser avec des gardiens et plus de 100 caméras. La rénovation de la façade n'avait pas été faite."

Aujourd'hui, la façade est décrépite, le sous-sol condamné, les ascenseurs capricieux, en bref : rénover ces bâtiments coûterait à nouveau 10 millions d'euros, indique la SIP. Hors de question pour le bailleur d'investir autant dans un bâtiment qui n'attire plus. "Ce quartier souffre d'enclavement, il ne s'ouvre pas au reste de la ville car il y a ce front bâti des coursives. Cela va ouvrir le quartier" conclut Laurent Mariette.

200 000 euros vont être investis pour cette transformation d'Étouvie, bien moins cher qu'une rénovation.

Le grand chantier du quartier commence en janvier 2024 avec la destruction d'une partie du bâtiment A de l'avenue de Picardie, pour en faire trois immeubles distincts. Il continuera au milieu de l'année par la déconstruction du bâtiment H du square Émile-Thuillier, puis à la fin de l'année 2024, ce sera au tour du bâtiment B de voir 80 logements disparaître pour y créer des ouvertures.

La destruction des coursives sera le point d'orgue du remodelage de ce quartier, en 2029. En 2019 et 2020, les associations de locataires s'étaient opposées au projet dans sa globalité. 

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