Un rapport alarmant sur les pratiques sociales d'Amazon vient de sortir. Commandé par le CSE central, il pointe une forte augmentation des accidents du travail, un turn-over important et un taux d'absentéisme en hausse. La région Hauts-de-France compte trois entrepôts Amazon.
C'est un rapport qui fait parler de lui. Sorti en octobre, ce document commandé par le CSE central d'Amazon France épluche les pratiques sociales dans les huit entrepôts et le siège. Réalisé par le cabinet indépendant Progexa, le rapport, que l'AFP a pu consulter, fait ressortir une augmentation des accidents du travail, un absentéisme important et un turn-over des travailleurs.
Dans la région, Amazon est un employeur important. Les Hauts-de-France comptent trois des principaux sites d'entreposage à Senlis dans l'Oise, Boves dans la Somme et à Lauwin-Planque dans le Nord. Avec Lidl, Amazon concentre 25 % des emplois salariés des activités d'entreposage, selon une étude de l'Insee. Tandis que plus de 4 intérimaires sur 10 du secteur de l'entreposage travaillent dans l'un des trois établissements.
Une multiplication par deux des accidents du travail
Ce qui ressort en premier du rapport Progexa, c'est le nombre d'accidents du travail avec arrêt qui a doublé en 2022. 1 132 cas ont été recensés l'année dernière contre 482 en 2021. Un chiffre qui serait même "sous-estimé", selon Guillaume, un salarié de l'entrepôt de Senlis dans l'Oise, dont le prénom a été modifié, comme tous ceux qui ont été interrogés.
Il explique : "Il y a énormément de contestations de la part d'Amazon par rapport aux accidents liés au travail qui sont pourtant validés par la CPAM. Quasiment tous sont contestés par la direction."
Des exemples, il en a plein, il ne doit pas remonter loin dans sa mémoire pour en trouver. Toutes les semaines, il constate qu'un ou deux de ses collègues sont concernés par ces refus. "J'ai un collègue qui s'est blessé, qui avait déjà un souci avec un genou et qui boitait, et Amazon lui a dit qu'il boitait déjà alors que sa blessure concernait son autre genou, raconte Guillaume. C'était hors de question pour la direction de lui valider son accident du travail."
"Ils contestent les arrêts car ils en ont trop et que ce n'est pas bon pour leurs chiffres"
Guillaume, salarié du site de Senlis
Avec cet accroissement du nombre d'arrêts maladie, + 91 % selon le rapport Progexa, le taux d'absentéisme a bondi à 15,9 %.
Pressions managériales et "conditions de travail horribles"
Les raisons de ces arrêts maladie ? Ce seraient les conditions de travail, selon les salariés d'Amazon interrogés. Guillaume, comme d'autres, parlent de pression des managers par rapport aux chiffres et aux quotas qu'ils doivent accomplir au cours de la journée.
"Lors des périodes où il y a beaucoup d'activités, quand les managers voient que certains sont en retard, ils mettent des petits coups de pression. Ils vont voir un salarié plusieurs fois par jour en lui disant d'aller plus vite, ou qu'il est en dessous de la moyenne par rapport aux autres et qu'il ne fait pas assez d'articles", atteste le salarié de l'entrepôt de Senlis.
Nadia, une collègue à lui, interrogée par l'AFP, témoigne : "Sur les 7h30 de shift, plusieurs managers viennent, ils se passent le relais, ils ne vous lâchent pas".
Guillaume signale "des conditions de travail horribles" à certains postes et notamment pour la préparation des colis. Amplitudes horaires, port de charge lourde, gestes répétitifs... Les travailleurs sont bien souvent debout, la tête un peu baissée, à trier des articles pour les mettre dans des caisses en plastique avant que ces dernières partent sur des palettes.
"C'est rare que tu finisses la journée sans avoir mal quelque part : au dos, aux bras, au cou"
Guillaume, salarié du site de Senlis
La semaine dernière, il explique avoir dénombré 15 personnes qui sont parties à l'infirmerie. Contacté par France 3, un responsable communication d'Amazon a répondu sur ces différents points par le biais d'un mail global. "Nous prenons notre rôle et notre impact en tant qu’employeur très au sérieux. Nous offrons à nos plus de 20 000 salariés en France un environnement de travail sûr et moderne, avec des salaires compétitifs et d'excellents avantages sociaux." L'entreprise mentionne avoir investi plus de 25 millions d'euros en 2022 dans des projets "visant à améliorer la sécurité et le bien-être des salariés".
1 départ sur 4 est une démission
Dans son rapport, Progexa constate aussi qu'Amazon rencontre des difficultés "à stabiliser" ses effectifs dans ses entrepôts. 9 salariés sur 10 ont moins de 5 ans d'ancienneté. Le salarié de Senlis le constate lui aussi, parmi ses 1 000 collègues, seule moins d'une dizaine aurait plus de 9 ans d'ancienneté chez Amazon, selon lui.
"Généralement, les gens qui arrivent chez Amazon cherchent à partir au bout de 2-3 mois, pour aller ailleurs"
Guillaume, salarié du site de Senlis
Cette non-pérennité chez les salariés s'explique par "un mélange" de facteurs évoqués au-dessus : pressions, accidents du travail, dureté. Guillaume ajoute : "Je pense que ça les arrange aussi que ça tourne beaucoup. L'ancienneté leur coûte cher, et plus tu es ancien, plus tu sais ce qu'il se passe, et tu as envie de te syndiquer et ça leur fait peur."
Les "départs naturels", comme la retraite ou les mutations, sont peu nombreux chez Amazon et ne représentent que 3 %. En 2022, les CDI ayant quitté l'entreprise l'ont fait à 31 % en raison d'une rupture de période d'essai, 38 % car ils ont été licenciés, 25 % parce qu'ils ont démissionné.
"Il y a beaucoup de licenciements et de départs chez Amazon, confirme l'employé de Senlis. Certaines semaines, il peut y avoir jusqu'à dix entretiens préalables, qui aboutissent souvent à une sanction et qui peuvent aller jusqu'au licenciement."
Dans son mail, l'entreprise Amazon termine sur des chiffres qui évoquent l'attractivité de l'emploi, tiré d'un sondage de l'Ifop réalisé en 2023 : "plus de 8 salariés d’Amazon sur 10 recommanderaient à leurs proches de venir y travailler et s’y projettent dans les prochaines années. Des résultats supérieurs à la moyenne des salariés des secteurs public et privé en France." À travers toute la France, l'entreprise emploie 20 000 salariés dans la trentaine d'établissements logistiques existants.